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Reportage "Je passe ma vie à chercher des packs d'eau" : à Mayotte, la bataille des bouteilles submerge les habitants de l'île en proie à une sécheresse historique

Article rédigé par Robin Prudent - envoyé spécial à Mayotte
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 8min
Une habitante du quartier de Passamainty, à Mamoudzou (Mayotte), lors d'une distribution d'eau, le 10 octobre 2023. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)
Magasins pris d'assaut, prix élevés, distributions limitées… Les difficultés d'approvisionnement se multiplient pour les Mahorais, alors que la crise de l'eau s'aggrave et que les coupures s'allongent dans le 101e département français.

Des rayons vides au milieu du supermarché. Dans le dédale d'un des plus grands centres commerciaux de Mamoudzou, le chef-lieu de Mayotte, les clients s'approchent à la hâte des étals d'eau en bouteille... et repartent la mine défaite. Plus aucun pack d'eau plate n'est disponible, lundi 9 octobre. Seuls quelques bouteilles d'eau gazeuse, en verre ou en petit format, sont encore disponibles à la vente. Pour près de deux euros le litre. Une scène qui se répète inlassablement dans le 101e département français, en proie à une grave crise de l'eau.

"Je passe ma vie à chercher des packs d'eau, souffle une habitante de Mayotte. Et même lorsqu'il y en a, on est limité à deux packs par passage en caisse, alors je fais des allers-retours dans le magasin", explique cette mère de trois enfants, fatiguée par des mois de débrouille. "Tout le stock du supermarché part en dix minutes", renchérit une autre habitante. Dans les rayons, impossible de savoir quand les précieuses bouteilles d'eau vont réapparaître. "Nous ne savons pas", répètent en boucle les vendeurs.

Un rayon vide dans un supermarché de Mayotte, le 9 octobre 2023. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Depuis le mois de juin, et la mise en place des coupures d'eau dans l'archipel pour faire face à cette sécheresse historique, la demande en bouteilles y a explosé. Et les enseignes ont bien du mal à faire face à cet afflux. "Nous avons un problème de disponibilité, la plupart des grandes surfaces sont déjà au taquet de ce qu'elles peuvent faire", explique Zainabou Madjinda, inspectrice de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (CCRF). Selon elle, les livraisons ont bien augmenté ces derniers mois mais des problèmes logistiques empêchent d'accélérer encore la cadence.

"On exploite la misère"

Derrière les portes en tôle des doukas, les nombreuses petites épiceries de l'île, la quête infinie des bouteilles d'eau fait également grimper les prix. "Dans les petites boutiques, le pack est vendu au moins 8 euros, s'indigne une quadragénaire, de retour à Mayotte après quelques années dans l'Hexagone. On exploite la misère." Dans la rue et sur les réseaux sociaux, les prix les plus astronomiques repérés sur les étals sont répétés sans cesse. "J'ai vu des packs à 11 euros, assure un habitant, passablement agacé. L'eau en bouteille devient un moyen de se faire de l'argent pour certains commerçants, alors qu'il devrait exister de la solidarité !"

Pour faire face à cette hausse des prix, l'Etat a décidé d'intervenir. Un décret, publié le 18 juillet, a gelé le prix de vente des bouteilles d'eau commercialisées à Mayotte au tarif pratiqué au 3 juillet. Ainsi, la bouteille de 1,5 litre de Cristaline ne peut dépasser les 69 centimes dans les Carrefour de l'île, soit 4,14 euros le pack de six bouteilles, jusqu'à la fin de l'année 2023.

Selon les contrôles de la répression des fraudes, cet encadrement des prix est bien respecté. "Les grandes surfaces jouent le jeu", assure Zainabou Madjinda. Mais celles-ci ne sont pas très nombreuses à Mayotte. Le long des routes cabossées de l'île, des centaines de doukas alimentent les habitants jusque dans les zones les plus reculées. Dans ces petits commerces, le référencement des prix au 3 juillet s'est révélé plus ardu.

Zainabou Madjinda, inspectrice de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, à Mayotte, le 12 octobre 2023. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

La préfecture de Mayotte a donc pris un nouvel arrêté, le 27 septembre. Cette fois, la règle est claire et applicable dans tous les commerces indépendants de proximité : la bouteille d'eau de 1,5 litre ne peut être vendue à plus de 1,40 euro et celle de 50 centilitres, à 75 centimes maximum.

