JO de Paris 2024 : devant l'écran ou dans les tribunes, les Jeux olympiques sont-ils encore une affaire de jeunes ?
"On veut amener la jeunesse au sport." C'est la feuille de route – un rien ambitieuse – que s'est fixée en 2016 Thomas Bach, au moment d'introduire aux Jeux olympiques de nouveaux sports comme le breakdance et le skateboard, plus marketés vers les jeunes. "Avec toutes les options dont ils disposent, nous ne pouvons pas nous attendre à ce qu'ils viennent automatiquement vers nous. Nous devons aller les chercher", expliquait le président du CIO. La tâche s'annonce d'ampleur : entre Sydney 2000 et Rio 2016, l'âge moyen des téléspectateurs des Jeux dans le monde a grimpé de 45 à 53 ans. Et entre 2012 et 2016, les experts ès audiences cités par le Wall Street Journal ont observé un décrochage de 30% des 18-34 ans devant le poste. Faut-il pour autant en conclure que les jeunes boudent les Jeux ?
"Le nœud du problème, c'est que le modèle économique des JO repose sur la télévision", avance Belinda Wheaton, sociologue à l'université de Waitako (Nouvelle-Zélande) et autrice d'une étude sur le sujet. "Parmi les indicateurs-clés, les plus surveillés par les chaînes, il y a la part d'audience sur le public jeune, les 18-34 ans." Alors certes, Paris 2024 ressemble à un rouleau compresseur d'audiences qui balaye toute la concurrence sur son passage, mais ces quelques jours euphoriques n'effacent pas la tendance globale. Les chiffres d'audience de Rio montraient ainsi une désaffection massive des millenials (les jeunes nés entre 1984 et 1996), souligne l'agence spécialisée StatsPerform.
Le skate, porte-étendard de la Gen Z ?
Les choses ne sont pas allées en s'améliorant avec la génération Z, encore plus allergique aux grand-messes cathodiques. "Nous sommes engagés dans une course contre-la-montre, pour ne pas disparaître du monde des jeunes", reconnaissait en janvier Sebastian Coe, grand patron de l'athlétisme mondial, dans El Mundo. "Nous sommes en concurrence avec toutes ces influences extérieures qui occupent leur temps et qui, sincèrement, sont parfois plus palpitantes et plus en phase avec leurs vies."
En témoigne l'intérêt pour les Jeux, qui varie de 26% chez les 25-34 ans, à 43% chez les plus de 65 ans, selon une étude du Center for Digital Future en 2018. "Ce n'est pas que les jeunes ne s'intéressent plus au sport, au contraire, leur intérêt a rarement été aussi élevé", tempère Michael Neuman, consultant spécialiste du marketing sportif au sein de l'agence Playfly. Seulement, certaines disciplines olympiques restées dans leur jus trouvent moins grâce à leurs yeux que d'autres, jugées plus spectaculaires et plus fun. "Cela fait partie de la tactique du CIO, mais ça a pour l'instant surtout marché aux Jeux d'hiver, avec l'ajout du snowboard à Salt Lake City", pointe l'expert.
Aux JO de Paris, le skateboard, le BMX et le basket 3x3 constituent le package "jeune" installé place de la Concorde. Emilien, casquette de rider sur la tête, dépare un peu au milieu des maillots tricolores qui ont empli le skatepark pour l'épreuve du street, lundi 29 juillet.
Le Clermontois de 24 ans est plus à son aise dans le monde des skateurs que parmi les fans des JO. "Je suis un habitué du Festival international des sports extrêmes [le FISE], à Montpellier. Les Jeux, ça attire un public vraiment différent", assure-t-il en jaugeant les supporters qui s'égayent, drapeau tricolore en main, vers les buvettes. A Montpellier, "on est parqués le long du [fleuve] Lez, il y a des gradins, et aussi des endroits où on se pose sur un talus, ça peut vraiment être le bordel…", glisse Emilien. "Cela dit, j'étais agréablement surpris de l'ambiance olympique ! Même si ça reste un peu gentil à mon goût."
Ses parents, qui ont fait le déplacement à Paris, ont préféré aller voir une épreuve plus "convenable". Et ses amis habitués du FISE sont restés sur les bords du Lez : "à 120 euros la place [pour les JO], ça calme".
