Agressions sexuelles : #balancetonporc, "une première étape pour libérer la parole avant l'intervention de la justice"
Le hashtag #balancetonporc a été lancé sur Twitter, après les révélations d'agressions sexuelles concernant le producteur américain Harvey Weinstein. Pour Céline Piques, de l'association Osez le féminisme, ces publications contribuent à "la libération de la parole des femmes"
Harvey Weinstein a été exclu de l'Académie des Oscars samedi 14 octobre, après l'ouverture d'une enquête à la suite de nombreuses accusations de viols, d'agressions sexuelles et d'harcèlement visant le producteur américain. Ce scandale a provoqué une onde de choc qui dépasse les simples frontières du monde du cinéma et inonde les réseaux sociaux, notamment sur Twitter avec les hashtags : #myweinstein, #bebrave et surtout #balancetonporc, l'un des hashtags les plus partagés ce week-end, que les femmes utilisent pour raconter leur histoire personnelle.
Pour Céline Piques, porte-parole de l'association Osez le féminisme, ces publications contribuent à "la libération de la parole des femmes" et représente une "première étape avant l'intervention de la justice". Elle a dénoncé "un système organisé de violences sexuelles où les mécanismes de pouvoir et de domination permettent l'impunité."
franceinfo : le hashtag #balancetonporc est-il une bonne chose pour libérer la parole des femmes ?
C'est une très bonne chose. Quand on regarde les statistiques, les parcours et les récits des femmes, on se rend compte qu'il est extrêmement difficile pour elles de parler. Elles n'ont, la plupart du temps, rien à y gagner, [à part] un parcours judiciaire long et compliqué, avec une grande chance que leur agresseur s'en tire à bon compte. On l'a vu dans l'affaire Baupin avec une prescription, on l'a vu avec l'affaire Dominique Strauss-Kahn avec un accord financier. On voit bien une certaine impunité des agresseurs et des violeurs, qui fait qu'il est très difficile pour les femmes de parler. Ce type de hashtags est une première étape vraiment importante pour libérer la parole. Ces femmes sont courageuses parce que quand on parle - on l'a vu avec Sandrine Rousseau sur le plateau de l'émission "On n'est pas couché" - on a tendance à se heurter à des détracteurs qui mettent en doute notre parole.
Ce type de hashtag peut-il être une alternative à la justice ?
Non, ce n'est pas une alternative. Au contraire. Je dis simplement que c'est une première étape qui permet de sortir du silence, ce qui est extrêmement difficile pour les femmes. La deuxième étape, pour laquelle on se bat nous, les féministes, c'est le volet judiciaire et policier. Il faut rappeler qu'aujourd'hui, neuf femmes sur dix ne portent pas plainte. C'est un drame. Quand elles portent plainte, elles ont des difficultés à voir la justice prononcer une condamnation envers les violeurs. Il y a des choses à faire au niveau de la justice, comme la formation du personnel judiciaire et policier. Près de 94 % des femmes qui ont dénoncé leur patron ou leur employeur pour des faits de harcèlement ont perdu leur travail. Les conséquences aujourd'hui sont payées par les victimes et peu par les coupables.
En associant des noms et des photos à ce hashtag, y a-t-il un risque de poursuite en diffamation pour les femmes ?
En regardant le fil de tweets, il y en a beaucoup qui sont anonymes parce qu'il y a cette peur de la diffamation. Moi je crois ces femmes, parce que, je le répète, elles ont souvent tout à perdre. Il y a un deux poids deux mesures. On a des agresseurs, des violeurs, et en face, on a des femmes qui ne font que dire ce qu'elles ont vécu. On peut revenir à l'affaire Denis Baupin : il avait menacé [ses accusatrices] de diffamation. C'est le comble de l'horreur.
La deuxième souffrance, c'est de voir sa parole reniée, de se voir traitée de menteuse et attaquée en diffamation par la personne qui vous a violée et agressée.
Céline Piques, porte-parole d'Osez le féminismeà franceinfo
On parle beaucoup du droit de cuissage depuis des siècles, le harcèlement sexuel est puni aujourd'hui par la loi : deux ans de prison et 30 000 euros d'amende. Mais il y a toujours une omerta dans la culture française. On entend notamment des "oh ce n’est pas si grave", voire "c'est flatteur". Comment on peut mettre un terme à ces pratiques ?
La libération de la parole en fait partie, croire les victimes aussi. Il faut aussi faire attention au traitement médiatique des affaires : quand j'entends Weinstein parler d'addiction sexuelle, les mots sont importants. Dans son cas, ce n'est pas une addiction sexuelle, c'est un prédateur sexuel, un criminel qui a violé, agressé et harcelé un certain nombre d'actrices de par sa position dominante. En fait, ce qu'on aimerait pour que les choses avancent, ce serait que cela soit considéré non pas comme des cas isolés, mais comme quelque chose de relativement systémique, d'un système organisé de violences sexuelles où les mécanismes de pouvoir et de domination permettent l'impunité.
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