Vagues de chaleur, sécheresse… Dans le sud de la France, les éleveurs s'adaptent à une météo de plus en plus difficile
Verdun, dans l'Ariège, a battu son record de chaleur : 40,6°C, à 550 m d'altitude. Les températures enregistrées mercredi 19 juillet ont surpassé de 1,3°C le précédent record, établi en 2020, mais les vaches de l'exploitation de la famille Bernadac, installée sur cette petite commune des Pyrénées, n'ont rien senti. Depuis le mois de juin, le troupeau de 140 mères de race Gasconne a pris ses quartiers d'été sur le plateau de Beille, à 2 000 m d'altitude. Elles estivent, dit-on ici.
"Elles s'installent dans les endroits frais : dans les sous-bois, en bord de ruisseau... Nous avons la chance d'avoir ce territoire qui le permet et une race faite pour la montagne", explique Guy Bernadac. "On n'est pas dans la situation que l'on rencontre dans les plaines américaines, avec de la production de masse" et où les mêmes températures terrassent les bovins par milliers.
Alors qu'une canicule frappe le sud-est de la France et que des températures étouffantes se sont installées sur le pourtour méditerranéen, des éleveurs témoignent de leur résilience face à des conditions de plus en plus susceptibles de malmener les humains et les animaux. Une leçon d'adaptation, aux avant-postes face au changement climatique.
L'élevage à l'ombre des arbres et des haies
"Je fais du foin vers Sisteron et il arrive que j'aperçoive en chemin des agneaux en plein cagnard. Ça n'a pas de sens", soupire Mathias Comparat, éleveur installé en bio à Montclus, dans les Hautes-Alpes. Son exploitation compte 210 brebis, élevées pour leur viande, et 90 alpagas, dont il vend la laine. Quand le thermomètre taquine les 40°C, "les bêtes mangent entre 6 heures et 11 heures, puis le soir, de 18 heures à 23 heures". "Le reste du temps, elles sont dehors. Heureusement, nous avons des espaces forestiers, poursuit-il. Elles vont se caler à l'ombre, et nous, on s'assure qu'elles se trouvent près d'un point d'eau."
Face aux fortes chaleurs, les animaux, comme les humains, cherchent l'ombre, la fraîcheur et de quoi s'hydrater. Des arbres, des haies, de l'eau... Autant d'écosystèmes longtemps sacrifiés au nom de la productivité. "C'est sûr que nous avons la chance d'avoir six hectares de forêts et de bosquets", remarque Arnaud Mutschler, entre deux clients venus se procurer fromage et lait vendus à la ferme. Eleveur à La Tour-d'Aigues, dans le Vaucluse, il a observé dans l'après-midi des températures grimpant jusqu'à 36°C. "Ce sont des conditions que l'on connaît bien, assure-t-il. Quand il a été question de faire le parc pour nos porcs, qui sont élevés en plein air, j'ai fait en sorte qu'il rejoigne une rangée de chênes et c'est là qu'on leur a fait une grande mare de gadoue. Ce sont des animaux qui ne transpirent pas et ne peuvent donc pas réguler la chaleur."
"C'est plutôt dans les régions où les gens n'ont ni l'habitude, ni les infrastructures pour faire face à la chaleur que ce sera compliqué de s'adapter à ce qui, ici, paraît plutôt normal."
Arnaud Mutschler, éleveur à La Tour-d'Aigues (Vaucluse)à franceinfo
Pour François Latour-Ville, conseiller élevage pour la structure Agribio 05, les terres agricoles qui portent les traces de décennies d'agriculture intensive sont aussi les plus vulnérables au changement climatique. "Dans les Hautes-Alpes, nous avons eu cette chance que la configuration topographique rende plus difficile l'intensification. De ce fait, nous avons gardé une agriculture très diversifiée et des fermes de plus petite taille", se félicite-t-il.
Le fourrage, "or jaune" menacé par la sécheresse
Damien Orière, éleveur de bovins bio dans le même département, se réjouit d'avoir réduit de 40% en cinq ans la taille de son troupeau. Avec 30 vaches allaitantes pour un total de 90 bêtes, "c'est moins tendu au niveau fourrager. Entrer dans l'hiver avec moins d'animaux permet d'être plus serein sur ce point, note-t-il. Je mets tout en œuvre pour constituer un stock de fourrage au printemps et ne pas uniquement compter sur la pousse de l'herbe en été." Face aux conditions climatiques chaotiques, ce stock fait office "d'assurance", poursuit l'éleveur.
