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"Chez moi, c'est un terrain de guerre civile" : à Calais, les entrepreneurs excédés par la crise des migrants bloquent la ville

Chauffeurs de poids lourds, commerçants et agriculteurs du Calaisis ont décidé de bloquer l'accès à la rocade de Calais, lundi, pour protester contre les pertes économiques qu'ils subissent à cause de la crise des migrants. Franceinfo est allé à leur rencontre.

Article rédigé par Kocila Makdeche - Envoyé spécial à Calais,
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Des migrants tentent de pénétrer dans un camion en direction de l'Angleterre, le 20 juin 2016 à Calais. (MAXPPP)

"J’ai passé 27 heures à ramasser tout ça..." Excédé, Xavier Foissey inspecte comme chaque matin son exploitation et constate les dégâts. Il s’arrête devant un amoncellement de sacs poubelle. À l’intérieur, des vêtements, des pierres et des barres de fer laissés par des migrants dans ses 55 hectares de champs. Dans un autre sac, les restes de grenades lacrymogènes tirées par les CRS. "Je n’en peux plus de faire le ménage. Chez moi, c’est devenu un vrai terrain de guerre civile."

Le corps de ferme de cet agriculteur est situé le long de l’autoroute A16 à Marck, une ville de la périphérie de Calais. Un passage obligé pour les migrants de la "jungle", qui tentent par tous les moyens d'embarquer clandestinement dans un camion à destination de l’Angleterre. Avec plusieurs dizaines de collègues, exaspérés comme lui par ce quotidien sordide, Xavier Foissey a décidé de bloquer l’accès à la rocade de Calais, lundi 5 septembre, avec l’aide des chauffeurs de poids lourds.

"Je ne dors jamais tranquille"

Ce blocus est organisé sous l’impulsion du Rassemblement pour le Calaisis, un mouvement qui regroupe aussi des commerçants et des entrepreneurs de la région. 

La situation ici est une véritable cocotte-minute. Si les pouvoirs publics ne font rien, ça risque de finir en drame.

Xavier Foissey, agriculteur

à franceinfo

La semaine dernière, l'exploitant a sorti son fusil de chasse. "J’ai été réveillé à 3h30 du matin. Je suis venu avec ma voiture sur mon terrain et j’ai tiré en l’air pour leur faire peur. Ils étaient une centaine", explique-t-il en montrant un bosquet. Derrière sa carrure imposante, ce père de deux enfants avoue être épuisé psychologiquement. "Imaginez ce que c’est de ne jamais dormir tranquille, de ne plus se sentir en sécurité chez soi."

Depuis le début de l’année, la tension est montée d’un cran sur les autoroutes calaisiennes. Maintenant qu’ils ne peuvent plus accéder au port, entouré de kilomètres de barbelés, les migrants n'hésitent plus à dresser des barrages directement sur la rocade. "Ils m’arrachent des arbres fruitiers, parce qu’ils sont bien touffus, et s’en servent pour bloquer les camions, raconte l’agriculteur. Ils me prennent aussi des bottes de paille et le lin que je cultive. Ils y mettent le feu pour forcer les chauffeurs à s’arrêter."

Xavier Foissey montre un des arbres qui ont été arrachés sur son exploitation, à Marck (Pas-de-Calais).  (KOCILA MAKDECHE / FRANCEINFO)

"Les migrants prennent des risques dingues"

"C’est très impressionnant." Le mois dernier, Franck a été stoppé par un de ces barrages, alors qu’il conduisait son 19 tonnes vers la province britannique du Kent. "Les migrants n’en peuvent plus. Du coup, ils commencent à être plus agressifs." Ce quinquagénaire, à la chevelure presque argentée, assure avoir été menacé par une douzaine de jeunes hommes, équipés de bâtons et d'une scie pour l’un d’entre eux. Tous voulaient monter dans sa remorque. "Après, on arrive au port et on explique la situation à la police aux frontières. Résultat, on est retenu pendant quatre ou cinq heures."

"Sauf que pendant ce temps, les migrants restent dans le camion et écrasent la marchandise", ajoute Eric Fiolet, gérant d’une entreprise de transport routier à Arques (Pas-de-Calais). Le transporteur doit ensuite payer des indemnités de retard à son client. "Si on ne fournit pas un supermarché à temps, c’est de 5 000 à 10 000 euros qu’on doit payer, nous !"

Sur les autoroutes aux abords du port, ces situations sont devenues le quotidien des professionnels. "Après la route qu’ils ont parcourue, les migrants se sentent si près du but qu’ils sont prêts à tout pour passer. Ils prennent des risques dingues et nous mettent aussi en danger", explique un jeune chauffeur de taxi, en montrant du doigt des traces de pneus imprimées sur le bitume, laissant deviner un récent freinage d’urgence. Les deux mains sur le volant, il raconte avoir déjà vu un corps sans vie sous un drap, le long de la bande d’arrêt d’urgence. 

Cette situation ne peut pas durer. On est en France, quand même.

Un chauffeur de taxi calaisien

à franceinfo

"On est très loin d’être des pro-Marine Le Pen"

Mais que faire face à une telle crispation ? Dans la "jungle", vaste camp aux conditions de vie sordides, le nombre de migrants ne cesse de croître, oscillant entre 6 900 et 10 000 selon les estimations. Difficile, donc, de les empêcher de tenter de se rendre en Angleterre, synonyme d’eldorado pour ces personnes qui fuient les conflits du Proche-Orient ou de la corne de l’Afrique.

"On n'est pas contre les migrants, qui sont des pauvres gens, mais bien contre ce camp, insiste Frédéric Van Gansbeke, président du Collectif des entreprises et commerces du Calaisis, fort d'environ 700 membres. Vous savez, on est très loin d’être des pro-Marine Le Pen."

En quelques mois, ce boulanger est devenu la voix de la grogne des entrepreneurs locaux. Nommé porte-parole du Rassemblement pour le Calaisis, qui organise le blocage de lundi, il multiplie les interviews. "BFMTV, et même la BBC, Sky News et Al Jazeera... En l’espace de 20 minutes, j’ai eu sept appels en absence, et ce ne sont que des journalistes", explique-t-il.

"Je crains que ça ne finisse avec des morts"

Le collectif demande notamment un moratoire sur les taxes pour les entrepreneurs calaisiens, qui subissent un préjudice économique dû à la mauvaise presse de la ville. "On a de moins en moins d’Anglais depuis que des tabloïds comme le Sun ou le Daily Mail font leurs unes sur nous, peste un restaurateur du centre-ville. Ils font passer Calais pour l’enfer, alors que c’est faux !"

D’après les chiffres de l’office du tourisme intercommunal Calais Côte d’Opale, cités par La Voix du Nord, les demandes d'informations ont baissé de 30% en juillet, notamment celles des touristes anglais. "Entre la fin de l’année 2015 et le mois de mai 2016, le secteur de la restauration a subi une baisse de 40% de son chiffre d'affaires. Pour le commerce de détail, c’est de 20% à 30%, assure Frédéric Van Gansbeke. Ce que je crains, c’est qu’un jour, un entrepreneur pète les plombs et que ça finisse avec des morts."

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