Dans la "jungle" de Calais, des enfants "seuls, traumatisés, livrés à eux-mêmes"
Plus de 300 mineurs vivent seuls dans le camp de migrants de Calais, sans parents ni responsables légaux. Face à leur refus d'intégrer des centres d'accueil, les autorités sont impuissantes.
Sur l'étroite bande de terre à l'entrée nord de la "jungle de Calais", cinq garçons jouent au cricket. Un peu à l'écart, un sixième les observe, accroupi dans le sable. Merhouan a tout juste 10 ans. Cet enfant afghan vit pourtant seul dans ce vaste bidonville insalubre et boueux, où 3 000 à 4 000 migrants sont installés selon les ONG sur place. Merhouan est loin d'être le seul dans ce cas.
Il y a quelques jours, l'association France terre d'asile a recensé dans la "jungle" pas moins de 326 "mineurs isolés", c'est-à-dire sans parents ni responsables légaux. La plupart ont entre 13 et 18 ans. Mais les plus jeunes ont à peine 10 ans. Une situation qui inquiète la Défenseure des enfants, qui s'est rendue dans le camp, lundi 22 février.
Leurs conditions de vie ne sont pas dignes et décentes. Il faut une création urgente d'un dispositif de mise à l'abri des enfants.
Des orphelins traumatisés par des mois d'errance
Merhouan, lui, est installé dans une tente avec quatre autres jeunes depuis deux mois. "Ma mère a été tuée pendant la guerre, alors j'ai suivi une de ses amies qui partait en Europe", raconte-t-il. Impossible pour le garçon de dire où se trouve aujourd'hui cette amie.
Merhouan fait le fier, affirme que la vie dans la "jungle" n'a rien de difficile. En réalité, beaucoup de ces enfants sont orphelins, traumatisés par la guerre dans leur pays d'origine et plusieurs mois d'errance. "Ils auraient besoin d'aide, mais le psychologue de Médecins sans frontières ne peut pas venir jusqu'à eux", raconte Emily, bénévole du Centre pour femmes et enfants, installé au cœur du camp.
Certains de ces jeunes s'effondrent dans nos bras.
Liz, une bénévole britannique, a ouvert ce centre notamment pour venir en aide aux plus jeunes. "On leur distribue des vêtements, des chaussures et de la nourriture, détaille Emily. Avant l'arrivée de Liz, ils survivaient seuls, livrés à eux-mêmes. Certains continuent de le faire, malgré notre action et celle des associations."
Ils quittent leurs parents dans l'espoir d'une "vie meilleure"
Plus loin dans les allées du camp, Karim marche d'un pas pressé, deux pains sous le bras. Il va retrouver son grand-frère pour le goûter. A 15 et 17 ans, ces deux adolescents ont eux aussi fait le trajet seuls, depuis l'Afghanistan. Comme beaucoup, ils veulent rejoindre le Royaume-Uni. "Deux de mes oncles sont arrivés là-bas il y a sept ans, explique le jeune garçon. Ils n'ont pas de papiers, mais ça reste mieux qu'en Afghanistan, où il y a la guerre et les talibans."
Un oncle de Karim a payé les passeurs pour lui permettre, ainsi qu'à son frère, de venir le rejoindre. "Mes parents n'avaient pas les moyens de faire le voyage, poursuit-il, en baissant les yeux. Mais mon père nous a dit 'Partez ! Je veux que vous ayez une vie meilleure'."
Trois passages au poste, un à la clinique
Sans ses parents, le voyage a été difficile à vivre pour Karim. "Vous ne pouvez pas imaginer comme j'ai eu peur quand j'ai dû traverser les montagnes, en Iran, confie-t-il. Ou quand j'ai dû prendre le bateau pour aller de la Turquie à la Grèce, de nuit."
L'eau était tellement noire et la mer agitée... Sans mes parents, c'était terrifiant.
Il a fallu vingt jours aux deux Afghans pour rejoindre le Nord de la France. "On habite dans la jungle depuis bientôt trois mois, raconte Karim. On a essayé 30, ou peut-être 50 fois de monter dans un camion allant au Royaume-Uni." Sans jamais réussir.
Lors de ces tentatives, l'adolescent a fini trois fois au poste de police, une fois à la clinique de Médecins sans frontières. "Un après-midi, je suis tombé d'un camion et ma tête a violemment heurté la route, se remémore-t-il, en montrant le haut de son crâne. Pendant 24 heures, je ne me souvenais plus de qui j'étais. Mon frère a eu très peur."
Face au refus des jeunes, des autorités impuissantes
Comme les autres mineurs isolés de la jungle, Karim et son frère refusent toutefois de rejoindre la Maison du jeune réfugié, gérée par l'association France terre d'asile, à Saint-Omer (Pas-de-Calais). "C'est à 40 minutes d'ici, c'est trop loin, peste le jeune homme. Et puis je ne connais personne là-bas. Ici, j'ai rencontré d'autres jeunes qui viennent de mon village. Maintenant on vit tous les cinq ensemble dans une tente, avec mon frère."
Face au refus catégorique de ces jeunes, l'association France terre d'asile est impuissante. Tout comme le sont les autorités, en charge d'autres hébergements pour les mineurs. "Nous offrons un accueil sans conditions : nous ne pouvons ni forcer ces mineurs à venir, ni les forcer à rester, explique le responsable de la Maison du jeune réfugié, Jean-François Roger. Une maraude sociale intervient dans le camp tous les jours, pour essayer de les convaincre et de les informer de leurs droits, mais c'est un travail de longue haleine."
Des centres "pas adaptés pour des jeunes traumatisés"
Quelques rares adolescents tentent parfois l'expérience des centres d'urgence. Comme cet Afghan de 14 ans, encouragé par des bénévoles à se rendre dans un hébergement pour mineurs à Calais. "L'endroit n'était pas adapté pour un adolescent traumatisé, il s'y sentait mal à l'aise, explique Emily, du Centre pour femmes et enfants. Au bout de dix jours, il a fugué." Selon la préfecture, beaucoup d'autres jeunes migrants font le même choix.
Selon le Centre pour femmes et enfants, le problème vient des autorités, qui ne font pas assez d'efforts pour mettre les adolescents en confiance. "Tant qu'on ne viendra pas à leur rencontre avec des traducteurs parlant leur langue, tant qu'il n'y aura pas de places dans des lieux adaptés aux jeunes, avec un véritable accompagnement, ils ne bougeront pas d'ici, insiste Emily. Pourtant, la 'jungle' n'est pas un endroit où vivre. Encore moins lorsqu'on est enfant."
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