Programme de suivi des individus radicalisés : "On n'a absolument pas à rougir de ce qu'on fait en France par rapport à ce qui est fait à l'étranger"
Un rapport de l'Institut français des relations internationales, effectué par Marc Hecker, montre que sur 120 personnes suivies depuis 2018 par le programme d’accompagnement des individus radicalisés, aucune n’a récidivé en matière de terrorisme.
"C'est un constat plutôt rassurant", a estimé dimanche 31 janvier sur franceinfo Marc Hecker, directeur de la recherche, spécialiste de la radicalisation à l’Institut français des relations internationales (IFRI), et auteur d'un rapport sur les centres de déradicalisation. Ce rapport montre que sur les 120 personnes suivies depuis 2018 par le programme d’accompagnement des individus radicalisés, aucune n’a récidivé en matière de terrorisme. Ces personnes ont bénéficié du programme Pairs (programme d’accueil individualisé et de réaffiliation sociale) qui a été mis en place en 2018 pour prévenir la récidive de personnes radicalisées non détenues, mais sous le coup d’une décision de justice. Selon lui, "on n'a absolument pas à rougir de ce qu'on fait en France par rapport à ce qui est fait à l'étranger" en matière de déradicalisation.
franceinfo : Vous faites un constat plutôt positif ?
Marc Hecker : C'est un constat plutôt rassurant, effectivement, c'est-à-dire que parmi les dizaines individus qui sont passés par ce programme et qui étaient en post- sentenciel, donc en sortie de prison, condamnés pour des faits de terrorisme, aucun n'a récidivé en matière de terrorisme. Il y a eu un retour en prison, mais ce n'était pas pour du terrorisme. Par ailleurs, il y a une autre catégorie de personnes suivies dans ce programme, ce sont des détenus dits de droit commun, susceptibles ou suspectés de radicalisation. Ce sont des personnes qui n'ont pas été condamnées pour des faits de terrorisme, mais qui sont considérées comme radicalisées par l'administration pénitentiaire. Ceux-là, en revanche, ont plus tendance à retourner en prison, mais pas pour des raisons de terrorisme. Il y en a un seul qui est retourné en prison jusqu'à présent en lien avec la radicalisation. Pour les autres, c'était du droit commun.
Comment se présente ce programme de déradicalisation ?
Mon rapport, qui paraît lundi sur le site de l'Institut français des relations internationales, essaye d'ouvrir cette boîte noire de la déradicalisation, du désengagement. Pour faire simple, il y a trois piliers. Il y a pilier social avec une aide à la réinsertion qui est apportée à ces individus. Un pilier psychologique parce que beaucoup de ces individus ont des troubles psychologiques. Et certains qui sont peu nombreux, une minorité, souffrent de troubles psychiatriques. Et puis, il y a un pôle idéologique. Il s'agit vraiment de faire évoluer la vision du monde de ces individus avec des aumôniers ou des islamologues qui interviennent. Un intervenant pénitentiaire m'a dit un jour on ne peut pas perquisitionner un cerveau. Et c'est pour ça que le terme déradicalisation n'est plus tellement employé dans le milieu. On préfère celui de désengagement parce que le terme de désengagement permet de mesurer justement la sortie de la violence. On voit si la personne a encore des contacts avec des personnes radicalisées ou dangereuses. On voit si la personne continue à visiter certains sites web problématiques et on peut effectivement voir si cette personne est sur son chemin ou si elle continue à ne pas respecter la loi, tout simplement.
Comment savoir si un repenti ne pratique pas la taqiya, l'art de la dissimulation, et s'il ne manipule pas son entourage ?
C'est toute la question. Les professionnels travaillent de manière pluridisciplinaire avec un suivi très intensif qui peut aller jusqu'à 20 heures par semaine et sur plusieurs mois, parfois même sur plus d'un an. Donc, à la longue, ils perçoivent certains signes de taqiya qui peuvent intervenir chez certains individus. En parallèle de ce programme, évidemment, la surveillance des services de renseignement se poursuit. Ce n'est pas une alternative soit le programme, soit la surveillance par les services de renseignement. C'est plutôt un outil qui s'ajoute à l'écosystème global de lutte contre le terrorisme et la radicalisation.
La France est-elle en retard par rapport à ses voisins européens ?
La France est rentrée tardivement dans le jeu. Elle s'est intéressée à la question de la contre-radicalisation à partir de 2013, 2014. Au début, il y a eu beaucoup de tâtonnements en France, quelques dérives. Là, maintenant, ce que montre mon étude, c'est que les programmes sont plutôt stabilisés et qu'on a rejoint les normes internationales et de plutôt bonne qualité. On n'a absolument pas à rougir de ce qu'on fait en France par rapport à ce qui est fait à l'étranger.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.