: Reportage A la prison de Mulhouse, "même enfermé, même loin", le leader kanak Christian Tein poursuit son combat pour la Nouvelle-Calédonie
Dans l'embrasure de l'épaisse porte métallique, ses pantoufles grises apparaissent d'abord, puis son bas de survêtement, et enfin son tee-shirt bariolé aux couleurs de la Nouvelle-Calédonie. Christian Tein tend la main à ses visiteurs du jour, deux parlementaires écologistes qui ont fait un déplacement inopiné jusqu'au centre pénitentaire de Mulhouse-Lutterbach. "Monsieur le président, bonjour !" Le leader indépendantiste kanak sourit par politesse. Mais ces salutations le mettent mal à l'aise. Il est en prison tout de même et à l'isolement en plus. Ce vendredi 8 novembre, les élus veulent s'assurer que "le prisonnier politique va bien". "On est là pour te dire qu'on ne t'on oublie pas, qu'on est à tes côtés, appuient le sénateur Akli Mellouli et la députée Sabrina Sebaihi. Ton sort nous préoccupe particulièrement." Christian Tein incline la tête, manière de les remercier d'être venus exprès de Paris.
Au "QI", le quartier d'isolement de la prison de Mulhouse-Lutterbach, la cellule numéro 7 renferme un détenu estampillé "vu à la télé". Christian Tein, 56 ans, était celui qui parlait face caméra quand les violences ont commencé à secouer la Nouvelle-Calédonie il y a six mois jour pour jour, le 13 mai dernier. Il était celui qu'Emmanuel Macron demandait à voir pour tenter d'apaiser les tensions autour du dégel du corps électoral. Accusé d'être l'une des têtes pensantes des émeutes, le même homme est aujourd'hui mis en examen notamment pour "complicité de meurtre" et "association de malfaiteurs en vue de la préparation d'un crime et d'un délit".
Son placement en détention provisoire à 17 000 km des siens est une décision du procureur de la République de Nouméa afin de poursuivre les investigations "de manière sereine". "Bichou", comme tout le monde le surnomme sur le "Caillou", ne cesse de clamer son innocence.
La vie de Christian Tein se limite aujourd'hui à cette cellule de 11 m2, un coin sanitaire, une douche, une table, une plaque de cuisson, une télé et un lit dans lequel il peine à mouvoir ses 95 kg. Christian Tein cherche un peu ses mots, mais il dit tout de suite qu'il a "de la chance d'être mis ici". "Malgré la situation et l'éloignement de mon pays, je n'ai pas à me plaindre, je suis très, très bien traité", assure-t-il, mains posées sur les hanches, lors d'un échange auquel assiste le directeur du centre pénitentiaire ouvert il y a tout juste trois ans.
Dans un coin, il a stocké des bouteilles d'eau minérale, des yaourts, des biscottes et du thé. Sur le mur de gauche, des photos de ses proches se mélangent avec des clichés de rassemblements politiques passés. A droite, une étagère fait office de bibliothèque. On remarque un dictionnaire, une bible, quelques BD, des mangas, des numéros de Paris Match... Il vient de relire un classique, la biographie de Jean-Marie Tjibaou. Parfois, "Bichou" traverse le couloir au mur jaune vif, direction la salle de sport. Il enchaîne les foulées sur un tapis de course ou s'essaie à la musculation. Les surveillants ne trouvent rien à lui redire. Détenu irréprochable, avec un risque d'évasion proche de zéro.
"On dirait qu'on est en suspens"
Sa compagne Olga a fini elle aussi par mettre "trois, quatre affaires" dans une valise pour le rejoindre dans le Haut-Rhin. Trois fois par semaine, elle emprunte le même chemin. Elle prend le bus C5, le tram, puis la navette jusqu'à l'arrêt "Centre pénitentaire". Elle traverse le mur d'enceinte, salue les surveillants et passe son cabas au contrôle. A l'intérieur, elle a marqué le nom de son compagnon et son numéro d'écrou, le 5106. A chaque parloir, elle lui apporte du linge propre et les dernières nouvelles du "pays". La veille, elle lui a annoncé qu'un "vieux" de la tribu de Saint-Louis, la sienne, était mort.
Dans ce bar de la gare de Mulhouse, Olga raconte s'être mise en arrêt de travail psychologique. L'aide-soignante de profession avait prévenu qu'elle allait pleurer. "C'est dur pour lui, mais c'est dur pour moi aussi", murmure-t-elle en séchant quelques larmes avec la manche de son pull. "On dirait qu'on est en suspens, qu'on est en attente permanente."
"Vous me croyez si je vous dis que 'Bichou' n'était jamais venu en métropole jusque-là ? Que c'est sa première fois ? Il était bien incapable de placer Mulhouse sur une carte..."
