Procès de l'attentat de Magnanville : l'accusé maintient n'avoir "aucune responsabilité" et déplore que l'on "cherche un coupable à tout prix"
"Je n'ai aucune responsabilité dans les agissements de Larossi [Abballa]. Je maintiens ma déclaration", déclare fermement Mohamed Lamine Aberouz, seul accusé du procès de l'attentat de Magnanville, à l'ouverture de son interrogatoire. Vendredi 6 octobre, le président de la cour d'assises spéciale de Paris commence par rappeler les charges qui pèsent contre lui : "complicité d'assassinat sur personne dépositaire de l'autorité publique", "association de malfaiteurs terroriste criminelle" et "complicité de séquestration en relation avec une entreprise terroriste".
Les enquêteurs ne le soupçonnent pas seulement d'avoir été au courant de ce que prépararait son ami d'enfance Larossi Abballa, l'homme qui a assassiné à coups de couteau le policier Jean-Baptiste Salvaing et sa compagne Jessica Schneider, devant leur fils de 3 ans. Ils le suspectent également de l'avoir aidé dans cette entreprise, puisque l'ADN de l'accusé a été retrouvé sur l'ordinateur portable des victimes.
Depuis sa mise en examen, Mohamed Lamine Aberouz, qui encourt la réclusion criminelle à perpétuité, clame son innocence. L'assaillant, tué par le Raid le soir du double assassinat, "n'est plus de ce monde, on cherche un coupable à tout prix", dénonce-t-il dans son box, vendredi. "Il est décédé, il ne peut pas répondre de ses actes, et on cherche à ce que moi aujourd'hui, je réponde de ses actes", poursuit ce Franco-Marocain âgé de 30 ans, qui connaît parfaitement le dossier. Interrogé pendant neuf heures l'accusé a répondu avec une grande précision, déterminé à démontrer qu'il ne connaissait rien des plans de Larossi Abballa et qu'il n'était pas présent sur les lieux du drame.
"Personne n'échappera à la justice divine"
Mohamed Lamine Aberouz n'a été suspecté que tardivement. Au lendemain des faits, le enquêteurs se sont d'abord orientés vers son frère cadet, Charaf Din Aberouz, ainsi que vers l'un des amis de ce dernier, Saad Rajraji. Ils les soupçonnaient d'avoir fourni une aide logistique à l'assaillant et ont été mis en examen, avant de bénéficier d'un non-lieu. "Depuis le début, on a cherché dans l'entourage [de Larossi Abballa], mon frère faisait le coupable idéal, on l'a chargé, on l'a chargé, on l'a chargé et on a déchargé sur moi", déplore l'accusé.
Mais très vite, il sort de cette posture victimaire et répond point à point, sur le fond du dossier. Le président l'interroge d'abord sur son rapport à l'idéologie jihadiste de l'organisation terroriste Etat islamique. "Je n'ai jamais légitimé quoi que ce soit sur la base de textes religieux, type un attentat ou un passage à l'acte violent", assure l'intéressé, avant d'ajouter, répondant à une autre question : "Si vous me demandez si j'approuve leurs méthodes, la réponse est non. Ils auront à rendre des comptes dessus devant Dieu, personne n'échappera à la justice divine, et eux les premiers".
Très à l'aise, ce fervent croyant, qui a effectué un séjour dans une école coranique en Mauritanie en 2010, n'hésite pas à livrer, à plusieurs reprises, son analyse géopolitique, concernant la Syrie, le Mali ou l'Irak. "Quand je fais le bilan de ces dernières années, toutes les interventions occidentales ont été une catastrophe (...) de mon point de vue, ça n'a apporté que du désordre, que du bazar", détaille celui qui se définit comme un "observateur" des conflits. De nombreux enregistrements audio seront en effet retrouvés par les enquêteurs, dans lesquels il se livre à des analyses sur l'actualité de l'époque.
Un compte Telegram supprimé juste après l'attaque
Mais que savait-il des intentions de son ami ? A sa sortie de prison en septembre 2013, après une condamnation pour participation à une filière jihadiste entre la France et le Pakistan, Larossi Abballa n'est jamais revenu "sur les détails de son affaire", affirme l'accusé. "Il s'était engagé à ne plus jamais entreprendre quoi que ce soit qui porterait préjudice à sa famille, et il s'est tenu à carreau pendant trois ans, d'où ma surprise et ma sidération devant son action", confie Mohamed Lamine Aberouz, rappelant que Larossi Abballa avait des projets de mariage et que son commerce de livraison de sandwichs semblait lui convenir.
