Fromage supprimé, addition salée, gaspillage réduit... Les cantines scolaires cherchent la bonne recette pour faire face à l'inflation
L'explosion du coût des denrées alimentaires et de l'énergie plombe le budget des collectivités locales dédié à la restauration scolaire. Mais toutes n'adoptent pas la même stratégie. Tour de France des solutions mises en place.
Vous êtes plutôt carottes râpées ou île flottante ? Face à la hausse des prix, la petite commune de Caudebec-lès-Elbeuf, en Seine-Maritime, a décidé de revoir le plateau-repas des 700 élèves de primaire qui déjeunent à la cantine. Au lieu du traditionnel menu à cinq composantes (entrée, plat, accompagnement, laitage, dessert), les enfants sont désormais privés, selon les jours, d'entrée, de fromage ou de dessert. Objectif : ne pas toucher aux tarifs de la cantine pour préserver le pouvoir d'achat des familles.
Et pour cause. En un an, les prix alimentaires ont bondi de de près de 8%, ceux de l'énergie de plus de 22%, et la rémunération des fonctionnaires a été revalorisée de 3,5% en juillet. Les collectivités territoriales (communes, départements, régions), où les prestataires à qui elles ont délégué le service de restauration scolaire, voient leurs coûts grimper en flèche. L'addition finale a grimpé d'environ 10% pour les collectivités, estime Benoît Cormier, porte-parole de France Urbaine, un réseau qui regroupe les grandes villes. Dans ce contexte, le Syndicat national de la restauration collective (SNRC) a demandé en moyenne 7% d'augmentation des prix à ses clients pour faire face à la hausse de ses frais.
"Environ 50% des communes augmentent les prix"
Certaines collectivités ont donc demandé aux familles de mettre la main à la poche. "Les villes sont confrontées à l'inflation et n'ont plus beaucoup de marge de manœuvre : la taxe d'habitation a disparu et la dotation globale de fonctionnement est en baisse depuis des années", justifie Gilles Pérole, coprésident du groupe de travail alimentation et restauration scolaire de l'Association des maires de France. Les finances des mairies, entamées par la crise sanitaire, avaient déjà dû absorber une hausse des coûts de la restauration scolaire en janvier 2021, liée aux nouveaux impératifs de la loi Egalim (50% de produits dits "de qualité", dont 20% de bio).
"Les communes sont bien conscientes que plus on augmente les prix de la cantine, et plus on met les habitants en difficulté. Les augmentations sont donc les plus mesurées possibles."
Gilles Pérole, de l'Association des maires de Franceà franceinfo
Résultat : "environ 50% des communes" ont augmenté le tarif de la cantine, selon Gilles Pérole. A Limoges (Haute-Vienne), les prix de la restauration scolaire (qui vont désormais de la gratuité à 5 euros) ont ainsi augmenté de 27 centimes par repas en moyenne à la rentrée. "On avait bloqué les prix durant le Covid-19. Cette année, un rattrapage était prévu, c'est mal tombé", reconnaît Vincent Jalby, adjoint au maire en charge de l'Education, qui souligne néanmoins que cette hausse "ne couvre pas celle des coûts supplémentaires" supportée par la municipalité.
Au Mans, ces derniers ont été évalués à 371 000 euros pour la nouvelle année scolaire, sur un budget total de 4,6 millions d'euros affecté à la restauration scolaire. Là aussi, les prix ont été revus à la hausse : 2% de plus, pour des tarifs allant désormais de 0,71 euro à 5,10 euros par repas. "Cela correspond à une somme entre 1,50 euro et 14,50 euros supplémentaires à l'année par enfant, soit une augmentation assez légère", souligne néanmoins Cécile Leroux, adjointe à l'Education.
"La taxe foncière risque d'augmenter"
A l'inverse, "la très grande majorité des grandes villes, des agglomérations et des métropoles ne répercutent pas la hausse du prix des denrées sur les tarifs payés par les familles", note Benoît Cormier, de France Urbaine. C'est le cas de Paris, Marseille, Toulouse, Rennes, Reims ou Poitiers. Idem pour de nombreux départements, dont dépendent les collèges, et de régions, responsables des lycées. En cause : des moyens financiers plus importants, qui leur permettent d'économiser plus facilement sur d'autres postes, estime Gilles Pérole. La région Occitanie s'est ainsi engagée à prendre en charge les trois millions d'euros supplémentaires liés au coût des repas, sur un budget total de 124 millions d'euros pour la restauration scolaire. L'Ile-de-France dépensera de son côté 4 millions d'euros supplémentaires sur le milliard d'euros consacré chaque année aux lycées.
A Tours (Indre-et-Loire), plus de la moitié des familles d'enfants de primaire qui déjeunent à la cantine ont même vu leur facture baisser. Le tarif unique à 3,35 euros à disparu, pour laisser place à une tarification progressive (entre 2,50 euros et 4,90 euros) en fonction du revenu des parents. Le projet, planifié avant la crise, tombe à pic pour les familles modestes : "Au vu de l'inflation, on avait justement besoin de plus de justice sociale", se réjouit le maire EELV, Emmanuel Denis.