Génération 2024
Du mauvais côté de la grille, Bastien, un Manceau de 26 ans, rôde aux abords du skatepark mais n'entrera pas. "Les tickets pour les sports urbains sont partis très vite. C'est dommage, ça change vraiment des sports traditionnels, ça donne un coup de jeune aux Jeux, estime-t-il. Je m'y intéresse en plus, je suis à fond les X-Games." Le CIO s'est ouvertement inspiré de ces sortes de contre-JO, avec des sports urbains, pour tenter de rajeunir son audience. Sans enlever certains aspects du grand barnum coubertinien, comme le classement par nations.
L'effet de curiosité fonctionne à plein. Tirant sur une cigarette au pied de la tribune en tubulaires du skatepark, Mathilde, Adrien et Alexis, un peu plus de 25 ans, reconnaissent tout de go qu'ils sont un peu venus en touristes. "On n'est pas des grands fans. J'étais en train de regarder la cérémonie d'ouverture quand j'ai changé d'avis sur ces Jeux", reconnaît la jeune femme, qui s'est aussitôt "connectée sur le site" pour prendre des places. "Je me suis dit : 'mais c'est cool en fait'. Je n'avais vu que le côté 'ça va être le bazar dans les transports'."
C'est sans doute un des effets collatéraux des Jeux de Paris : susciter un intérêt pour le sport. Gabriel Attal rêve même ouvertement d'une "génération 2024", dans les colonnes de L'Equipe. Les 25-34 ans sont la tranche d'âge la plus représentée parmi les acheteurs de billets (31%), selon des chiffres communiqués en février par Paris 2024 et relayés par Le Parisien. Une statistique qu'on peut aussi lire dans l'autre sens : les plus âgés trustent les deux tiers des tickets.
Le gros des spectateurs des Jeux arborent ainsi quelques cheveux blancs, et sont souvent accompagnés de plus jeunes. A l'image de Hugo et Arthur, 20 et 15 ans, croisés à la sortie du stade de Colombes, où se déroulent les épreuves de hockey sur gazon. L'aîné a attrapé le virus olympique avec Rio et Tokyo. "Il n'était pas question que je rate Paris." Avec son frère, il va de site en site : hockey sur gazon donc, mais aussi aviron, beach volley, tennis de table, tir à l'arc, et basket 3x3. Les deux jeunes sont chaperonnés par leur mère, qui assure l'intendance.
"C'est l'occasion de toute une vie"
L'âge du public est peut-être lié à la communication de Paris 2024 sur la billetterie : nécessité d'acheter des packs un an à l'avance, prix ressentis comme prohibitifs... Elle a découragé nombre de 18-34 ans, qui, pour beaucoup, savent à peine de quoi demain sera fait, alors après-demain... A l'image de Guillaume, qui s'est décidé à la dernière minute : "On était devant la télé ce week-end à regarder les Jeux, je me suis dit 'tiens, le skate, ça doit être sympa', et je suis allé voir les épreuves cools qui étaient encore disponibles sur le site". "Tant pis pour le prix, c'est l'occasion de toute une vie", sourit celui qui, de son propre aveu, "picore" habituellement les Jeux à la télé.
"Si jamais les JO se déroulent à Rome ou à Berlin, je pourrai faire un effort. Dans quelques années, quand j'aurai un peu plus de sous."
Guillaume, un spectateur des épreuves de skateà franceinfo
A Rome, à Berlin, et partout dans le monde, les jeunes suivent aussi les Jeux sur les réseaux sociaux. En tout cas, c'est ce qu'affirmait le CIO le 28 juillet, se gargarisant d'un record d'audience sur ses comptes Instagram, Tiktok et autres, avec "700 millions d'engagements".
Des stastistiques qui laissent sceptique l'experte Belinda Wheaton. "Un peu comme le chiffre de trois milliards de personnes qui ont regardé les Jeux de Tokyo, ce sont des statistiques fabriquées pour avoir l'air incroyable, pointe-t-elle. Mais est-ce que ça signifie que ces images ont été vues avec attention, plutôt qu'entre deux scrolls ? Je ne suis pas sûre que ces chiffres prouvent grand-chose."
Un indicateur révèle une autre réalité sur l'intérêt porté par la jeune génération aux Jeux : la superstar du sprint Noah Lyles n'est suivi que par 1,3 millions de personnes sur Instagram, et le roi de la perche Mondo Duplantis par 900 000 fans. Des chiffres ridicules par rapport au compteur de glorieux anciens sportifs comme Usain Bolt (14 millions de followers) ou Michael Phelps (3,5 millions), sans même parler de footballeurs ou d'influenceurs hors de la sphère olympique. Avec 9 millions de fans, seule la gymnaste américaine Simone Biles, titrée trois fois à Paris, soutient la comparaison.
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