Emeutes en Nouvelle-Calédonie : ce que l'on sait de la situation dans l'archipel, où un couvre-feu a été instauré

Des violences urbaines ont débuté lundi, en marge d'une mobilisation indépendantiste contre la réforme constitutionnelle examinée à l'Assemblée nationale. De nombreuses usines, entreprises et commerces ont été incendiés, des routes bloquées et des dizaines de gendarmes et policiers blessés.
Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Une mère et sa fille devant des voitures brûlées sur un parking après les violences urbaines dans le centre commercial Belle Vie de Nouméa, en Nouvelle-Calédonie, le 14 mai 2024. (THEO ROUBY / AFP)

Véhicules brûlés, magasins pillés, tirs avec des armes de gros calibre... Des violences urbaines ont eu lieu dans la nuit du lundi 13 au mardi 14 mai en Nouvelle-Calédonie contre la réforme constitutionnelle en cours d'examen à l'Assemblée nationale et qui veut élargir le corps électoral de l'archipel. Les premières altercations ont débuté dans la journée de lundi, en marge d'une mobilisation contre ce texte. Les indépendantistes en révolte estiment que ce dégel risque de "minoriser encore plus le peuple autochtone kanak". Actuellement, seuls les Kanaks, les habitants installés dans l'archipel avant 1998 et leurs descendants peuvent voter aux élections locales.

Des dizaines de commerces, d'usines et d'entreprises ont été incendiés et plusieurs supermarchés ont été pillés à Nouméa, la capitale. Des manifestants se sont également installés sur plusieurs ronds-points et ont opéré des barrages filtrants. Au moins 82 personnes ont été interpellées, a annoncé mardi matin le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer, Gérald Darmanin et un couvre-feu a également été décrété, alors que le gouvernement local appelle "à la raison et au calme". Voici ce que l'on sait de la situation.

Des routes bloquées, des dizaines de bâtiments incendiés

Les rues de Nouméa et de sa banlieue sont parsemées de carcasses de voitures incendiées et de restes fumants de pneus et de palettes, mardi, après une nuit d'émeutes. Les pompiers de Nouméa disent avoir reçu près de 1 500 appels et être intervenus sur environ 200 feux. Selon un regroupement patronal cité par l'AFP, une trentaine de commerces, d'usines et d'autres entreprises ont été incendiés. Dans la banlieue nouméenne, un supermarché, forcé à la voiture-bélier, a été pillé par la population. Des images de Nouvelle-Calédonie La 1ère montre un Super U de Rivière-Salée ravagé par les flammes. 

Des détonations ont été entendues mardi en fin d'après-midi vers les tours de Magenta, cité emblématique de Nouméa. Dans les quartiers nord de la capitale, le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie a déploré "des destructions de commerces, de pharmacies et de domiciles". "On a malheureusement pu constater des exfiltrations d'habitants de leur domicile pour qu'ensuite leur domicile soit brûlé", a déclaré Louis Le Franc lors d'une conférence de presse. La Fédération des industriels de Nouvelle-Calédonie a annoncé qu'elle allait lancer "une plateforme participative qui inclura une cagnotte pour créer un fonds de reconstruction des industries calédoniennes."

Les autorités étaient particulièrement attentives à la situation dans une usine incendiée située à l'entrée de Nouméa et dans laquelle une trentaine d'émeutiers sont retranchés. "Nous leur demandons instamment de quitter les lieux, en raison du risque d'explosion imminent" de deux cuves d'hydrogène situées sur le site, a expliqué Louis Le Franc. 

De nombreuses barricades étaient toujours en place sur les routes, mardi en fin de journée. Selon Nouvelle-Calédonie La 1ère, la mobilisation sur la route et le pont qui longe le parc de La Coulée, dans la commune du Mont-Dore, est notamment toujours en cours. Un fourgon de gendarmes est positionné en travers de la route et des confrontations ponctuelles ont lieu avec des manifestants. Des habitants du secteur ont déclaré qu'ils n'avaient plus d'eau depuis le début d'après-midi après la rupture d'une vanne. A Ouémo, un quartier de Nouméa, une centaine de résidents se sont regroupés pour mettre en place un barrage filtrant à l'entrée de la presqu'île et ne laisser passer que les habitants du quartier.

