Cinq questions sur la situation judiciaire d'Adel Kermiche, un des terroristes de Saint-Etienne-du-Rouvray
L'attentat perpétré mardi à Saint-Etienne-du-Rouvray par deux jihadistes pose la question des moyens mis en place pour prévenir les attentats et réaliser un suivi des candidats au jihad. L'un des deux terroristes, mis en examen en 2015 pour avoir tenté de rejoindre la Syrie, était sous bracelet électronique.
L'attentat qui a causé la mort d'un prêtre au sein même de son église, mardi 26 juillet, à Saint-Etienne-du-Rouvray (Seine-Maritime), pose plusieurs questions sur les dispositifs destinés à prévenir de tels actes sur le sol national. Car Adel Kermiche, l'un des deux assaillants de cette attaque revendiquée par l'Etat islamique, était déjà connu des autorités et était sous le coup d'une mise en examen pour avoir tenté de rejoindre la Syrie. Il disposait même d'un bracelet électronique.
Comment ce Français de 19 ans, connu des services antiterroristes, a-t-il pu commettre son forfait ? Quelle était la situation juridique d'Adel Kermiche ? Voici ce que l'on sait.
Quand Adel Kermiche a-t-il eu affaire à la justice et aux services de renseignement ?
Adel Kermiche a tenté de rallier la Syrie par deux fois en 2015. D'abord en mars, en passant par l'Allemagne, alors qu'il est encore mineur. Ses parents signalent sa disparition le 23 mars. Il est interpellé et remis aux autorités françaises. Le 28 mars, il est mis en examen pour "association de malfaiteurs en lien avec une entreprise terroriste" et laissé libre sous contrôle judiciaire.
Il récidive quelques semaines plus tard, en mai, alors qu'il est devenu majeur. Adel Kermiche tente cette fois de rejoindre la Syrie via la Suisse puis la Turquie où il est arrêté, le 13 mai, grâce au signalement dans les fichiers. Renvoyé d'abord en Suisse, il est remis aux autorités françaises le 22 mai. Au terme de cette deuxième tentative, son contrôle judiciaire est révoqué. Il est alors placé en détention provisoire lors de son retour à Paris.
Pourquoi sort-il de prison en mars 2016 ?
Après dix mois de détention provisoire, Adel Kermiche est libéré en mars 2016 et assigné à résidence sous bracelet électronique. C'est une juge d'instruction antiterroriste (un magistrat indépendant du pouvoir politique) qui accepte d'aménager sa détention. A l'époque, la magistrate estime "que les parents de ce jeune homme pouvaient sérieusement l'encadrer", rapporte Europe 1. Selon sa famille, Adel Kermiche dispose de possibilités d'emploi comme animateur dans un centre de loisirs. Il est "déterminé à entamer des démarches d’insertion", souligne la juge antiterroriste dans son ordonnance, citée par Le Monde. La magistrate motive aussi sa décision par le fait qu'il aurait "pris conscience de ses erreurs" et qu'il a eu "des idées suicidaires" en prison.
"J'ai envie de reprendre ma vie, de revoir mes amis, de me marier", affirme à la magistrate celui qui, en cellule, a fait connaissance avec un jeune Français ayant passé 18 mois dans les troupes de l'Etat islamique. "Je suis un musulman basé sur les valeurs de miséricorde, de bienveillance. Je ne suis pas extrémiste", assure-t-il.
Le parquet (qui dépend du ministère de la Justice) juge l'ordonnance de la magistrate "peu convaincante" et fait appel de cette libération. "Quoiqu’il fasse état d’une erreur et réclame une seconde chance, il existe un risque très important de renouvellement des faits en cas de remise en liberté", estime le ministère public cité par Le Monde. L'appel est examiné par un collège formé de trois magistrats de la chambre d'instruction qui le rejettent. Adel Kermiche est donc assigné à résidence chez ses parents et placé sous bracelet électronique.
Pourquoi n'était il pas encore jugé ?
Si Adel Kermiche est en liberté conditionnelle, l'information judiciaire à son encontre est donc toujours en cours, dans l'attente de son jugement. En raison du travail d'enquête, mais aussi de l'encombrement des tribunaux, il n'est pas rare qu'un prévenu attende plus d'un an avant d'être jugé. "Dans ce type d'affaires, il faudrait arriver à les juger très vite. Sinon, cela pose problème car vous mettez des gens en prison pour le danger qu'ils représentent et non pour ce qu'ils ont réellement fait, explique à L'Express Marc Trévidic, ancien juge d'instruction antiterroriste qui avait mis en examen Adel Kermiche en 2015. Je rappelle que Kermiche n'avait pas réussi à rejoindre la Syrie et n'était pas en contact avec des membres de l'Etat islamique sur zone."
Le magistrat déplore aussi l'absence de "troisième voie" entre "l'emprisonnement et la libération sous contrôle judiciaire" : "Nous sommes faces à des profils atypiques, pour qui le contrôle judiciaire classique ne peut pas marcher. "
Dans quelles conditions était-il suivi ?
Placé sous contrôle judiciaire, Adel Kermiche est assigné à résidence, chez ses parents à Saint-Etienne-du-Rouvray. Il a l'interdiction de quitter la Seine-Maritime. Le jeune homme doit pointer une fois par semaine au commissariat et ses papiers d'identité sont confisqués. Il doit aussi se soumettre à une prise en charge psychologique.
Il a l'autorisation de sortir du domicile familial de 8h30 à 12h30 en semaine et de 14h à 18h les week-ends et jours fériés. Son bracelet n'a donc pas sonné lorsqu'il pénètre dans l'église de Saint-Etienne-du-Rouvray en pleine messe, vers 9h25.
Etait-ce le seul soupçonné de radicalisation à porter un bracelet électronique ?
Treize personnes sont actuellement surveillées à l'aide d'un bracelet électronique en France en lien avec des affaires de jihadisme, selon le ministère de la Justice. Il s'agit de sept personnes mises en examen et en attente de jugement, assignées à résidence sous surveillance électronique et de six individus placés sous surveillance électronique après avoir été condamnés, précise la chancellerie.
L'assassinat du prêtre dans son église relance le débat autour du port du bracelet électronique pour des suspects dans des affaires liées au terrorisme. Contactée par francetv info, Virginie Duval, présidente de l'Union syndicale des magistrats, regrette une sorte de trou noir législatif en matière de bracelet électronique et de détention provisoire pour les individus suspectés de radicalisation islamiste.
"Il faut en finir avec cette possibilité qui est donnée de libérer pendant sa détention provisoire, donc avant son jugement, tout individu mis en examen pour un quelconque lien avec le terrorisme", estime quant à lui Frédéric Lagache, secrétaire général adjoint du syndicat policier Alliance. Même son de cloche chez Unité SGP Police FO : "S'il n'est pas question d'enfermer tous les fichés S car nous sommes dans un Etat de droit, il faut placer en détention tous mis en examen dans des affaires de terrorisme", explique à francetv info Yves Lefebvre, secrétaire général du syndicat. "S'ils sont mis en examen, dans l'attente de leur jugement, ils sont potentiellement dangereux."
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