Cet article date de plus de cinq ans.

Récit "Il a tiré encore, encore et encore" : à Strasbourg, un homme armé sème la mort en plein centre-ville

Au moins trois personnes ont été tuées et 12 autres blessées, dont huit grièvement, par un tireur, mardi. Le suspect, un homme de 29 ans, Chérif C., fiché "S", est toujours en fuite mercredi matin.

Article rédigé par franceinfo
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Des officiers de police en position près de la scène de la fusillade commise à Strasbourg (Bas-Rhin), mardi 11 décembre 2018. (ABDESSLAM MIRDASS / AFP)

Strasbourg est à la fête, ce mardi 11 décembre. A l'approche de Noël, les rues de la capitale alsacienne sont chargées de décorations lumineuses. Les différents marchés de Noël de la ville commencent à fermer leurs étals.

>> Attentat à Strasbourg : suivez les dernières informations dans notre direct

Vers 19h45, un homme de 29 ans, Chérif C., emprunte le pont du Corbeau et pénètre dans le centre historique par le Sud, armé d'un couteau et d'une arme de poing. Il progresse en direction de la rue des Orfèvres et, dix minutes plus tard, fait feu sur la foule, avant de gagner la rue des Archives. "J'ai entendu une détonation. J'ai pensé que c'était le tableau du menu du restaurant qui tombait à l'extérieur", raconte le serveur d'un restaurant, rue du Saumon. Ce dernier sort de l'établissement et assiste à la scène, impuissant.

Au moment où je sortais, j'ai vu un des clients tomber à terre et un homme partir en courant dans les rues en parallèle. Je l'ai vu de dos. Il a tiré encore et encore, une fois, deux fois, trois fois, quatre fois.

Un serveur de restaurant

à franceinfo

"On a vu cet homme qui dissimulait quelque chose sous sa veste, ajoute Sophie, une Strasbourgeoise de 25 ans interrogée par France 3. J'ai même failli lui demander ce qu'il se passait". Elle fournira une description à la police qui corrobore les éléments déjà recueillis par les forces de l'ordre : le suspect est grand – environ 1,80 m – a les cheveux noirs et porte un manteau foncé qui lui arrive à mi-cuisse.

Encore choqués, des témoins évoquent des corps gisant sur le sol, des cris et des scènes de panique. "J'ai demandé à tous les clients de se diriger à l'arrière du restaurant, dans nos offices, et ensuite on a fermé le restaurant à clé", témoigne la gérante d'un restaurant. Beaucoup se réfugient dans des magasins où ils resteront confinés plusieurs heures. "On a attendu un petit peu avant de sortir et puis on est allés voir dans la rue juste à côté et il y avait deux ou trois personnes au sol qui ne bougeaient plus", explique un commerçant.

"Ce sont des passants qui ont été touchés"

En l'espace de quelques minutes, la foule présente dans les rues est évacuée par les forces de l'ordre, les restaurants barricadés, le centre-ville bouclé. "Le marché de Noël était fermé, ce sont des passants qui ont été touchés", raconte Robert Herrmann, adjoint à la mairie.

>> "On est enfermés dans le noir" : les habitants de Strasbourg racontent leur confinement après la fusillade

Les habitants de Neudorf et parc de l'Etoile, deux quartiers situés aux abords du centre, sont également invités à rester chez eux. Tout au long de son parcours, qui le mène également dans la rue des Chandelles, la rue Sainte-Hélène et la rue du Pont Saint-Martin, "à plusieurs reprises, il a ouvert le feu avec une arme de poing et utilisé un couteau avec lequel il a blessé grièvement et donné la mort", selon le procureur de la République Rémy Heitz.

Il croise finalement quatre militaires de l'opération Sentinelle et tire dans leur direction, avant d'être blessé au bras par des tirs de riposte. Interrogé par franceinfo, Mehdi B. dit avoir assisté à un échange nourri en allant voir par "la fenêtre [d'un appartement] qui donne sur la rue des Drapiers".

On voit des militaires, cachés dans un recoin de la rue, en train de tirer sur un individu. Ils étaient en train d'échanger des coups de feu, ça a duré au moins dix minutes.

Mehdi B., un témoin

à franceinfo

Les rues animées de Strasbourg se vident en quelques minutes et les secours s'organisent pour répondre à l'urgence et au chaos. Une cellule médico-psychologique est ouverte place Gutenberg, dans les locaux de la chambre de commerce et d'industrie. Conçu pour les situations de crises exceptionnelles, le plan blanc est déclenché dans les hôpitaux – les premières victimes arrivent très tôt dans la soirée de mardi au Nouvel Hôpital civil (NHC) de la ville. Mercredi matin, on apprendra qu'au moins trois personnes sont mortes et que douze autres ont été blessées.

Un point de regroupement est installé sur la place Kléber, afin d'accompagner les premières victimes, pour les diriger vers les centres hospitaliers de la ville, qui retient son souffle. La préfecture ouvre une cellule d'information à l'usage du public (0 811 000 667). Deux gymnases, Louvois et Schoepflin, et le lycée Kléber restent ouverts pour tous ceux qui ne peuvent pas se mettre à l'abri.

Le centre-ville, le Parlement européen et la salle du Rhénus en confinement

Chérif C., lui, poursuit sa fuite. Il parvient à grimper dans un taxi et converse avec le conducteur. Face aux enquêteurs, ce dernier expliqué que le suspect lui a demandé de l'emmener dans le quartier de Neudorf, sans donner aucune adresse. A bord du véhicule, le suspect évoque son "passage à l'acte et explique avoir tiré sur des militaires et tué dix personnes", précise encore le procureur. Une fois sur place, une dizaine de minutes plus tard, le tireur présumé échange de nouveaux tirs avec des fonctionnaires de police et parvient à s'évanouir dans la nature, vers 21 heures.

