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A Saint-Etienne-du-Rouvray, "c'est à nous d'avoir peur désormais"

Après l'attaque terroriste à l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray, qui a causé la mort d'un prêtre et blessé grièvement un fidèle le 26 juillet, toute la ville est sous le choc. 

Article rédigé par franceinfo - Juliette Duclos
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Publié Mis à jour
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Des bougies sont déposées devant la mairie de Saint-Etienne-du-Rouvray (CHARLY TRIBALLEAU / AFP)

"Qu'est-ce qui se passe ? Pourquoi il y a autant de policiers ?" Un jeune homme rentre du travail vers son domicile à Saint-Etienne-du-Rouvray en voiture. Mais ce mardi 26 juillet, de nombreuses rues de cette petite ville de 28 000 habitants sont bloquées par les forces de l'ordre. Et les journalistes sont omniprésents. La vitre ouverte, il tente désespérément d'en savoir plus, "mais il y a eu un accident ?" Très vite, des personnes aux alentours lui expliquent la situation. Ses mains sur le volant commencent à trembler. Les habitants tentent de le calmer. Il allume compulsivement les infos à la radio, en répétant en boucle, "c'est pas possible, c'est pas possible". Cela fait plusieurs heures déjà qu'il n'avait plus de batterie sur son portable. Le Stéphanais réalise brutalement que sa commune a sombré le matin même dans le cauchemar.

>> Suivez la situation en direct après l'attentat de Saint-Etienne-du-Rouvray

Il est 9h30 quand débute l'attaque le 26 juillet. Deux hommes font irruption lors de la messe, dans l'église Saint-Etienne. Ils se précipitent vers le prêtre de 84 ans, Jacques Hamel, l'obligent à se mettre à genoux et le blessent mortellement à la gorge et au thorax avec un couteau. Un fidèle est grièvement touché. Les deux assaillants sont tués par la BRI en sortant du bâtiment. L'attentat, revendiqué par l'organisation Etat islamique (EI) bouleverse la population. 

"Une autre église, une autre ville"

Dans les rues, l'atmosphère est particulièrement lourde. Des caméras sont postées à chaque recoin de rue, à la recherche de témoignages. Chacun se souvient exactement de ce qu'il faisait et où il était quand l'attaque s'est produite. Nassim, 15 ans, regardait Harry Potter dans sa chambre, "celui avec la coupe et les dragons", Shauna, 19 ans, allait chercher du pain près de l'église quand la police lui a dit de partir. Kevin, 26 ans, sortait son chien et a entendu des coups de feu. Dans cette petite ville tranquille de la banlieue de Rouen, personne ne s'attendait à un tel drame. "C'est quand même perdu ici", estime Shauna. "Cela fait 50 ans que je vis ici, et il n'y a jamais eu de problème, jamais", s'inquiète un retraité, alors que des journalistes préparent leurs duplex à côté. 

Adossés à un mur, Céline et Frédéric, regardent la scène d'un air distant. Les deux habitants sont sous le choc. Céline enchaîne clope sur clope, fébrile. "Jacques Hamel s'est occupé de l'enterrement de mes parents, raconte-t-elle. La semaine passée, je l'avais encore vu pour le baptême du gosse d'une copine."

Pour les deux habitants, le prêtre auxiliaire laissera l'image d'un homme très proche de sa communauté et très intégré dans la ville. "Il avait toujours les mots qu'il fallait", se souvient la trentenaire. Mais il est encore trop tôt pour le deuil. Quelques heures après le drame, "on a toujours du mal à réaliser, on se dit encore que ce n'est pas vrai, que c'est une autre église et une autre ville." Très vite, l'attentat de Nice, qui a causé la mort de 84 personnes le soir du 14-Juillet, est évoqué : "C'est à nous d'avoir peur désormais."

On ne sait pas quoi dire. Normalement, on voit ça à la télé. Maintenant, la télé est chez nous.

Céline, habitante de Saint-Etienne-du-Rouvray

à Francetv info

"Ils veulent créer de la haine"

La peur. C'est le sentiment qui domine les discussions des Stéphanois. Peur de la division, peur des conséquences, peur de l'autre... Kamel, 40 ans, a toujours vécu ici. Comme tous, il est sous le choc, "ce prêtre, il m'a vu grandir." Mais le quadragénaire raconte aussi qu'à midi, à table, un collègue, en réaction à l'attentat, l'a regardé en affirmant qu'il faudrait "virer tous les arabes". Kamel a refusé de répondre, et pris sur lui. "Ils veulent créer de la haine, mais je ne tomberai pas dedans."

Comme à Nice, la communauté musulmane craint plus que tout l'amalgame. "Alors que nous, on n'a rien à voir avec ces fous". L'identité d'un des jihadistes a rapidement circulé après les faits. Les perquisitions, qui ont lieu dans différents endroits de la ville, alimentent les conversations. De nombreux jeunes évoquent "A.K.", alias Adel Kermiche, qui a effectué sa scolarité au collège Paul-Eluard de la ville. Une identité confirmée dans la soirée par le procureur de la République de Paris, en charge de l'enquête. 

En attendant de connaître le nom du deuxième assaillant et d'en savoir plus sur les motivations des terroristes, les habitants sont rentrés chez eux, fermant derrière eux les volets. A la tombée de la nuit, des fleurs sont déposées devant la maison de Jacques Hamel. Devant la mairie, de nombreuses bougies s'allument. Pour Saint-Etienne-du-Rouvray, après le choc, le temps du recueillement commence. 

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