Au procès de l'assassinat de Samuel Paty, un enquêteur fait le récit glaçant des dernières minutes de vie du professeur

Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 5min
La cour d'assises spéciale de Paris, avec, au centre, son président Franck Zientara, le 4 novembre 2024 lors de l'ouverture du procès de l'assassinat de Samuel Paty. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCEINFO)
Lors de la quatrième journée d'audience, des photos du corps décapité de l'enseignant en histoire-géographie ont été projetées devant la cour d'assises spéciale de Paris.

La lumière crue des réverbères éclaire la rue vide, photographiée de nuit, avec flash. Un corps gît à droite, "le long du trottoir, étendu sur le ventre vers le sol". La tête, "désolidarisée", se trouve "à gauche du corps", décrit d'un ton clinique un enquêteur de la Sous-direction antiterroriste, jeudi 7 novembre, au quatrième jour du procès de huit accusés soupçonnés d'avoir participé, à des degrés divers, à l'assassinat de Samuel Paty. Auditionné derrière une vitre opaque pour préserver son anonymat, l'enquêteur s'appuie sur un document PowerPoint dont les images sont présentées à la cour d'assises spéciale de Paris et projetées sur les écrans de la salle d'audience.

Minute par minute, il relate les circonstances de l'attentat, le 16 octobre 2020, depuis la sortie du professeur d'histoire-géographie du collège du Bois-d'Aulne, situé à Conflans-Saint-Honorine (Yvelines), à la "neutralisation" de son meurtrier, Abdoullakh Anzorov, un jeune islamiste radical de 18 ans originaire de Tchétchénie qui possédait un titre de séjour pour résider en France. "A 16h51, Samuel Paty sort du collège, il emprunte la rue sur le trottoir côté impair", commence l'enquêteur. Des images de l'enseignant, filmé de dos, captées par la vidéosurveillance, apparaissent sur les écrans. Quelques instants plus tard, une collégienne lui emboîte le pas.

Puis une petite silhouette surgit en haut à gauche de l'écran. C'est Abdoullakh Anzorov, qui arrive en sens inverse, "d'un pas énergique", "tout vêtu de noir". L'enquête révèlera qu'il portait "trois couches de vêtements" pour dissimuler ses armes, dont l'une est un pistolet Airsoft, qui peut blesser mais pas tuer. A 16 heures, 52 minutes et 10 secondes, Samuel Paty passe devant le numéro 16 de la rue du Bois-d'Aulne. La collégienne fait de même, dix secondes après.

Un silence pesant dans la salle

Puis tout s'enchaîne. Dans la rue du Buisson-Moineau, Abdoullakh Anzorov sort un couteau. "La collégienne comprend ce qui se passe et part en courant, effrayée", note l'enquêteur, qui précise que l'adolescente "le voit dissimuler son couteau dans le dos". Elle l'entend aussi crier "Allah Akbar". Samuel Paty est poignardé à de nombreuses reprises. "Il l'atteindra 14 fois, avant de le décapiter à terre", rapporte l'enquêteur.

"Samuel Paty n'a pas eu de temps de réaction face à ce qui s'est passé."

L'enquêteur de la Sous-direction antiterroriste

devant la cour d'assises spéciale de Paris

A 16 heures, 55 minutes et 4 secondes, le terroriste prend une photo de la tête de sa victime et poste l'image sur les réseaux sociaux, pour exhiber sa cruauté. Puis Abdoullakh Anzorov reprend sa marche. Il est calme et "ne court pas", remarque l'enquêteur. Un silence pesant emplit la salle d'audience. Il poursuit son récit glaçant : les "mains rouges pleines de sang", le terroriste tient d'un côté une arme de poing, de l'autre son téléphone, avec lequel il envoie des messages. Il tire "une fois en l'air" lorsqu'il fait face aux policiers, qui ouvrent le feu à leur tour. L'horreur s'arrête quand "Abdoullakh Anzorov tombe au sol". Il est 17h04.

Un schéma est ensuite projeté. Le corps de Samuel Paty y est symbolisé par un mannequin de dessin en bois désarticulé, au milieu de "cavaliers", ces petits triangles jaunes qui permettent de localiser des indices sur les scènes de crime. Puis l'enquêteur fait l'inventaire des habits de l'enseignant, maculés de sang. "Tous les vêtements supportent l'attaque qu'il a subie", souligne-t-il. Dans son sac à dos beige, se trouvait un marteau, car depuis plusieurs jours, face aux menaces apparues sur les réseaux sociaux, le professeur craignait pour sa vie.

Des accusés tête baissée

"On va se rapprocher de ce corps", annonce Franck Zientara, le président de la cour d'assises spéciale de Paris, une heure après le début de l'audition. Le magistrat tient à prévenir les parties civiles. Les nièces de l'enseignant, adolescentes, quittent la salle d'audience. "C'est la seule photo que je montrerai de si près", insiste le président de la cour. La même scène de crime apparaît, mais en gros plan. Les accusés, dans le box en verre, ou sur des chaises pour ceux qui comparaissent libres, tournent ou baissent la tête.

Restée sur le banc des parties civiles, un peu décalée pour voir les images retransmises sur les écrans, Gaëlle, l'une des deux sœurs de Samuel Paty, se tourne vers son conjoint. Front contre front, le couple détourne légèrement le regard lorsque ce dernier cliché est projeté sur les écrans de la salle. "Mes clients étaient préparés. Ils veulent tout savoir et tout voir", réagit leur avocate, Virginie Le Roy, à la suspension d'audience. "C'est la barbarie de l'acte, de ce qui est arrivé à Samuel."

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