L'opérateur téléphonique est mis en cause pour "homicide involontaire" par l'inspection du travail du Doubs
L'inspecteur du travail chargé d'enquêter sur le suicide d'un salarié de France Télécom en août dans le Doubs a remis au parquet un rapport pour "homicide involontaire par imprudence" et "mise en danger délibéré de la vie d'autrui", selon Le Parisien et lemonde.fr.
Une décision "rarissime", aux dires des spécialistes.
Le décès du salarié est "en lien avec le travail", estime le document.
Début 2009, un technicien "est muté d'office dans une unité chargée de dépanner les clients" de l'opérateur de téléphonie, raconte Le Parisien. Un poste qu'il ressent alors "comme très disqualifiant", selon un délégué SUD-PTT. A tel point qu'il doit être hospitalisé, selon lemonde.fr.
De plus, il envoyé dans sa nouvelle affectation sans formation. Alors que celle-ci pour ce type de poste dure théoriquement entre huit et neuf mois. La proposition de formation ne viendra que sept mois après la prise de poste.
Quelques jours après, le salarié se suicide. "Il laisse des lettres expliquant son geste", rapporte lemonde.fr. Le 12 août, le parquet de Besançon conclut qu'il est "impossible" d'établir un lien formel de causalités entre ses difficultés au sein de France Télécom et son décès.
"Alors qu'il a été laissé seul face aux clients (...) et qu'il n'a pas reçu de formation théorique adéquate à son nouveau métier, notre enquête a montré que les objectifs commerciaux et de productivité" du jeune homme "étaient les mêmes que ceux assignés au groupe, et qu'évidemment, il n'arrivait pas à atteindre certains de ses objectifs", constate le rapport cité par le quotidien.
Pourtant en 2008, la médecine du travail et Technologia, un organisme spécialisé dans les diagnostics psychosociaux, avaient signalé à la direction de France Télécom la "gravité" des risques en rapport avec la santé mentale des membres de l'unité où exerçait le technicien. "Technologia soulignait notamment le sentiment d''instabilité' et d''inutilité' ressenti par certains salariés obligés de changer de métier, les relations "parfois délicates, voire conflictuelles, avec la clientèle", ou encore le décalage entre les horaires réels et ceux prévus sur le planning de ces techniciens", rapporte lemonde.fr.
Pourtant malgré ces avertissements, "France Télécom n'a pas modifié ses mesures de préventions" et "a donc, en pleine connaissance de cause, décidé de ne pas mettre en place" celles que préconisait le cabinet Technologia, affirme le rapport.
La direction aurait même "considérablement augmenté les cadences des techniciens", "notamment à partir de décembre 2008, avec un point culminant en juin 2009", observe le document de l'inspection du travail du Doubs. Elle aurait par ailleurs refusé "volontairement d'informer et consulter le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail" (CHSCT), comme le prévoit pourtant le Code du travail.
Reste maintenant à savoir si le parquet va retenir la qualification pénale d'"homicide involontaire par imprudence". France Télécom devrait répondre au rapport "dans les plus brefs délais".
Dans le même temps, constate lemonde.fr, "Technologia, après s'être entretenu avec 500 salariés, note la "persistance des difficultés" dans l'entreprise, soulignant qu'il y a eu "plusieurs suicides depuis janvier".
Un nouveau suicide
Un salarié de France Télécom, travaillant à l'Unité d'assistance technique (UAT) de Lille, s'est suicidé dans la nuit de mercredi à
jeudi, à son domicile, a-t-on appris jeudi de sources syndicales et auprès de la direction. L'homme, âgé de 44 ans, était marié et père de trois enfants.
"On ignore la part de responsabilité du travail", a précisé le syndicat Sud-PTT. "La spirale des suicides n'est malheureusement pas brisée", a-t-il regretté. "C'est la consternation et l'incompréhension la plus totale. C'était un cadre unanimement apprécié, qui avait une progression de carrière remarquable", a expliqué la direction de France Télécom, tout en reconnaissant n'exclure "aucune piste sur les causes".
Pour la direction, il s'agit du neuvième suicide depuis le début de l'année, tous hors du lieu de travail. Selon les syndicats, il s'agit de la dixième mort volontaire, car ils incluent celui d'un salarié de Saint-Quentin (Aisne), en février, parti en "essaimage" (l'équivalent d'un congé sabbatique) pour créer sa propre entreprise.
En 2008 et 2009, 35 salariés de France Télécom se sont donné, selon direction et syndicats.
Trois suicides à classer en accident du travail
L'Inspection générale des Affaires sociales (IGAS) a recommandé à France Télécom de classer trois suicides de fonctionnaires et une tentative, comme accidents de service, c'est-à-dire ayant un lien avec le travail. L'accident de service est l'équivalent pour les fonctionnaires de l'accident du travail.
Au total, la demande concernait cinq suicides et deux tentatives, "pour lesquels une demande de reconnaissance avaient été présentée à la direction, et qui n'avaient pas encore fait l'objet d'un avis formel de la part de l'entreprise".
En pleine crise sociale après une série de suicides dans l'entreprise, l'ancien PDG de France Télécom Didier Lombard avait jugé préférable, "pour que cet avis ne soit pas considéré comme partial", que le ministre du Travail désigne "une personnalité indépendante de l'entreprise". Le ministre du Travail Xavier Darcos avait alors nommé en novembre 2009, à la demande
de l'ex-entreprise publique, un inspecteur général des affaires sociales, Jean-Marc Boulanger, pour déterminer si certains suicides ou tentatives de suicides de fonctionnaires, intervenus en 2008 ou 2009, étaient imputables au travail. Et s'ils pouvaient donc être reconnus comme accident de service.
La direction a précisé qu'elle suivrait les recommandations de l'IGAS.
Accident du travail et accident de service
En matière d'accident du travail pour les salariés de droit privé, la procédure prévoit que la Caisse primaire d'assurance maladie diligente une enquête avant de prendre une décision en toute indépendance.
Mais pour les fonctionnaires, la procédure est plus complexe et passe d'abord par une déclaration d'accident de service, avec un avis favorable ou défavorable de la part de l'employeur. Les déclarations d'accident de service doivent ensuite passer devant une "commission de réforme", présidée par l'employeur et à laquelle participent des représentants du personnel et des médecins extérieurs. Cette commission peut décider d'une pension pour les ayants droit. C'est ensuite le ministère des Finances, dont dépendent les fonctionnaires, qui, en dernier ressort, prend la décision.
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