"Voir des migrants s'installer en pleine campagne, ce n'est pas banal"
Pour désengorger la ville de Calais (Pas-de-Calais), une quarantaine de demandeurs d'asile venus notamment d'Afrique de l'Est ont élu domicile à Pouilly-en-Auxois, un petit village de 1 600 habitants, en Côte-d'Or. Reportage.
Depuis bientôt trois mois, Pouilly-en-Auxois (Côte-d'Or) vit au rythme d'une cohabitation inédite. Depuis l'arrivée début février d'un centre d'accueil pour demandeurs d'asile, les 1 600 habitants de ce petit village bourguignon oscillent entre craintes et bonnes surprises. Il faut imaginer le choc pour cette commune rurale, qui a vu débarquer d'un coup une vingtaine de migrants, venus s'installer en bordure du village. "Quand j'ai appris la nouvelle, j'ai éclaté de rire", raconte une voisine, jeudi 23 avril. "Voir des migrants s'installer en pleine campagne, ce n'est pas banal", ajoute dans un sourire la jeune femme de 34 ans.
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L'ancienne caserne de la gendarmerie, en bordure du village, accueille désormais 40 migrants. Imaginé par l'Etat pour désengorger la ville de Calais, ce nouveau foyer géré par la société Adoma peut accueillir jusqu'à 60 personnes. L'expérience est une première en la matière. Corinne Fournier, la responsable du centre, n'a pas d'autre exemple sur lequel s'appuyer pour favoriser l'intégration des demandeurs d'asile dans ce territoire rural : "Notre rôle est d'abord de leur apporter un accompagnement social et administratif. En trois mois, ils ont déjà récupéré une humanité, ils dorment, se lavent et se sentent en sécurité."
"Maintenant, on est comme des frères"
Le centre ne recueille que des hommes, le village n'ayant pas les structures scolaires adaptées pour accueillir des familles. La majorité d'entre eux a fui l'Erythrée ou le Soudan dans des conditions précaires. En attendant la réponse pour leur demande d'asile, ils vivent désormais en colocation à trois ou quatre par appartement. Chacun dispose de sa chambre. "Avant, on ne s'entendait pas trop, mais, maintenant, on est comme des frères", témoigne Ayman Mahmoud Madany, un Erythréen de 38 ans.
Dans chaque logement, les réfugiés s'organisent pour les repas. Ils rassemblent une partie de leur argent dans une boîte qui leur permet d'aller faire les courses à la supérette du coin. Une sortie qui leur permet d'aller à la rencontre de Pouilly et de ses habitants. La plupart assurent que tout le monde se montre "très gentil" au village. Ils ne veulent pas de problèmes. Certains avouent à demi-mot s'être confrontés à des regards hostiles. Yassir, un Soudanais de 26 ans, raconte qu'une voiture s'est arrêtée une fois à côté de lui. Il s'est fait insulter. Mais il ne veut pas trop en parler.
"Ils ont des avantages que les Français n'ont pas"
Sur la place du village, entre la boulangerie et le bureau de tabac, beaucoup d'habitants ne cachent pas leur hostilité. "Je ne suis pas raciste, mais, avant d'aider des gens à des milliers de kilomètres, la France ferait mieux de s'occuper de ses propres enfants qui crèvent dans la rue", s'énerve une habitante. "Ils ont des avantages que les Français n'ont pas, c'est une injustice criante."
Les demandeurs d'asile touchent l'allocation temporaire d'attente, fixée à 11,45 euros par jour (soit un peu moins de 350 euros par mois). Et si les passants reconnaissent que les migrants du centre restent "tranquilles et discrets", beaucoup pointent du doigt ces aides sociales. "J'élève mon petit garçon malade avec 420 euros par mois, et eux, on leur donne tout...", proteste Céline, 31 ans, qui explique avoir voté Front national pour la première fois aux élections départementales. A Pouilly, le FN est arrivé en tête du premier et du second tour.
"On ne peut pas accepter toute la misère du monde"
"La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde." La phrase de Michel Rocard revient très souvent dans la bouche des habitants. Elle est aussi inscrite sur un tract du Parti de la France. Ce mouvement d'extrême droite et ses militants se sont invités à Pouilly, début avril. "Ils sont allés dans le centre Adoma pour coller des affiches et se sont mis à boire des bières devant le bâtiment", raconte Bernard Milloir, le maire du village, sans étiquette.
Les premières semaines, Bernard Milloir a reçu de nombreuses lettres pénibles à lire. Des insultes qui se sont multipliées après l'épisode des crêpes au château de Chailly, évoqué notamment par Le Bien public. Cet hôtel quatre étoiles a invité les migrants pour la fête de la Chandeleur. La réception et l'implication du maire, qui a accompagné les demandeurs d'asile en voiture, ont provoqué des remous.
"Nous ouvrir un peu l'esprit"
Les paroles échangées vont parfois loin. "A l'arrivée des migrants, une personne âgée m'a demandé si je n'avais pas peur qu'ils violent ma fille...", raconte une commerçante. Plus récemment, les travailleurs du centre d'accueil ont eu la désagréable surprise de découvrir leurs pneus crevés.
"La bêtise vient d'une méconnaissance des migrants et de leur situation", veut croire un habitant. Si une partie de la population reste sur ses gardes, certains se sont fortement mobilisés pour accueillir les nouveaux résidents avec le concours des associations caritatives. Marylin, une mère de famille de 39 ans, porte un regard bienveillant sur leur arrivée : "Ça peut nous faire du bien, nous permettre de nous ouvrir un peu l'esprit." Dans cette optique, Adoma a prévu vendredi 24 avril une soirée de rencontres avec les habitants pour laquelle chaque demandeur d'asile a préparé des plats de son pays.
"Avec un ballon, on parle tous la même langue"
Dans le foyer, seuls deux migrants comprennent bien le français. Pour améliorer la communication, les résidents suivent des cours dispensés par 23 bénévoles du centre social. Bernard Van Vlaenderen, un vétérinaire à la retraite, vient deux fois par semaine pour transmettre quelques bases à un groupe d'une dizaine de personnes.
"En France, on roule à droite, à droite." Dans un mélange de français et d'anglais, Bernard fait un point sur la sécurité routière. Le centre vient de recevoir une donation de huit vélos et la responsable s'inquiète pour la sécurité des migrants.
Mercredi, le club de football de Pouilly a accueilli pour la première fois une douzaine de demandeurs d'asile lors de son entraînement. Un match amical a été organisé entre deux équipes mélangeant joueurs du club et migrants. "Ce soir, pendant au moins deux heures, vous faites partie du club de foot de Pouilly, tout le monde vous accueille les bras ouverts", lance Samuel Charreau, l'entraîneur, avant d'être traduit en arabe par l'un des migrants.
Le club de foot de Pouilly souhaite désormais leur proposer de revenir chaque semaine à l'entraînement et d'intégrer éventuellement l'équipe en septembre. "Avec un ballon, on parle tous la même langue, et j'espère que cette initiative permettra de changer un peu le regard des habitants", confie Samuel Charreau.
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