Olga, compagne de Christian Teinà franceinfo
Les bonnes nouvelles ne sont pas courantes. Alors, fin août, elle pris un malin plaisir à lui annoncer sa nomination comme président du FLNKS, le Front de libération nationale kanak et socialiste. "Je suis arrivée et je lui ai lancé toute fière : 'Bravo monsieur le président !' Il m'a dit : 'C'est pas vrai, ils ont osé ? Mais je suis en prison ?!'" Christian Tein s'est assis, écrasé par le poids des responsabiliés. Même derrière les barreaux, le combat de sa vie doit donc continuer. "Son premier objectif, c'est son peuple et la possibilité pour son peuple de s'exprimer", résume Florian Médico, l'un de ses trois avocats qui vient régulièrement le voir au parloir.
"Il considère que le passage par la maison d'arrêt fait partie d'un combat bien plus large, qu'il mène de manière pacifique."
Florian Médico, avocat de Christian Teinà franceinfo
"C'est vraiment quelqu'un qui habite de plus en plus la fonction qu'on lui a confiée. C'est comme ça que je le ressens", confirme François Roux, un autre confrère. A la retraite depuis quelques années, lui a appelé son bâtonnier pour reprendre du service et défendre spécialement le kanak. "Souvent, il a le même message, rapporte-t-il. Il me dit : 'Quand tu reverras untel, dis-lui que je pense bien fort à lui'."
"C'est comme un proche dont on est sans nouvelle"
Chaque semaine, Christian Tein dépense une centaine d'euros en crédit téléphonique pour appeler le "pays". Il prend des nouvelles des six autres militants indépendandistes, ses "frères et sœurs", envoyés avec lui en métropole au début de l'été. Il veut s'assurer que le calme est bien en train de revenir. Récemment, il a envoyé une longue lettre à Thierry Kameremoin, un intime de toujours, mais aussi l'un des représentants de la CCAT, la Cellule de coordination des actions de terrain, que Gérald Darmanin, alors ministre de l'Intérieur, comparait à "une organisation mafieuse". Il lui parlait d'"engagement" et de "courage". "Il me demande de tenir bon pour aller chercher Kanaky [obtenir l'indépendance]", raconte l'heureux destinataire à franceinfo.
A l'autre bout du globe, "'Bichou' est considéré comme une star, confie une autre cadre de la CCAT. Dans la rue, on m'arrête pour me demander comment va Christian. Même des gens qui ne l'ont jamais vu s'inquiètent de son moral, de sa forme physique... C'est comme un proche dont on est sans nouvelles. C'est assez paradoxal : même loin, même enfermé, il n'a jamais été autant ce leader qu'on attend tous. C'est aujourd'hui, plus que jamais, le personnage central." Aux yeux de beaucoup, Christian Tein est le seul capable de renouer le contact avec l'Etat et les loyalistes. A la quinzaine de parlementaires qui sont déjà passés le voir dans sa cellule, Christian Tein fait le même vœu : "J'espère que le nouveau Premier ministre [Michel Barnier] va faire les choses pour aller vers l'apaisement de notre terre et de notre peuple."
"Tout le monde n'apprécie pas 'Bichou' comme nous"
Sur sa table, un paquet de cartes postales encore vierges, sérigraphiées "un petit bonjour d'Alsace". C'est pour répondre aux anonymes qui lui écrivent. En moyenne, Christian Tein reçoit treize courriers par semaine. "Souvent, ce sont des gens qu'il ne connaît pas, ils lui adressent quelques mots d'encouragement", explique Olga qui fait régulièrement un crochet par La Poste et les papeteries du coin pour le ravitailler. Jusque-là, personne n'a souvenir qu'il ait reçu des lettres d'insultes. Mais sait-on jamais...
"Il ne faut pas être naïf : en Nouvelle-Calédonie, certains sont très contents de le savoir loin."
Un proche de Christian Teinà franceinfo
Au plus fort des violences, Christian Tein faisait même l'objet de menaces de mort, des photo-montages circulaient sur des groupes Facebook. Olga insiste d'ailleurs : l'adresse où elle loge dans le centre-ville de Mulhouse doit "absolument" rester secrète. "Tout le monde n'apprécie pas 'Bichou' comme nous", prévient-elle en touillant son café.
Le 9 octobre, sa demande de remise en liberté a été rejetée. Dans son ordonnance que franceinfo a consultée, le tribunal de première instance de Nouméa a motivé sa décision par le fait que "Monsieur Tein est sans nul doute le chef de ce regroupement, en l'état des investigations", que "ses ordres et directives sont attendus, suivis et répercutés", et que "son ascendant est total". Mais Christian Tein garde espoir. Il y a quelques jours, la Cour de cassation a ainsi annulé son placement en détention dans l'Hexagone. Effet montagnes russes garanti. "Quand j'ai lu ça, j'ai cru qu'il était libre, qu'il allait rentrer, se souvient une cadre de la CCAT. En fait, fausse joie... J'ai appelé son avocat, il m'a expliqué qu'il fallait d'abord qu'il repasse devant un juge." Elle en a pleuré. "J'avais déjà imaginé dans ma tête les retrouvailles."
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