Au procès de l'assassinat de Samuel Paty, Azim Epsirkhanov, accusé d'avoir aidé le terroriste, ne se sent "pas responsable"

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 7min
L'entrée de la salle d'audience lors de l'ouverture du procès de l'assassinat de Samuel Paty, le 4 novembre 2024, devant la cour d'assises spéciale de Paris. (STEPHANE DE SAKUTIN / AFP)
Azim Epsirkhanov était le premier accusé à être questionné sur le fond, mercredi. Lors d'un interrogatoire long et tortueux, il a reconnu avoir accompagné l’assaillant dans sa quête d'armes, mais a nié connaître ses intentions criminelles.

"Il ne m'a jamais parlé du professeur", ni "des caricatures". Azim Epsirkhanov l'assure au cours de son interrogatoire, mercredi 20 novembre : il n'était pas au courant du projet mortifère d'Abdoullakh Anzorov, le réfugié tchétchène de 18 ans qui a poignardé puis décapité Samuel Paty le 16 octobre 2020. L'accusé de 23 ans, né en Russie, arrivé en France à l'âge de 9 ans, est jugé pour complicité d'assassinat terroriste devant la cour d'assises spéciale de Paris. Il lui est reproché d'avoir aidé et accompagné l'assaillant "activement dans la recherche" et "l'achat d'armes", à savoir un couteau et un pistolet Airsoft, retrouvés près du collège où exerçait le professeur d'histoire-géographie.

"Je n'ai pas d'intérêt pour les armes", balaie d'emblée Azim Epsirkhanov, debout dans le box des accusés pour répondre aux questions de la cour. Vêtu d'une veste bleue de costume sur une chemise blanche, les cheveux courts et une barbe en collier, il a soigné son apparence. Tout comme son élocution. "Bonjour monsieur le président, mesdames, messieurs de la cour, commence-t-il. Je suis quelqu'un de très sociable, je pense que c'est lié aux difficultés que j'ai pu rencontrer, avec la barrière de la langue." Il s'exprime pourtant dans un français impeccable, tandis que le président de la cour d'assises spéciale revient, en début d'interrogatoire, sur le "charisme" qui le caractérise selon ses proches entendus comme témoins.

"Je savais juste qu'il faisait cinq prières par jour"

Les questions se recentrent ensuite sur son amitié avec Abdoullakh Anzorov, qu'Azim Epsirkhanov décrit comme "un ami d'enfance", "plutôt solitaire", "rencontré au collège, en classe de 6e". Tous les deux sont issus de la communauté tchétchène d'Evreux. En faisant connaissance des proches de son camarade, il découvre un climat de violence, associé à une pratique assidue de la religion musulmane, autour du père du terroriste, "noyau dur de la famille, qui a le contrôle sur tout". A leur domicile, interdiction d'écouter de la musique. Lorsque que cet homme comprend que son fils, en classe de 3e, a un compte Facebook, il s'en prend physiquement à lui. "J'ai assisté au tabassage, c'était choquant pour moi", se souvient l'accusé. 

Le père d'Abdoullakh Anzorov ne serre pas la main aux femmes. Son fils reproduit ce comportement quelques années plus tard, constate son ami en juin 2020, quand il reprend contact avec lui, après l'avoir "perdu de vue". Il explique cet éloignement par une brouille liée à des paris sportifs. Le président de la cour d'assises spéciale se montre surpris : en garde à vue, Azim Epsirkhanov avait justifié sa prise de distance en raison d'un "changement" chez l'assaillant, ce que le magistrat a interprété comme un rejet de sa radicalisation. "A l'époque, je savais juste qu'il faisait cinq prières par jour", répond le jeune homme.

Une "journée banale" et "amusante"

Invité à s'exprimer sur "le déroulement des faits", Azim Epsirkhanov se lance dans un monologue d'une demi-heure. Il retrace d'abord la journée du 15 octobre, veille de l'attentat, qu'il a passée avec Abdoullakh Anzorov et Naïm Boudaoud, l'un des coaccusés, renvoyé lui aussi pour complicité d'assassinat terroriste. "Je prends la voiture, je me propose pour conduire et on passe une journée normale", décrit-il. Pourtant, dès le moment où Abdoullakh Anzorov vient le chercher, il réclame à Azim Epsirkhanov d'aller chez son cousin pour "se procurer une arme", lui présente une liasse de 800 euros en échange. Il s'exprime en tchétchène, une langue que Naïm Boudaoud ne comprend pas.