Des prix élevés mais stables

Dans sa petite boutique du quartier de Cavani, Echa Bacar n'est pas passée loin de l'amende. Jeudi, un inspecteur de la répression des fraudes est venu lui rendre visite pour vérifier ses tarifs. Dans l'armoire réfrigérée installée près de l'entrée, les grandes bouteilles d'eau sont facturées 1,30 euro, juste en dessous du plafond autorisé. "J'ai gardé les mêmes prix depuis six mois", assure la gérante, sans lâcher sa machine à coudre. Mais ce n'est pas le cas de toutes les épiceries. "Sur 36 contrôles effectués début octobre, treize ne respectaient pas le plafonnement", reconnaît Zainabou Madjinda.

Echa Bacar, gérante d'une boutique à Mayotte, le 12 octobre 2023. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Depuis plusieurs semaines, les inspecteurs de la répression des fraudes concentrent leurs contrôles sur le prix de l'eau. Deux contractuels ont même été embauchés pour renforcer les équipes. "Nous faisons souvent la technique du client mystère, explique l'un des inspecteurs en place à Mayotte, Dominique Deloge Jasiak. Cela nous permet de vérifier les prix vraiment pratiqués par les commerçants."

Après plus de 150 contrôles dans tous les types de commerces, le premier bilan semble globalement positif. "Il y a plutôt une stabilité des prix", assure Zainabou Madjinda. Les bouteilles aux prix les plus élevés relevés lors des contrôles étaient vendues autour de deux euros, selon l'inspectrice. "Il y a une différence entre la rumeur sur les réseaux sociaux et la réalité du terrain", assure Dominique Deloge Jasiak.

"Nous n'avons pas constaté de dérives flagrantes du prix de l'eau."

Zainabou Madjinda, inspectrice de la CCRF à Mayotte

à franceinfo

L'encadrement des prix reste pourtant largement insuffisant pour de nombreux Mahorais. Avec un plafond à 1,40 euro, l'achat d'une seule bouteille de 1,5 litre d'eau par jour pendant un mois représente déjà 16% des 260 euros de revenu mensuel médian sur l'île, selon l'Insee. "C'est beaucoup plus cher qu'en métropole, alors qu'il s'agit d'un produit de première nécessité", s'indigne un habitant. A titre de comparaison, dans l'Hexagone, le pack de six bouteilles de 1,5 litre de Cristaline est vendu autour de 1,20 euro en grande surface.

Des packs pour tous ?

Afin de limiter les dépenses en eau des habitants ayant les besoins les plus urgents, les autorités ont récemment mis en place des distributions gratuites d'eau potable. Dans le quartier de Passamainty, des chapiteaux ont été dressés, mardi 10 octobre, pour remettre ces précieuses bouteilles aux habitants éligibles. Au bord de la route, des militaires déchargent à la force de leurs bras des milliers de packs d'eau d'un conteneur arrivé quelques jours auparavant par bateau.

Des militaires distribuent de l'eau à Mayotte, le 10 octobre 2023. (ROBIN PRUDENT / FRANCEINFO)

Dans le calme, des dizaines de femmes, souvent accompagnées de leurs enfants, patientent avant d'obtenir les précieux tickets permettant de retirer un quota précis de bouteilles, selon le nombre de jeunes enfants, de personnes âgées ou de malades déclarés dans le foyer. "Je n'ai eu droit qu'à un seul pack parce que je n'ai qu'un enfant de moins de 2 ans, mais je fais comment pour donner de l'eau aux trois autres ?" se lamente une habitante, son bébé attaché dans le dos. "J'aimerais en avoir plus, là ce n'est pas suffisant", confirme une autre femme, en montrant les justificatifs de naissance de ses enfants.

Ces distributions devraient bientôt être élargies. "A partir de mi-novembre, on devrait distribuer de l'eau en bouteille à l'ensemble de la population qui nous sollicitera", a déclaré le préfet du département, Thierry Suquet, lors d'un comité de suivi de la ressource, vendredi. Mais les obstacles, notamment logistiques, sont nombreux.

L'une de ces difficultés saute aux yeux en se promenant sur l'île. Des montagnes de détritus en plastique bordent déjà les eaux turquoise du département. Alors, que va-t-il se passer avec l'élargissement de ces distributions ? "Je ne sais pas ce qu'on va faire de toutes ces bouteilles !", s'inquiète une habitante. D'autant que le ramassage et le tri des ordures sont encore insuffisants sur cette île entourée de coraux fragiles. "Nous accélérons les dispositifs de collecte et nous allons mettre en place une communication sur le sujet dans les jours à venir", assure le préfet en charge de l'eau, Gilles Cantal. "Il faut à tout prix éviter que les millions de bouteilles acheminées en urgence finissent dans la lagune de Mayotte."

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