Le Premier ministre Edouard Philippe active la cellule interministérielle de crise. Plusieurs bâtiments sont toujours en confinement, à commencer par le Parlement européen. "A l'image de la population, les députés européens sont [également] confinés, raconte l'élu LR Brice Hortefeux. Naturellement, tout le monde est sous le choc. Elus et personnel ont reçu des mails ou SMS leur demandant de rester à l'abri." Au bar de l'institution européenne, des parlementaires, des commissaires européens et des membres du personnel sont rassemblés toute la soirée, en attendant l'autorisation de pouvoir sortir.

Le public du théâtre national de Strasbourg patiente également. Dans la salle du Rhénus, le match de basket entre la SIG et Ljubljana a été interrompue. Le public improvise une Marseillaise en soutien aux victimes, puis le joueur Ali Traoré prend le micro pour faire entonner Petit papa Noël avec les spectateurs, qui ne pourront quitter le Rhénus qu'à minuit et demi, tribune par tribune. Les Strasbourgeois ne pourront pas acheter Les Dernières Nouvelles d'Alsace en kiosques, ce mercredi. En raison des mesures exceptionnelles, les ouvriers n'ont pas pu accéder aux rotatives de l'imprimerie.

L'identité du tireur est rapidement établie par les enquêteurs. Le suspect, Chérif C., un Français de 29 ans né à Strasbourg, a déjà été condamné à plusieurs reprises. Petit à petit, les informations le concernant émergent. On apprend qu'il est fiché "S" pour sa proximité avec la mouvance islamiste. Le parquet de Paris ouvre une enquête pour "assassinat, tentative d'assassinat en relation avec une entreprise terroriste et association de malfaiteurs terroriste criminelle", alors que le fugitif est toujours activement recherché. La circulation du tram transfrontalier est interrompue et le Land allemand voisin, le Bade-Wurtemberg, renforce les contrôles de police sur le pont de Kehl, ou pont de l'Europe, qui relie Strasbourg à l'Allemagne.

Les personnes confinées dans les restaurants et bâtiments du centre-ville commencent à être évacuées vers 1h30 et doivent subir une fouille avant de quitter le périmètre du centre. Puis le confinement de l'île centrale – Grande Ile – est levé. Malgré les efforts des forces de l'ordre, le tireur reste introuvable.

Un réveil "avec un goût de sang dans la bouche"

"Les recherches se poursuivent, c'est un homme très défavorablement connu pour des faits de droits commun pour lesquels il a fait l'objet de condamnations en France et en Allemagne", déclare le ministre de l'Intérieur Christophe Castaner, lors d'une conférence de presse dans la nuit de mardi à mercredi, vers 2h15. Le matin du mardi 11 décembre, le suspect a échappé à une perquisition à son domicile, selon les informations de France 3, alors qu'il était visé pour un braquage et une tentative d'homicide commis au mois d'août. A bord du taxi, Chérif C. a évoqué la découverte d'une grenade en son absence. C'est donc le témoignage du conducteur qui a permis aux enquêteurs d'établir un lien et d'identifier le suspect.

Alors que la traque se poursuit, le gouvernement porte le niveau du plan Vigipirate à "urgence attentat" et annonce la mise en place de contrôles renforcés aux frontières et dans l'ensemble des marchés de Noël en France, pour "éviter le risque de mimétisme". Police judiciaire appuyée par deux hélicoptères, brigades de recherche et d'intervention, PJ parisienne, Raid, soldats de l'opération Sentinelle... Environ 670 membres des forces de l'ordre et de sécurité – 420 policiers et 250 gendarmes – sont mobilisés dans Strasbourg et autour de la ville pour tenter d'identifier et de retrouver le suspect. Plusieurs perquisitions sont réalisées dans la nuit dans des lieux que Chérif C. "est susceptible de fréquenter", expliquera le procureur. Quatre de ses proches sont placés en garde à vue.

La capitale de Noël se réveille sonnée, mercredi, et n'a plus le cœur à la fête. "Les contrôles ne sont pas sûrs du tout à Strasbourg. On vous contrôle sans vous contrôler, dénonce Tony, un témoin des tirs qui a été pris en charge par la cellule médico-psychologique, sur franceinfo. Effectivement, ils mettent des dispositifs, mais votre sac ils ne le regardent même pas".

Ce mercredi, Strasbourg doit faire l'objet d'un quadrillage renforcé et le marché de Noël reste fermé, tout comme l'ensemble des sites et équipements culturels de la ville. Les écoles ouvrent bien leurs portes pour accueillir les enfants, sans assurer les cours. En guise d'hommage aux victimes, les drapeaux sont mis en berne et un registre de condoléances est ouvert. Alain Fontanel, premier adjoint au maire, résume le sentiment de beaucoup d'habitants. "C'est un choc, notre ville se réveille avec le goût du sang dans la bouche".

L'essentiel sur l'attentat à Strasbourg

• Traque du suspect, réactions... Suivez notre direct >> à lire ici

• Ce que l'on sait de l'attentat >> à lire ici

• Qui est l'auteur présumé de l'attentat ?  >> à lire ici

• EN IMAGES. "L'horreur au marché de Noël" : l'attentat de Strasbourg à la une des journaux régionaux  >> à lire ici

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.