Mali. "L'éviction du Premier ministre s'apparente à un nouveau coup d'Etat"
Pour André Bourgeot, chercheur au CNRS interrogé par francetv info, le départ de Cheick Modibo Diarra risque de renforcer les forces islamistes qui occupent le nord du pays.
MALI - La crise politique au Mali vit un nouvel épisode. Le Premier ministre, Cheick Modibo Diarra, a annoncé dans la nuit du lundi 10 au mardi 11 décembre sa démission et celle de son gouvernement. Peu avant, il avait été arrêté à Bamako sur ordre du capitaine Amadou Haya Sanogo, l'ancien chef des putschistes qui avaient renversé le président Amadou Toumani Touré le 22 mars. Pour André Bourgeot, chercheur au CNRS spécialiste du Mali, interrogé par francetv info, cela s'apparente fort à un délogement violent, qui risque de renforcer les islamistes qui occupent le nord du pays.
Francetv info : Quelles sont les divergences entre le Premier ministre et l'ancien chef des putschistes qui permettent de comprendre cette démission ?
André Bourgeot : Le Premier ministre [au pouvoir depuis avril] commençait à prendre du poids et à faire de l'ombre à Sanogo. Il prenait de plus en plus des prérogatives de chef d'Etat. Et sa participation aux négociations à Ouagadougou (Burkina Faso) avec les rebelles touareg du Mouvement national de libération de l'Azawad (MNLA) et les islamistes d'Ansar Dine, qui occupent le nord du pays, lui a donné une audience internationale. Cela n'était pas du goût de Sanogo.
Les deux hommes sont aussi en désaccord sur la stratégie de reconquête du nord du Mali. Sanogo veut que la reprise en main passe par l'armée malienne, alors que Diarra était favorable à l'aide de puissances étrangères via la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao).
Après la démission de Diarra, quelles sont les forces en présence à la tête du Mali ?
Il y avait jusque-là trois forces à la tête du pouvoir institutionel au Mali : le président par intérim Dioncounda Traoré, Amadou Haya Sanogo et Cheick Modibo Diarra. Auxquelles il faut ajouter une sorte de quatrième pouvoir qui est le Haut Conseil islamique. Cela créait clairement un problème de leadership, avec des interlocuteurs différents pour les négociations.
Avec la démission de Diarra, Sanogo, qui occupait moins la scène ces derniers temps, reprend le dessus. On ne connaît pas encore la teneur des discussions au moment de l'arrestation du Premier ministre, mais cela s'apparente fort à une intervention assez brutale, à un nouveau coup d'Etat. Mais il faut attendre la nomination du nouveau Premier ministre, qui nous en dira plus sur les nouveaux rapports de force.
Ces événements risquent-ils de bloquer l'intervention étrangère dans le Nord réclamée par une partie de la population ?
Sanogo préfère une intervention de l'armée malienne mais elle est si affaiblie qu'on imagine mal comment elle pourrait reconquérir le Nord. A moins que l'armement commandé par le Mali, bloqué au moment du coup d'Etat à la suite des sanctions de la Cédéao, soit finalement arrivé dans le pays maintenant que l'embargo a été levé. Cela pourrait renforcer Sanogo qui rebondirait politiquement.
L'Union européenne, favorable à une intervention internationale après un feu vert de l'ONU, est dans une position délicate. Soit elle accepte la démission du Premier ministre sans poser de questions sur son arrestation, et cela veut dire qu'elle cautionne. Soit elle considère qu'il y a un coup d'Etat et condamne Sanogo. Dans ce cas, elle fera face à un vide constitutionnel et n'aura plus d'interlocuteur. Tout cela conforte en tout cas les forces qui contrôlent le Nord. L'absence de centralité du pouvoir politique fait le jeu des jihadistes.
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