: Enquête franceinfo "Pas de halal chez nous" : quand avoir un nom maghrébin empêche de louer sur Airbnb, Abritel ou Le Bon Coin
Plusieurs utilisateurs d'Airbnb, Abritel et Le Bon Coin estiment que leurs demandes de location ont été rejetées en raison de leur nom. Ils témoignent.
Une semaine au soleil dans une maison près des calanques de Marseille. Voilà le programme qu'avait imaginé Merwane Mehadji, 23 ans, pour ses vacances d'été en famille. Début août, il contacte des propriétaires sur Airbnb et Abritel, deux sites de location de logements entre particuliers. Trois demandes de réservation, trois refus. Est-ce son nom qui dérange ? "Souvent, il est difficile de prouver qu'on est victime de racisme. Mais quand on pousse un peu, il suffit de revenir sur l'annonce le lendemain et on peut voir les dates que j'avais sélectionnées auparavant qui sont de nouveau disponibles", constate le jeune homme.
Afin de vérifier s'il a été victime de discrimination, il demande à une amie, dont le nom n'a pas de consonance étrangère, d'effectuer une demande de réservation identique. "Elle a reçu une réponse dans la demi-heure avec confirmation que c'était bien disponible, indique Merwane Mehadji, à franceinfo. Je pense que je vais finir par prendre un hôtel. Ça va être plus cher et ce n'était pas exactement l'esprit des vacances que j'imaginais, mais à une semaine de la date de départ, je n'ai plus trop le temps."
Une réservation grâce à un nom "bien français"
Quelques jours après cette mésaventure, Merwane Mehadji a décidé de publier son coup de gueule sur Twitter. De quoi faire réagir les entreprises concernées. "Il s'agissait simplement d'un problème d'ordre technique", plaide Abritel auprès de franceinfo. Et la plateforme de réservation d'assurer qu'"aucune action judiciaire à l'encontre d'Abritel n'a été engagée pour des cas liés à de la discrimination." "Nous avons pris un certain nombre de mesures pour lutter proactivement contre ce genre de comportements odieux", assure de son côté Airbnb, qui met régulièrement en avant sa lutte contre la discrimination.
Mais les plateformes ne sont pas les seules à réagir à cet incident. Rapidement, d'autres utilisateurs de sites de location entre particuliers ont aussi partagé leurs expériences. Et plusieurs rapportent des situations similaires. C'est le cas d'Hakim et Salima, dont le nom est d'origine algérienne. Salima a contacté une personne sur Le Bon Coin afin de louer un logement dans la région toulonnaise pour l'été. Mais le propriétaire a rapidement mis fin à la transaction.
Tout se passait bien jusqu'au moment où il nous a demandé notre nom.
Hakimà franceinfo
"J'ai ensuite créé une adresse mail bidon avec un nom différent du mien et contacté la même personne dans les mêmes conditions, raconte-t-il. Il m'a alors dit que la location était toujours disponible."
Rached a aussi eu recours à ce "testing", en 2014. A cette époque, il fait une réservation sur Airbnb pour sa remise de diplôme à Bordeaux. Le propriétaire annule rapidement sa réservation, indiquant qu'il a finalement besoin de l'appartement. Rached demande alors à Marlène, une personne de son entourage au nom "bien français", d'effectuer la même demande de réservation. Celle-ci a été acceptée, selon Rached. Les deux sont finalement allés chercher les clés auprès du propriétaire. "Il était un peu gêné, mais sans plus", indique Rached à franceinfo.
Jhon Rachid évoque un "filtrage ethnique"
La couleur de peau peut aussi causer des discriminations lors des locations, comme le relève Sarah, une jeune femme noire : "J'ai remarqué qu'en utilisant le compte de mon copain pour réserver des appartements en France, nous n'avions jamais de souci pour réserver immédiatement. Par contre, dès que je fais une demande depuis mon compte, j'ai droit à des demandes sur les motifs de mon séjour avant confirmation."
En octobre 2017, déjà, l'humoriste Jhon Rachid, de son vrai nom Mohamed Ketfi, reprochait à Airbnb de cautionner le "filtrage ethnique". "Bon voilà j'ai jamais réussi à louer un seul appart sur Airbnb et j'ai essayé dix fois, expliquait-il sur Facebook. Loin de moi l'idée que c'est à cause de mon appartenance ethnique, mais quand même... et la seule fois où j'ai réussi à avoir un appartement c'est en le faisant louer par des amis avec un nom plus... euhh... doux."
"S'ils ont un Madjid et un Mathias, ils vont prendre Mathias"
Face à ce phénomène, Mehdi Dardouri a décidé de mettre de côté son patronyme. "Maintenant, j'utilise le compte de ma copine qui s'appelle Emilie ou le prénom de ma mère, Renée, et il y a moins de difficultés", explique-t-il à franceinfo. Mais cette combine a ses limites. "Même quand je fais des réservations au téléphone, au moment où je donne mon prénom, il y a un changement dans la conversation", raconte le jeune homme.
