Dans la "nouvelle jungle" de Calais, une opération humanitaire pour améliorer le quotidien des migrants
Quatre ONG ont lancé une opération visant à améliorer l'accès à l'eau, à la nourriture, à l'hygiène et aux soins pour les 3 000 migrants qui vivent dans ce bidonville.
"Qu’est-ce qui est le plus dur ici ? Mais tout ! Tout est dur ici !" Jeune réfugié politique soudanais, Fatih affiche un sourire désabusé quand il évoque, mercredi 1er juillet, ses conditions de vie, et celles des migrants qui occupent le camp appelé la "nouvelle jungle" de Calais (Pas-de-Calais). La veille, quatre ONG – Médecins du monde, Solidarités international, le Secours catholique et le Secours islamique français – ont lancé une opération conjointe pour lutter contre ce qu'elles appellent une "crise humanitaire majeure".
Le lieu, prévu pour 1 500 migrants, en abrite aujourd'hui le double. On y trouve "seulement 30 robinets, 50 douches et 26 toilettes", détaille Solidarités international, loin des normes internationales qui imposent, au minimum, "des latrines pour 20 personnes et un point d’eau pour 250 personnes".
Des tentes bâties avec des matériaux trouvés dans des décharges
Sur place, l'extrême précarité des conditions de vie saute aux yeux. La lande qui constitue cette "jungle" est une étendue de 18 hectares de poussière et de sable, parsemée de buissons et de petites dunes. Entre elles se dressent des tentes de fortune, faites de bâches, de sacs-poubelle, mais aussi de matériaux de récupération aussi étonnants qu'un drapeau de l'équipe de France ou un tapis léopard. Fatih explique fièrement qu'il lui a fallu quatre heures, avec deux amis, pour monter sa tente à base de matériaux récupérés dans les décharges avoisinantes. En tout, ils sont une quinzaine de personnes à occuper quatre tentes au nord-ouest de la "jungle", dont une abrite la cuisine : des étagères garnies de paquets de pâtes et d'un peu de vaisselle sale, et un petit feu sur lequel un des migrants prépare des œufs brouillés à la tomate.
Mais Fathi et ses compagnons ont surtout construit leur propre douche de fortune. "Si je remplis trois jerricans d'eau, j'ai de quoi prendre une douche de quatre minutes" explique-t-il. Ce qui lui évite d'utiliser les douches du centre Jules-Ferry, qui sont, pour l'instant, la seule alternative. Cet ancien centre aéré, situé à une extrémité du camp, a été reconverti en centre d'accueil de jour, géré par une association, quand la municipalité a regroupé les migrants sur ce terrain en mars. On y trouve aussi un point d'eau, qui a longtemps été le seul de la "jungle", et une distribution quotidienne de repas gratuits. Mais ce dispositif, et plus largement toutes les infrastructures du camp, ne peuvent faire face à cette arrivée massive de migrants.
Douches, toilettes, repas... "Il faut faire la queue pour tout"
Résultat : il faut faire "la queue pour la nourriture, pour les toilettes, pour tout", déplore Fathi. Céline Morin, responsable distribution de Solidarités international, explique que la file d'attente pour les repas se forme à midi pour une distribution qui se termine à 17 heures, et qu'il faut parfois attendre des heures pour avoir de l'eau. "A force de faire la queue pour tout, les migrants sont obligés de choisir entre ces services", regrette-t-elle.
Fathi et ses camarades ne vont presque jamais chercher à manger au centre, et ont abandonné l'idée d'utiliser les latrines : "Si j'ai envie d'aller aux toilettes et que je suis pressé, je ne vais pas attendre mon tour", rigole-t-il. Il n'est pas le seul, et cela n'améliore pas la situation sanitaire : Solidarités international, dans un communiqué, déplore que la cinquantaine d'enfants de la "jungle" "jouent entre déchets et immondices".
