Crise en Nouvelle-Calédonie : cinq militants indépendantistes se pourvoient en cassation pour dénoncer leur détention dans l'Hexagone et un transfert "inhumain"

Voilà cinq mois qu'ils sont placés en détention provisoire à 17 000 kilomètres de leurs proches. Parmi eux, Christian Tein, désigné comme le leader de la Cellule de coordination des actions de terrain.
Article rédigé par Raphaël Godet
France Télévisions
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Le leader indépendantiste kanak, Christian Tein, à Bourail (Nouvelle-Calédonie), le 14 juin 2024. (DELPHINE MAYEUR / AFP)

Etait-il nécessaire d'"exiler" à 17 000 kilomètres de chez eux Christian Tein et les autres militants kanaks ? Fallait-il en outre les contraindre, par l'usage de menottes et de sangles, pendant toute la durée du vol entre la Nouvelle-Calédonie et Paris ? C'est sur ces deux questions que s'est penchée la Cour de cassation, mardi 22 octobre, donnant raison à deux (Christian Tein et Steve Unë) des cinq personnes concernées.

Ces indépendantistes calédoniens avaient en effet saisi la plus haute juridiction française pour contester leur incarcération loin des leurs. Soupçonnés d'avoir joué un rôle dans les troubles en Nouvelle-Calédonie, tous sont actuellement placés en détention provisoire dans différentes prisons de l'Hexagone. Christian Tein, le plus emblématique, considéré comme le leader de la Cellule de coordination des actions de terrain (CCAT), est à l'isolement au centre pénitentiaire de Mulhouse-Lutterbach (Haut-Rhin). Les quatre autres, Guillaume Vama, Steeve Unë, Yewa Waetheane et Dimitri Qenegei, ont été envoyés respectivement dans les prisons de Bourges (Cher), Blois (Loir-et-Cher), Nevers (Nièvre) et Villefranche-sur-Saône (Rhône).

"Nos clients sont restés menottés et sanglés à leurs fauteuils"

Les faits que la Cour de cassation examine remontent au mois de juin. A l'époque, l'archipel du Pacifique se déchire sur le dégel du corps électoral. Le procureur de la République de Nouméa, Yves Dupas, ordonne ces "affectations en métropole" afin de poursuivre les investigations "de manière sereine" sur le Caillou. Les avocats protestent, parlent dénonçant une "décision parfaitement choquante et éprouvante". "Personne ne détenait l'information au préalable que la destination serait la métropole", rappelle alors l'avocat Pierre Ortet. "Pour beaucoup, ce sont des pères de famille, ils sont coupés de leurs enfants", complète son confrère François Roux. 

Dans la nuit du 22 au dimanche 23 juin, les militants kanaks décollent pour Paris. Les avocats s'activent pour faire parvenir quelques affaires à leurs clients. Organisé de nuit, le vol spécialement affrété, d'une trentaine d'heures, "s'est déroulé dans des conditions inhumaines et dégradantes", s'insurge François Roux auprès de francenfo. "Nos clients sont restés menottés et sanglés à leurs fauteuils pendant tout le transfert. Et puis, ils avaient interdiction de parler."

"Pour aller aux toilettes, on les oblige à garder les menottes et à laisser la porte ouverte. Et si quelqu'un ose se plaindre, la réponse est toujours la même : 'Vous n'avez qu'à vous retenir.' C'est ignoble. Qui a été capable en 2024 d'exécuter un ordre comme ça en France ? Je n'en reviens pas."

François Roux, avocat des militants kanaks

à franceinfo

François Roux décrit des personnes en "état de choc" à leur arrivée sur le sol français. A bord de l'appareil, en plus des cinq hommes, deux femmes également mises en examen sont "particulièrement traumatisées". Il s'agit de Brenda Wanabo, chargée de la communication de la CCAT, et Frédérique Muliava, directrice de cabinet de Roch Wamytan, le président du Congrès de Nouvelle-Calédonie. "Imagine-t-on l'humiliation, notamment pour elles ?", interroge l'avocat. Elles décident de coucher sur quatre feuilles chacune ce qu'elles ont vécu pendant ce transfert. Le titre est sans équivoque : "Le récit de mon cauchemar". 

De plus, les avocats ont saisi la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté, Dominique Simonnot. Dans ce dossier, les conditions des gardes à vue qui ont précédé le transfert posent aussi question. "Nos clients sont restés enchaînés au mur, le bras en l'air", rapporte François Roux.

Une demande de dépaysement du dossier

Les sept militants sont pour le moment tous mis en examen notamment pour "complicité de tentative de meurtre", "vol en bande organisée avec arme", "destruction en bande organisée du bien d'autrui par un moyen dangereux pour les personnes" et "participation à une association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime". Leurs avocats ont déposé une demande de dépaysement du dossier, toujours instruit à Nouméa.

Si les cinq hommes sont toujours incarcérés, Frédérique Muliava et Brenda Wanabo sont sorties de prison cet été. Toutefois, les deux militantes de la CCAT sont aujourd'hui placées sous contrôle judiciaire avec obligation de demeurer dans leur département actuel, le Puy-de-Dôme pour la première, l'Hérault pour la seconde. Elles ont aussi obligation de pointer trois fois par semaine au commissariat et toujours interdiction de parler à la presse.

Quant à Christian Tein, alias "Bichou", il a vu sa demande de remise en liberté rejetée le 9 octobre. Dans son ordonnance de rejet, que franceinfo a consultée, le tribunal de première instance de Nouméa motive sa décision par le fait que "monsieur Tein est sans nul doute le chef de ce regroupement, en l'état des investigations", que "ses ordres et directives sont attendus, suivis et répercutés", que "son ascendant est total". Aussi, "l'intéressé pourrait user de ses relais logistiques pour fuir ses responsabilités".

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