Lidl veut s'émanciper des géants du numérique en développant ses propres outils de cloud

Le géant allemand du discount a créé une filiale consacrée au cloud, gardant ainsi la maîtrise sur ses propres données et permettant à des entreprises d'utiliser ses services au détriment des géants américains tels que Google, Amazon ou Microsoft.
Article rédigé par Louis Mondot
Radio France
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Temps de lecture : 4min
L'entrée du siège de Lidl, à Neckarsulm (Allemagne), le 13 février 2022. (FRANK HOERMANN / SVEN SIMON / SVEN SIMON)

Cette diversification a de quoi surprendre. L'enseigne discount Lidl est avant tout identifiée comme un acteur de la grande distribution. Sa société mère, Schwarz Group – du nom de son fondateur – a pourtant massivement investi dans le secteur du cloud ces dernières années. Le cloud au sens large, c’est-à-dire dans des solutions de stockage, de bases de données ou encore dans la cybersécurité.

La filiale dédiée à ces services, composée de 7 500 salariés, a même généré 1,9 milliard de dollars de chiffre d'affaires en 2023, note le Financial Times, qui évoque en longueur la stratégie du géant allemand. "Ce qu'ils proposent déjà aujourd'hui, ce sont tous les services essentiels pour une entreprise", observe Ophélie Coelho, chercheuse indépendante en géopolitique du numérique, associée au Centre internet et société. "Pour certaines activités comme l'e-commerce, il faut des services cloud de très bonne qualité parce qu'il s'agit de gérer beaucoup de références, d'informations et de données personnelles."

Répondre à des besoins en interne

La maison mère a d'abord développé sa propre architecture cloud parce que cela répondait à des besoins en interne. Mais depuis 2022, le groupe propose ses services à d'autres entreprises. Parmi ses clients, SAP, mastodonte du logiciel, le port de Hambourg ou encore le Bayern Munich, liste le quotidien britannique.

Une trajectoire qui rappelle celle d'Amazon, dont la solution cloud Amazon Web Services (AWS), lancée en 2006, est devenue depuis l'une des plus utilisées au monde. Venir du métier est un "gage de crédibilité du fait que ces acteurs répondent à des besoins métier très concrets. C'est ce qui peut les différencier de prestataires cloud qui sont uniquement des acteurs informatiques", explique la chercheuse.

Contrôler des données stratégiques

Mais l'enjeu est aussi d'assurer le contrôle des données. "Il faut bien avoir conscience qu'aujourd'hui, des données d'entreprises, d'administrations, de santé, ce sont des informations stratégiques sur la société, analyse l'auteure du livre Géopolitique du numérique : l'impérialisme à pas de géants (éditions de L'Atelier). Donc à partir du moment où vous n'êtes plus le producteur de technologies, si vous n'avez plus la gestion logicielle de ces technologies-là, vous courez le risque que ces données, à un certain moment, soient exploitées par d'autres prestataires. Et c'est ce qui se passe aujourd'hui avec les grands acteurs du cloud", tels qu'Amazon, Google ou Microsoft.

"Pour la plupart des gens, le cloud, ce sont uniquement des serveurs dans lesquels on stocke des données, ajoute-t-elle. Mais en fait non, le cloud c'est une énorme couche logicielle et c'est sur ce logiciel qu'on n'a pas du tout la main aujourd'hui [en Europe]. Or c'est celui qui détient le logiciel qui ouvre ou ferme les portes."

S'aligner avec le droit européen

"La législation européenne est une réaction à cela", rappelle Ophélie Coelho. Le RGPD, le Réglement général sur la protection des données, est entré en application dans l'UE en 2018, mais l'Union européenne s'est "rendu compte trop tard d'une monopolisation des données européennes par les 'Big Tech' dans plein de secteurs et sur des sujets parfois stratégiques".

"Aujourd'hui, il y a de nombreuses entreprises qui veulent faire du business en Europe et qui cherchent des prestataires cloud qui respectent la législation européenne", affirme la chercheuse, mentionnant par exemple Scaleway et OVH. Les géants américains eux, étant quasiment en "situation de monopole", "traînent des pieds" pour se mettre en conformité avec le droit européen, parfois au prix d'amendes salées.

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