Il relève toutefois que l'assaillant "n'a jamais digéré la détention, qui lui a causé beaucoup de problèmes, notamment psychologiques". "Mais, il ne m'a jamais confié une intention de passage à l'acte. Nos relations se seraient interrompues illico parce que je sais très bien que derrière, ça ne fait que des problèmes", assure-t-il.
Petit à petit, le président s'achemine vers le soir du drame. Pourquoi Mohamed Lamine Aberouz a-t-il supprimé son compte Telegram dans les heures qui ont suivi l'attaque ? L'accusé affirme avoir paniqué lorsqu'il a découvert le visage de son ami sur la vidéo de revendication qu'il a diffusée sur les réseaux sociaux. "Je suis dans la sidération la plus totale (...) à cause des liens que j'avais avec lui, je me dis : 'je vais avoir des répercussions, on va te reprocher tout et n'importe quoi' et j'ai eu un mauvais réflexe de peur, j'ai supprimé mon compte", décrit-il.
Un accusé sûr de lui
Et pourquoi, s'il n'a rien à se reprocher, a-t-il déposé chez un proche, quelques jours après l'attaque, une tablette, son ordinateur, celui de son frère, des clés USB et les passeports de sa famille ? "Vous craigniez une perquisition et qu'on retrouve de la documentation jihadiste ?", interroge le président. L'accusé réfute fermement. "Je ne voulais pas qu'on me saisisse mes biens", soutient-il. "S'il y avait eu une utilisation criminelle [de ces objets], j'aurais juste détruit ces éléments", glisse-t-il avec assurance.
En arrive le nœud du procès : la question de son ADN, retrouvé sur le repose-poignet de l'ordinateur du couple de policiers, preuve éclatante selon l'accusation que Mohamed Lamine Aberouz était avec Larossi Abballa le soir du double assassinat, et qu'il a réussi à s'enfuir avant l'assaut des forces de l'ordre. C'est cette empreinte génétique qui a fait basculer l'enquête, lorsqu'elle a été recoupée dans le Fichier national automatisé des empreintes génétiques (Fnaeg) comme étant la sienne, le 30 août 2017, plus d'un an après les faits.
Le policier qui a procédé à sa garde à vue, en décembre de cette même année, s'est étonné qu'il ne manifeste "pas de surprise, pas d'abattement quand on lui annonce que l'on trouve son ADN sur la scène de crime", relève le président. L'accusé a tout de suite émis l'hypothèse d'un transfert de son ADN, déposé par Larossi Abballa, qu'il avait l'habitude de côtoyer. Il relate en détail cette garde à vue et assure avoir subi "une pression de dingue". "Ils étaient trois à me vociférer dessus de manière véhémente pour m'extorquer des faux aveux et m'ont dit en boucle : 'Y a ton ADN, t'étais là-bas, y a ton ADN !", raconte-t-il debout dans son box. "Moi j'ai réitéré : je n'ai jamais participé à cet attentat, et si de l'ADN s'est retrouvé là-bas, c'est du fait de l'auteur et du fait que je l'ai fréquenté".
La question de l'ADN toujours en suspens
Le président s'étonne qu'il ait tout de suite livré cette explication rationnelle et lui demande si son frère ne lui aurait pas fourni des informations, que ce dernier aurait obtenues lors de ses différents interrogatoires, dans le cadre de sa mise en examen. "Il ne me parlait que des éléments incriminants le concernant, il ne m'a jamais parlé d'ADN", répond Mohamed Lamine Aberouz.
La possibilité d'un transfert d'ADN est la clef de voûte de la défense. Deux experts ont été appelés à la barre la dernière semaine de septembre pour savoir si cette trace prouve bel et bien que l'accusé a touché à l'ordinateur du couple. Mais aucune réponse claire n'a été dégagée, l'un d'eux assurant même : "Nous ne pourrons jamais conclure définitivement" s'il y a eu transfert ou pas.
Mohamed Lamine Aberouz sait qu'il est en position de force sur ce sujet et que l'accusation qui se fonde sur cette soi-disant "reine des preuves" est sortie fragilisée de cette audience. Lui qui connaît son dossier par cœur redit à quel point il regrette que le bas du gant que portait Larossi Abballa, le 13 juin 2016, n'ait pas été expertisé, malgré deux demandes de la défense. Celle-ci pense que cet accessoire a pu être le vecteur du transfert de l'ADN de l'accusé. "Aujourd'hui, votre juridiction va devoir se prononcer avec cette lacune criante", lance-t-il, avec la même assurance que celle qui a guidé l'ensemble de cet interrogatoire.
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