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Une jupe trop longue est-elle un signe religieux ?

Huit ans après la loi interdisant les signes religieux ostensibles à l'école, une lycéenne musulmane du Val-d'Oise a été renvoyée chez elle en raison de sa jupe, jugée trop longue.

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Une lycéenne a raconté avoir été renvoyée chez elle, les 26 et 28 mars 2012, en raison de sa tenue, une longue jupe noire considérée comme un signe d'appartenance religieuse par sa proviseure. (LE PARISIEN / MAXPPP)
Une lycéenne de Saint-Ouen-l'Aumône (Val-d'Oise) qui portait une "jupe trop longue" a été priée de rentrer chez elle pour changer de vêtements, raconte Le Parisien dans son édition du jeudi 29 mars. Jugée provocante, sa tenue rappellerait, selon l'établissement, des croyances religieuses : Khadidja est musulmane. FTVi revient sur un débat qui s'étire en longueur.

Lundi, "il faisait beau, j’ai mis une jupe longue, a simplement expliqué la jeune femme à France 3 Ile-de-FranceLa proviseure m’a dit que c’était de la provocation et que je devais rentrer chez moi. Elle considère que j’ai une tenue à connotation religieuse." La lycéenne, qui prépare un bac professionnel, a donc planché mardi sur les vêtements autorisés à l'école publique. Estimant que la jupe répondait aux critères, elle a décidé de la porter le lendemain. Avant d'être à nouveau renvoyée chez elle. 


Après le foulard, la jupe peut-elle être "islamique" ?

Depuis le 15 mars 2004, une loi interdit le port de signes ou tenues par lesquels les élèves manifestent ostensiblement une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. Si les signes "discrets" d’appartenance religieuse restent autorisés, la jupe longue et sombre, lorsqu'elle est portée par des élèves de confession musulmane, suscite l'attention des chefs d'établissement. Les histoires comme celle de Khadija se répètent depuis quelques années.

Il y a un an, en mars 2011, quatre adolescentes scolarisées à Saint-Ouen (Seine-Saint-Denis) ont fait état de menaces d'exclusion à leur encontre, en raison de leurs tenues, avait rapporté France Soir. "Comme le voile, la robe doit-elle être interdite à l'école ?" s'interrogeait le quotidien. L'une des jeunes filles, Halima, répondait alors qu'il ne s'agissait que d'"un costume traditionnel. S'il était religieux, nous le porterions tous les jours, alors que certains jours, nous sommes en pantalon."

Un voile jeté sur les vrais problèmes ?

L'entrepreneuse et blogueuse Mariame Tighanimine a vécu cette situation : "En 2004, l'année du vote de la loi, j'étais en terminale. J'ai été exclue trois mois en raison de ma tenue", explique-t-elle. De son expérience, elle retient surtout l'absurdité de la situation lorsque, vêtue d'un foulard acheté dans des boutiques de prêt-à-porter, elle se retrouvait nez à nez avec le double décimètre du chef d'établissement. "Pour s'assurer que ce truc acheté chez H&M n'était pas un voile", raconte-t-elle.

Pour elle, ce nouvel épisode de la jupe n'a rien de surprenant car "ça n'a pas changé depuis et ça ne changera sûrement pas", regrette-t-elle. "C'est l'arbre qui cache la forêt, qui empêche de parler des vrais problèmes. Un sujet pratique, d'autant plus qu'il fait l'unanimité dans la classe politique comme chez les féministes françaises." Finalement, cela révèle que "l'Etat français - pas le peuple - peine à accepter l'autre", estime-t-elle. "Les femmes sont infantilisées, montrées comme soumises et pendant ce temps-là, on ne parle pas de l'éducation dans les quartiers et de la difficulté pour les filles qui en sont issues d'obtenir par exemple leur indépendance économique", note la jeune femme, qui a créé le blog Hijab and the city en 2008 pour s'adresser aux Françaises musulmanes ("entre autres"), voilées ou non.

Car avant d'être un potentiel signe ostensible d'appartenance religieuse, la jupe est un vêtement. "Je suis arrivée en prépa avec une jupe Comptoir des cotonniers, un petit gilet Esprit, des Converse, etc.", se souvient cette modeuse, qui a ensuite créé une ligne de vêtements "pour toutes les femmes". "On m'a dit que j'étais habillée comme une musulmane. J'ai fini par aller à la fac." Elle plaisante : "Il n'existe pas de boutiques Islam Wear. J'ai vu la robe de cette lycéenne, j'ai acheté la même il y a cinq ans chez Zara."

Le religieux, sujet toujours sensible dans les écoles publiques

"Sur le principe, je ne vois pas au nom de quoi on juge ma tenue vestimentaire : parce que ma jupe est trop longue ou que je devrais être bras nus ?", s'interroge Khadidja. Son établissement assure ne pas retenir le motif vestimentaire. Il justifie ce renvoi à la maison au motif que la lycéenne "n'avait pas ses affaires de classe".

L’inspection académique, elle, évoque plutôt "des remarques". "Cela fait partie de l’éducation de faire des remarques aux élèves dont la tenue est provocante, comme pour une jeune fille qui vient à l’école le ventre à l’air, a-t-elle expliqué au Parisien. Ici, c’est plutôt une tenue qui rappellerait une croyance. Cela fait aussi partie du rôle de l’Education nationale de rappeler un certain nombre de principes comme la décence, le respect des personnes, qui nécessitent une tenue correcte. C’est vraiment dans un but éducatif."

Un appel aux internautes de L'Express daté de mars 2011 révèle la diversité des avis au sein de la société française. "OK pour la croix, l'étoile de David ou la main de Fatma, mais pas pour le voile, jugé rabaissant", juge l'un. "Oui aux signes religieux mais uniquement dans les écoles privées", tranche l'autre. "Aucun signe religieux ne doit être accepté, à condition de recevoir une éducation à l'histoire des religions pour promouvoir l'ouverture", estime un troisième.

Au-delà du débat, "on a une jeune fille qui ne va pas dans son lycée", conclut Mariame Tighanimine. Problématique, à trois mois du bac, que Khadija compte bien obtenir, rapporte Le Parisien, quitte à le passer en candidat libre. 

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