Mais l'absorbtion de ces frais à un coût : une dégradation des finances de la collectivités, un redéploiement des ressources ou encore une augmentation des impôts. Afin de financer cette hausse, "on va réduire un peu le budget alloué à l'investissement dans les lycées", prévient ainsi Kamel Chibli, vice-président socialiste de la région Occitanie en charge de l'Education. Tandis qu'en Ile-de-France, le conseil départemental compte faire la chasse aux politiques publiques "qui ne répondent plus aux besoins", assure James Chéron, vice-président LR de la région chargé des Lycées. Quant aux communes, "la taxe foncière risque d'augmenter", prévient Gilles Pérole.
Entrée ou dessert
Qu'elles la répercutent sur le porte-monnaie des parents d'élèves ou qu'elles la prennent en charge, les collectivités tentent par ailleurs de limiter la hausse des prix en modifiant le plateau-repas. A Caudebec-lès-Elbeuf (Seine-Maritime), a commune qui a supprimé un élément du menu, le maire Horizons, Laurent Bonnaterre, défend la décision prise en concertation avec les parents : "Même à la maison on ne mange pas un repas avec cinq composantes !" La mesure a permis de faire passer le surcoût lié à l'inflation de 32 000 euros à 6 000 euros, de quoi permettre à la mairie d'absorber la hausse. "L'encadrement légal de la composition des repas est très strict", rassure la porte-parole du Syndicat national de la restauration collective, Anne-Laure Decleves. Selon elle, supprimer une composante est tout à fait possible, si les apports nutritionnels sont respectés. "Quand on met du lait dans la purée ou du fromage dans le plat principal, on peut ne pas proposer de laitage."
Autre levier face à l'inflation des denrées : réduire la quantité de viande dans les menus. La mairie de Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes) est ainsi passée de 40% à 50% de repas végétariens, notamment grâce à sa propre production de légumes. "Lorsqu'on cuisine des produits végétariens et maison, ça revient deux fois moins cher à produire", souligne Gilles Pérole, de l'AMF, également adjoint au maire en charge de l'Alimentation de Mouans-Sartoux.
Le secteur de la restauration collective plaide également pour plus de flexibilité dans les menus.
"Certaines collectivités exigent qu'on transmette chaque composante du menu six semaines à l'avance, ce qui nous empêche de remplacer un produit qui a beaucoup augmenté par un autre"
Anne-Laure Decleves, du Syndicat national de la restauration collectiveà franceinfo
Dans la même veine, Limoges a fait le choix de menus "génériques" : au lieu d'écrire "pêche" ou "melon", le menu annonce des "fruits de saison", ce qui permet de remplacer les produits par des équivalents moins chers, au dernier moment.
Dernière solution pour limiter les coûts : réduire le gaspillage, qui s'élève à 6% de la production des cantines scolaires, selon le SNRC. Au Mans, la municipalité socialiste demande ainsi aux familles de prévenir huit jours à l'avance en cas d'absence de leur enfant à la cantine, sous peine de se voir appliquer le tarif maximum. La mairie a également adapté les quantités servies grâce à "des campagnes de pesée de ce qui était jeté", explique l'adjointe au maire, Cécile Leroux. En Ile-de-France, les adolescents sont de leur côté invités à choisir eux-mêmes la quantité de crudités dont ils ont envie, grâce à l'instauration de "salad bars".
"On est obligé de vendre à perte"
En dépit de ces solutions, les économies réalisées ne couvrent pas toujours les dépenses supplémentaires. "Les 1%, 2% ou 3% qu'on peut gagner sur le gaspillage sont insuffisants", assure Anne-Laure Decleves. Et seules 5% des collectivités ont augmenté leur rémunération "de façon équitable", c'est-à-dire à hauteur des 7% demandés par le syndicat. "On est obligé de vendre à perte aux collectivités car légalement, on n'a pas le droit d'annuler une délégation de service public." "On ne cesse de vouloir payer moins cher pour ce qu'on mange, on ne peut plus faire d'économies", s'agace aussi le dirigeant de l'entreprise Restoria, Emmanuel Saulou. Ce dernier estime "indispensable" une hausse des prix facturés aux collectivités.
Une demande parfois difficile à concevoir du côté de celles-ci. "Si on ne nous accompagne pas sur les augmentations, ça va devenir compliqué", affirme le vice-président de la région Occitanie, Kamel Chibli, qui espère que l'Etat reverra ses dotations à la hausse. Le gouvernement se veut lui rassurant, et rappelle avoir lancé, cet été, un "filet de sécurité" pour soutenir les collectivités "fragilisées par la hausse du point d'indice des fonctionnaires, des coûts de l'énergie et des denrées alimentaires". Au total, 568 millions ont été mis sur la table. Un effort qui n'est prévu, pour l'instant, que pour 2023. Quid de la suite ? "On sait très bien que l'inflation va durer ces prochains mois, voire ces prochaines années, alerte Benoît Cormier, de France Urbaine. Les collectivités ne pourront pas financer indéfiniment les repas à la place des familles."
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