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La prison, un élément clé du parcours de Mohamed Merah

Le terroriste toulousain a affirmé que c'est lors de sa détention, en 2008, qu'il s'est radicalisé. A-t-il été endoctriné par des islamistes ?

Article rédigé par Gaël Cogné
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
Devant l'entrée de la maison d'arrêt de Seysses, près de Toulouse. C'est dans cet établissement qu'a été incarcéré Mohamed Merah en 2008. (LIONEL BONAVENTURE / AFP)

AFFAIRE MERAH - Selon Mohamed Merah, tout a commencé dans une cellule de Seysses. Une maison d’arrêt moderne, construite en 2003, à 25 kilomètres de Toulouse. Chroniquement surpeuplée, elle a été le théâtre d'une mutinerie, le 15 juillet dernier.

En 2008, quand il y est incarcéré, Merah n’est qu’un inconnu. Un petit délinquant multirécidiviste comme il y en a d’autres, dans une prison qui abrite une terroriste en semi-liberté autrement célèbre : Nathalie Ménigon, membre d’Action directe, responsable du meurtre du général Audran et du patron de Renault, Georges Besse, dans les années 1980. C’est en prison que "ma foi s’est décuplée", confesse Merah le 21 mars à son interlocuteur de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI) lors du siège de son appartement. "Je me suis engagé à ce que, dès que je sorte de prison, je fasse des recherches immédiatement pour (...) rejoindre", les islamistes, dit-il.

Pas assez d'aumôniers musulmans

A écouter Christophe Marquès, du syndicat national FO pénitentiaire, ce ne serait pas une première. "Beaucoup de personnes détenues se servent de la religion à des fins radicales et très peu de personnes peuvent intervenir, témoigne-t-il. Certains se servent de l’islam pour endoctriner, ils repèrent les détenus seuls, ceux qui n’ont pas de familles, pas de ressources." Selon lui, "les Renseignements généraux [la DCRI] sont assez alarmistes" sur ce sujet.

Une situation dénoncée en creux dans un récent rapport du contrôleur des prisons, dévoilé par L'Express. Il accuse l’administration pénitentiaire de faire preuve de discriminations. Selon lui, le régime halal est difficile à suivre et les aumôniers musulmans manquent : à peine 150 imams, contre 900 aumôniers pour les chrétiens (catholiques et protestants). Et ce alors que les musulmans représenteraient 30 à 40% des détenus, voire 60% selon les chiffres recoupés par le Washington Post et repris par Le Monde (article abonné) en 2008. Une situation dangereuse. Des imams autoproclamés prêchent le radicalisme et prospèrent loin des regards.

Le fondamentalisme n'est pas le terrorisme

Faut-il en conclure que Merah a été endoctriné lors de sa détention ? Spécialiste de l’islam en prison, le sociologue Farhad Khosrokhavar nuance : "Une grande partie des salafistes ne sont pas des terroristes et le prosélystisme n’est plus synonyme de radicalisme, il faut bien faire le distingo entre fondamentalisme et terrorisme."

D’ailleurs, Merah n’a pas l’apparence d’un salafiste. Pas de barbe longue, ni de moustache rasée ou de pantalon coupé, et pas de kamis, cette longue tunique portée par les fondamentalistes. Seul apparaît alors Abdelkader, son frère fondamentaliste aujourd’hui détenu à Fresnes, qui, selon un ex-codétenu, cité par le JDD"est venu le voir régulièrement avec sa mère. Il lui a fait passer un tapis de prières et une djellaba (...). Et puis surtout, il lui a donné un CD avec des chants islamiques, des bruits de détonations. Il écoutait ça à fond, du matin au soir. (...) Ça parlait de personnes égorgées, des âmes corrompues qui iraient en enfer. C’était insupportable." Son avocate conteste et des gardiens de prison interrogés par Marianne affirment qu’il "n’a pas côtoyé à Seysses de détenus islamistes prosélytes. Nous n’en avons jamais repéré dans l’établissement"

Une surveillance bien rodée

Le chercheur à l’EHESS estime que c’est précisément parce qu’il n’était pas affilié à un groupe que le terroriste est passé entre les mailles de la surveillance. "Par le passé, quand les gens se radicalisaient au nom de l'islam, ils le faisaient  au sein de groupes, de réseaux", explique-t-il. Mais, selon lui, ces réseaux ont un talon d’Achille : les moyens de communication. Depuis les attentats du 11-Septembre, les systèmes d’interception auraient fait de grands progrès. Et le paradigme du groupe structuré capable de détruire une tour a vécu. Ainsi, depuis les attentats de Londres, en 2005, "toutes les tentatives de monter des groupes islamistes ont échoué".

En prison aussi, les groupes sont suivis. La surveillance des jihadistes est devenue un système "bien rodé", dit-il, tout en refusant d’en préciser les méthodes. "Bien sûr, dans des prisons surpeuplées, vous ne pouvez pas tout contrôler. Mais les terroristes savent que s’ils font du prosélytisme, ils sont identifiés." Le chercheur en est persuadé. Si Merah est passé inaperçu, c’est qu’il ne correspondait pas au profil habituel. "C’est un nouveau paradigme." "En prison, il y a une surveillance accrue sur l’ancien modèle, le paradigme des réseaux. Mais ils ne sont pas sensibles au modèle du loup solitaire."

Ainsi, en prison, Merah se serait "autoradicalisé", comme l’a évoqué le procureur de Paris. "Si vous êtes mentalement perturbé, la frustration peut être un moment décisif, c’est ça le vrai problème, juge encore le sociologue. A mon avis, le vrai problème en prison, c’est qu'un tiers de la population carcérale ne devrait pas y être, mais devrait se trouver dans des hôpitaux psychiatriques. On met en prison des gens qui devraient être soignés."

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