"En 2022, les éleveurs assurés pour perte de récolte ont reçu de l'argent. Mais quand plus personne n'a de foin et que tout le monde en cherche en même temps, ça ne règle pas le problème. On ne nourrit pas les vaches avec des billets de banque."
Damien Orière, éleveur à Rambaud (Hautes-Alpes)à franceinfo
"Tout le monde s'est rendu compte de la nécessité d'adapter nos systèmes de culture et d'élevage en fonction de ces années-là, qui vont être complexes", abonde Mathias Comparat. Lui aussi a été conforté dans ses choix par "l'enfer absolu" de 2022. Passé en semis direct – sans travail des sols – et en couvert végétal pour protéger ses cultures des épisodes de sécheresse, il prône une taille de troupeau "raisonnable" et toujours plus d'espaces de pâturage. "On fait rester les bêtes moins longtemps sur les parcelles, pour qu'elles n'aient pas le temps de racler le sol, explique l'éleveur. En laissant 10 cm de pousse, on a une repousse exceptionnelle".
Cette année, avec d'autres agriculteurs du réseau Agribio 05, il a semé du teff, une céréale proche du millet capable de pousser rapidement, y compris en cas de fortes chaleurs, que l'on trouve d'ordinaire en Afrique de l'Est. Là encore, il s'agit d'être prêt à encaisser à nouveau des conditions sèches et chaudes, évitées cette année, certes, mais pour combien de temps ?
"Mes parents ne se posaient pas ce genre de questions"
Dans le Gard, le thermomètre a également dépassé les 35°C. Mais, dans le bâtiment où Arnaud Mezghenna et son épouse procéderont en début de soirée à la traite de leurs 40 chèvres, "ça ne monte pas au-delà de 27°C". Adaptée à la chaleur, cette structure ancienne en parpaing, avec laine de verre et tuiles sur le toit, a toutefois nécessité quelques aménagements pour rendre supportable les températures estivales. "On a fait installer une brumisation que l'on fait tourner quand il fait très chaud", détaille-t-il. Et pour cause, "quand elles ont trop chaud, les bêtes ont moins d'appétit et font moins de lait. C'est aussi mauvais pour la reproduction, fin août".
Pour les humains aussi, la chaleur devenait un problème. Quand l'éleveur a repris l'exploitation au départ à la retraite de ses parents, il a ajouté des volets, un brumisateur et un petit ventilateur en salle de traite, puisque "on trait à 19 heures, après que le soleil a tapé toute la journée sur le bâtiment. Mes parents ne se posaient pas ce genre de question", reconnaît-il en riant.
Sylvie Stouff a beau être agricultrice depuis vingt-cinq ans, comme son père et son grand-père avant elle, "on ne fait pas tout à fait le même travail", estime-t-elle depuis sa ferme de Roussennac, dans l'Aveyron. "S'adapter, cela fait partie du métier. C'est difficile, mais c'est aussi ce qui le rend si intéressant", s'enthousiasme-t-elle. Elle se souvient des grands bacs d'eau dans lequels s'abreuvaient les animaux du temps des anciens, loin des "sucettes, ces systèmes que les brebis poussent pour avoir de l'eau bien fraîche, et pas de l'eau stagnante, tiède, qui ne fait pas franchement envie".
"Il y a trois ans, on a connu de fortes chaleurs, après une période plutôt fraîche. Les bêtes n'allaient pas bien du tout, c'était un coup de chaleur. Cela nous a décidés à investir pour rendre le bâtiment plus agréable."
Sylvie Stouff, éleveuse à Roussennac (Aveyron)à franceinfo
Quelques jours ont suffi à installer de grands ventilateurs avec un système de brumisation, que le couple fait fonctionner par intermittence, en fonction des conditions. "Maintenant, quand il fait chaud et que je vais chercher les brebis qui ont pâturé le matin, aux heures fraîches, on dirait qu'elles m'attendent, rit-elle. Elles font ce qu'elles veulent, d'ailleurs, donc parfois, elles rentrent d'elles-mêmes." D'autant plus que la salle de traite est équipée depuis l'année dernière d'un système rafraîchissant. "On a pensé au confort des brebis avant de penser au nôtre, mais ça commençait à être vraiment trop étouffant pour travailler dans de bonnes conditions", insiste Sylvie Stouff.
Lui aussi éleveur de brebis dans l'Aveyron, Dominique Cailhol a également investi dans de grands ventilateurs. Après avoir détaillé les bienfaits de cette solution d'appoint, pour les animaux comme pour lui, il conclut : "Nos anciens avaient adapté les bâtiments pour passer l'hiver. Nous, nous les adaptons pour passer l'été."
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