Azim Epsirkhanov s'exécute, sans formuler ni étonnement ni surprise. Le président de la cour d'assises spéciale revient sur ce point à plusieurs reprises : pourquoi ? La réponse d'Azim Epsirkhanov est invariable : il s'agit selon lui d'aider la communauté tchétchène d'Evreux, qui vivrait dans la "crainte".

L'achat n'a pas lieu car le cousin n'a pas d'arme. Le trio poursuit sa "journée banale" et "amusante" : "On est partis laver la voiture, on a mis de l'essence." S'ils vont ensuite au McDonald's, prennent des photos, tout sourire, "dans une ambiance détendue", ils s'arrêtent auparavant dans une coutellerie. Selon ce que rapporte son ami, Abdoullakh Anzorov affirme vouloir offrir un couteau à son grand-père collectionneur.

Dans la boutique, celui-ci demande "le mieux aiguisé" et vérifie cette caractéristique à peine rentré dans la voiture. Azim Epsirkhanov entend un "bruit de déballage" à l'arrière et l'interroge à haute voix, sans insister. En début d'après-midi, Abdoullakh Anzorov relance Azim Epsirkhanov sur l'arme. Sans en apprendre davantage

Entre les deux moments, "la question de l'arme n'existe plus", répète l'accusé à plusieurs reprises pendant son interrogatoire. "Elle existe quand même toujours un petit peu", rétorque le président de la cour d'assises spéciale, qui insiste : "Mais vous ne vous dites pas 'arme + couteau = alerte' ? S'il veut une arme, puis un couteau, ça fait beaucoup, non ? En tout cas, vous ne faites pas le lien ?" Azim Epsirkhanov secoue la tête.

"Une accolade sur le côté" en guise d'au revoir

Le lendemain matin, le terroriste insiste, cette fois, pour que son ami lui réserve un "Blablacar pour son travail". "Il me parle de Conflans, je ne connais pas." Mais la réservation "tombe à l'eau", alors Azim Epsirkhanov l'accompagne à la gare routière. Les deux amis prennent des cafés, mangent des viennoiseries. Avant de partir, Abdoullakh Anzorov lui dit au revoir "d'une manière inhabituelle". Une scène qu'il a décrite en garde à vue. "Les policiers me demandent : 'Qu'est-ce qui était inhabituel, ce jour-là ?' Je leur ai expliqué ce geste : une accolade sur le côté, mais pas un câlin", comme ils l'ont noté, déclare-t-il à l'audience.

C'est son dernier "contact" avec Abdoullakh Anzorov. Le soir du 16 octobre, Azim Epsirkhanov reçoit un message qui lui apprend que son ami a été tué par la police. "J'essaie de mettre les infos, je m'énerve, je ne suis pas au courant de ce qu'il a commis. Puis je vois le screenshot du message posté par Anzorov sur Twitter, relate-t-il. C'est à ce moment-là que je vois cette photo terrible, cela me terrifie, j'ai un double choc." S'il n'a pas été utilisé pour assassiner Samuel Paty, le couteau acheté la veille est découvert sur la scène de crime.

A défaut de se sentir "responsable pénalement", Azim Epsirkhanov estime-t-il qu'il a "une part de responsabilité" globale dans l'assassinat de Samuel Paty ? L'avocat général lui pose la question après plus de six heures d'interrogatoire. "Je ne sais pas si je peux dire si je suis responsable d'une logistique ou quoi que ce soit. Je ne me sens pas responsable", répond l'intéressé. "Je n'avais aucune connaissance de ce qui est arrivé", précise-t-il, deux heures plus tard, en réponse aux questions de la partie civile. L'accusé, qui encourt la réclusion criminelle à perpétuité, affirme qu'il "aspire toujours à une vie professionnelle et familiale"

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