Des "tirs avec des armes de gros calibre" rapportés

Le haut-commissaire Louis Le Franc a fait état de "tirs tendus avec des armes de gros calibre, des carabines de grande chasse, sur les gendarmes" lors des violences au Mont-Dore, au sud-est de Nouméa. "On n'a pas de morts, il n'y a pas de blessés graves pour l'instant, il aurait pu y en avoir, a-t-il déclaré en conférence de presse. Toute cause mérite d'être défendue politiquement, mais elle ne mérite pas de l'être en engageant des actions mortelles contre les gendarmes, contre les habitants, sur l'agglomération de Nouméa."

Une cinquantaine de gendarmes et policiers blessés

Le Raid, quatre escadrons de gendarmes mobiles et deux sections de la CRS 8, unité spécialisée dans la lutte contre les violences urbaines, ont été mobilisés. Quinze renforts du GIGN doivent également être envoyés à Nouméa. "Nous avons été confrontés depuis plus de 24 heures à un vrai déchaînement de haine, un déferlement de jeunes souvent alcoolisés, manifestement manipulés et d'une violence assez inouïe", a déploré le général Nicolas Matthéos, commandant de la gendarmerie de Nouvelle-Calédonie.

Gérald Darmanin a fait état mardi matin de 82 personnes interpellées et de 54 gendarmes et policiers blessés. "Des familles de gendarmes ont été évacuées", a précisé le ministre de l'Intérieur et des Outre-mer.

L'aéroport, les lycées et collèges fermés

Le gouvernement calédonien a annoncé la fermeture des lycées et collèges jusqu'à nouvel ordre. L'aéroport international est également fermé et la compagnie Aircalin a suspendu ses vols pour la journée de mardi. Un "maximum de rotations seront mises en place, selon un programme adapté, pour la journée du mercredi 15 mai, seulement si l'ensemble des conditions de sécurité sont réunies et en fonction de l'évolution de la situation", a précisé la compagnie aérienne, citée par Nouvelle-Calédonie La 1ère.

Les rassemblements interdits, un couvre-feu décrété

Un couvre-feu a été décrété à partir de mardi 18 heures (depuis 9 heures à Paris) et jusqu'à mercredi 6 heures. Tout rassemblement est également interdit dans le Grand Nouméa, de même que le port d'armes et la vente d'alcool dans l'ensemble de la Nouvelle-Calédonie. Le haut-commissariat incite les 270 000 habitants du territoire à rester chez eux.

Seul le personnel investi dans une mission de service public et des activités nocturnes indispensables, les déplacements liés à des motifs impérieux de santé, d'urgence médicale ou d'assistance à personne vulnérable ou de force majeure, et les professions médicales, sont autorisés à se déplacer, précise Nouvelle-Calédonie La 1ère.

Les autorités et représentants appellent "au calme"

La priorité est de "rétablir l'ordre, le calme et la sérénité", a déclaré Gabriel Attal, mardi en fin de matinée, depuis le chantier de la ligne ferroviaire Lyon-Turin. "La violence n'est jamais une solution, la violence n'est jamais justifiée, ni justifiable", a ajouté le Premier ministre, qui souhaite que le dialogue puisse "se renouer".

Louis Mapou, président indépendantiste du gouvernement de Nouvelle-Calédonie, a appelé dans un communiqué "au calme et à la raison". "Toutes les raisons des mécontentements, des frustrations et des colères ne sauraient justifier de mettre à mal ou de détruire ce que le pays a pu construire depuis des décennies et d'hypothéquer l'avenir", a-t-il déclaré. Le haut-commissaire Louis Le Franc a lui demandé aux responsables indépendantistes "d'utiliser toute l'influence qui est la leur pour mettre un terme à ce qui est constaté depuis 48 heures".

Le Conseil national des grands chefs, Inaat ne Kanaky, une instance composée de responsables kanaks, a également appelé "la jeunesse au calme", tout en interpellant l'Etat sur "ses responsabilités". Il demande aux parlementaires français "de faire preuve de lucidité et de sagesse afin d'éviter l'embrasement de la situation et le chaos dans le pays." La maire de Nouméa, Sonia Lagarde, a de son côté enjoint à ne "pas céder à la provocation". " Je comprends que ça peut être irritant, on a envie d'y aller, mais je crois qu'il faut que tout le monde se calme, parce que ce n'est pas comme ça qu'on va construire", a-t-elle intimé, citée par Nouvelle-Calédonie La 1ère.

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