Des fois, je suis tenté de demander à des potes blancs de réserver pour moi sur Airbnb. On en est là !
Madjid Messaoudeneà franceinfo
Après deux mauvaises expériences, Madjid Messaoudene, inscrit sur Airbnb depuis plus de six ans, a lui aussi cherché des parades. "Le problème, c'est que l'on nourrit vite une forme de parano. On se dit : 'Est-ce que ce sont des mythos ou juste des gros racistes qui ne s'assument pas ?' raconte l'élu de la ville de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) à franceinfo. Je pense qu'il y a vraiment des gens racistes et comme ils ne peuvent pas l'être ouvertement, ils sélectionnent les gens en fonction des noms qu'ils ont. S'ils ont un Madjid et un Mathias, ils vont prendre Mathias alors qu'on paye le même prix." Résultat : désormais, Madjid Messaoudene préfère les hôtels et évite les services de particuliers à particuliers.
"Cette annonce était inadmissible"
La discrimination peut aussi être beaucoup plus explicite. C'était le cas sur une annonce de location d'une maison près d'Aix-en-Provence (Bouches-du-Rhône) sur Airbnb. Les hôtes avaient indiqué "Pas de halal chez nous" dans les remarques aux voyageurs. "J'ai dû échanger un grand nombre de fois avec Airbnb pour leur faire comprendre que cette annonce était inadmissible, rapporte Pierre, qui avait fait cette découverte il y a deux ans, alors qu'il cherchait une maison de vacances. Le seul résultat obtenu, ce fut une suppression de la phrase raciste, mais pas de l'annonce."
Contactée par franceinfo, l'entreprise américaine confirme avoir contacté l'hôte en question pour qu'il modifie son annonce afin de respecter la Charte d'engagement de la communauté. "La procédure d'Airbnb dans ce genre de situations consiste en effet à adresser un avertissement à l'utilisateur, précise l'entreprise. S'il n'est pas respecté, Airbnb peut procéder à la suppression du compte concerné." Ce qui n'a pas été le cas pour cette annonce, puisque le loueur a supprimé la mention illégale.
"La discrimination existe, que ce soit pour des locations longues ou de vacances", assure l'avocat Grégoire Hervet à franceinfo. Et celle-ci est une infraction pénale. L'article 225-1 du Code Pénal prévoit que toute "distinction opérée entre les personnes physiques sur le fondement de leur origine, (...) de leur appartenance ou de leur non-appartenance, vraie ou supposée, à une ethnie, une nation, une prétendue race ou une religion déterminée" est punie de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.
Le Défenseur des droits comme recours
Plusieurs utilisateurs de ces plateformes réfléchissent d'ailleurs à saisir la justice et plaident pour la mise en place d'un testing. Ce moyen d'investigation en situation réelle est notamment utilisé par le Défenseur des droits. "Il est important de quantifier scientifiquement la part de propriétaires malveillants sur ces plateformes pour qu'ils soient exclus", précise Madjid Messaoudene.
Je songe à saisir le Défenseur des droits pour lancer une opération de testing sur ces sites parce que ça commence à bien faire.
Merwane Mehadjià franceinfo
"Le Défenseur des droits est l'autorité naturelle pour traiter ces requêtes, abonde l'avocat Grégoire Hervet, à franceinfo. Les personnes concernées peuvent le saisir directement sur le site internet, puis le Défenseur des droits peut ouvrir une enquête et rendre une décision avec une transaction pénale."
L'autorité a d'ailleurs rendu un rapport sur les discriminations dans l'accès au logement en général. "Parmi les personnes ayant recherché un logement à louer, 14% déclarent avoir été confrontées à une discrimination, note l'autorité. Cette proportion varie fortement selon les groupes sociaux concernés." En effet, elle grimpe à 30% parmi les personnes perçues comme arabes et même 40% parmi les personnes perçues comme noires. "Les plateformes en ligne ne sont pas épargnées par les annonces discriminatoires, et le Défenseur des droits s'attache à ce qu'elles ne constituent pas une zone de non-droit", indique l'autorité.
Des preuves difficiles à apporter
D'autres recours sont aussi possibles. "On peut déposer une plainte pénale auprès du procureur de la République, indique Bertrand Patrigeon, avocat spécialisé dans la lutte contre la discrimination, à franceinfo. La règle numéro un en droit pénal, c'est la preuve. Donc si des personnes ont fait un test avec un autre nom, cet élément peut être apporté comme preuve."
"Porter plainte c'est très bien, mais c'est assez symbolique, prévient tout de même Grégoire Hervet. Car la personne devra prouver l'intention de l'auteur et c'est très compliqué." Le juriste conseille plutôt d'effectuer un recours au civil : "Dans cette procédure, la victime présumée doit 'simplement' présenter les faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination et c'est la partie adverse qui doit prouver que sa décision était objective."
Pour le moment, aucune condamnation pour discrimination n'a été rendue concernant des locations entre particuliers via ces plateformes. Mais la mobilisation des personnes qui affirment avoir été discriminées pourrait changer la donne.
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