Pour faire face à cette situation, Solidarité international doit construire, dans les semaines à venir, 18 nouvelles douches et autant de latrines, réparties par blocs de trois, un peu partout dans le camp. Pas d'eau courante – les ONG prévoient une distribution de seaux et jerrycans la semaine prochaine – mais des constructions en dur. Mardi, Solidarité international a aussi distribué des kits d'hygiène, contenant une serviette de bain, du gel douche et du shampooing, de quoi se brosser les dents et se raser, et des serviettes hygiéniques (selon les associations, entre 200 et 300 femmes vivent sur le site). Le lendemain, on remarque ces petits sacs sur le dos de nombreux migrants : 2 500 ont trouvé preneur, se réjouit Cécile Morin. En parallèle, le Secours islamique a distribué de la nourriture, et le Secours catholique doit aider les migrants à aménager des cuisines et des abris.
Des médecins qui comblent un vide
L'autre gros problème, dans cette nouvelle "jungle", c'est l'accès aux soins. Lundi, une clinique mobile a été installée par Médecins du monde pour proposer des consultations médicales gratuites aux migrants. Deux petits chalets en bois et quelques tentes où deux médecins et deux infirmières, tous bénévoles, ont pu accueillir une soixantaine de patients, mercredi. Jusqu'ici, les malades pouvaient consulter un infirmier au centre Jules-Ferry, mais il n'est présent que deux heures par jour, et n'est pas habilité à prescrire des traitements médicaux. Quant au centre hospitalier de Calais, où il existe une permanence d'accès aux soins de santé pour les personnes en situation précaire, il est situé à plus de 6 km.
Fatih, qui est asthmatique, ne compte pas dessus : "Si je fais une crise et que je vais à l'hôpital, je sais que je mettrai deux heures pour rentrer." Trop loin, également, pour les nombreux migrants victimes d'entorses ou de fractures consécutives à leurs tentatives de grimper dans des camions pour passer en Angleterre. C'est comme ça qu'Ibrahim, qui partage la tente de Fatih, s'est fracturé deux doigts il y a quelques jours. Il nous montre son bandage : depuis leur arrivée, les employées de Médecins du monde font la navette pour déposer à l'hôpital les blessés les plus sérieux.
Une clinique éphémère
La plupart des patients venus à la clinique, vendredi, ont plutôt des problèmes de santé liés aux conditions de vie dans la "jungle", explique Aurélie, intervenante santé pour l'ONG. Il s'agit surtout d'affections respiratoires ou dermatologiques, "liées à la poussière et au fait qu'ils vivent dehors". La gale se propage aussi dans le camp : difficile de la traiter efficacement, il faudrait pour cela que les patients puissent changer complètement de vêtements et de couchage. On ne trouve pas, en revanche, de grosses pathologies chroniques : "Les migrants sont en majorité des hommes jeunes, qui ont fait beaucoup de kilomètres. Ceux qui arrivent jusqu'ici sont plutôt en forme", assure Aurélie.
Avec cette clinique, l'organisation humanitaire veut aussi offrir aux réfugiés une rupture dans la vie du camp, un espace de tranquillité. "On leur propose des activités" dans une tente aménagée en salle d'attente, explique la coordinatrice régionale de Médecins du monde, Isabelle Bruand. Des jeux de société, des cartes... "Pour l'instant, ce qui leur plaît beaucoup, c'est le dessin. C'est aussi un moyen pour eux d'exprimer des choses qu'ils ont plus de mal à dire avec les mots." Un moyen, aussi, peut-être, d'exorciser leurs traumatismes. "Beaucoup ont dessiné des bateaux", confie Isabelle Bruand.
Si certaines infrastructures sont conçues pour durer - les nouvelles douches et les toilettes devraient être utilisables pendant deux ans, estiment les bénévoles -, l'opération des quatre ONG est ponctuelle. La clinique devrait plier bagage à la fin du mois de juillet. Isabelle Bruand espère qu'à leur départ, les autorités prendront le relais. A la mi-juin, le gouvernement avait annoncé son intention "d'humaniser" l'accueil des migrants. Mais, selon Libération, un rapport d'expert, commandé en septembre par le ministère de l'Intérieur, et remis, mercredi, à Bernard Cazeneuve, l'a mis en garde contre les risques de mettre en place "un dispositif humanitaire trop généreux" à Calais.
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