Du "localisme" à la "décroissance", comment tous les partis politiques se mettent (plus ou moins) au vert
De gauche à droite, chacun reconnaît l'enjeu central du changement climatique pour les prochaines élections. Franceinfo a tenté de comprendre les raisons de cet intérêt croissant et les différences qu'il renferme.
Pour Marine Le Pen, la transition écologique "est un sujet fondamental". Une phrase, prononcée sur France Inter mardi 23 mars, inattendue dans la bouche de la présidente du Rassemblement national. Plus tôt, mardi 9 mars, la députée du Pas-de-Calais avait présenté un contre-projet de référendum sur l'écologie, un sujet longtemps délaissé par son parti et qu'elle entend désormais intégrer à son programme pour la présidentielle.
Pourquoi s'intéresser maintenant au changement climatique (dont elle disait en 2012 ne pas être "sûre que l'activité humaine soit l'origine principale") ? "Depuis les dernières élections, les politiques se sont rendu compte qu'il y avait un électorat derrière. Face à un phénomène comme celui-ci, ils sont très pragmatiques et s'y engagent", décrypte pour franceinfo Daniel Boy, directeur de recherche au Cevipof et spécialiste en sociologie électorale et en écologie politique.
Un sujet devenu crucial pour les électeurs
La liste d'Europe Ecologie-Les Verts (EELV) menée par Yannick Jadot a en effet obtenu 13,47% des voix lors des dernières européennes de 2019 et le parti a remporté plusieurs grandes villes françaises lors des municipales de 2020. "Ces résultats ont ébranlé les autres partis, qui se sont rendu compte que les écologistes n'étaient plus une force d'appoint, mais qu'ils étaient porteurs de questions centrales pour un grand nombre de citoyens", soutient Eva Sas, porte-parole d'EELV.
Quand on demande aux Français les sujets prioritaires à leurs yeux, l'environnement prend désormais une place croissante – de 7% des sondés qui plaçaient cet enjeu en tête en 2011, on passe à 15% en 2020. Face aux alertes régulières de la communauté scientifique, "on voit nettement monter le thème environnemental chaque année. Et quand ce n'est pas le premier sujet cité, il fait désormais majoritairement partie des trois premiers. Ce n'était pas du tout le cas auparavant", complète Daniel Boy.
Conséquence : d'un "petit paragraphe secondaire" dans les programmes, comme se souvient Daniel Boy, l'écologie est devenue pour tous l'un des enjeux principaux sur lesquels les politiques planchent pour 2022. "Aujourd'hui, il y a trois grands sujets : la sortie de la crise sanitaire, les questions régaliennes permanentes et l'écologie", affirme Dominique Potier, député socialiste qui travaille sur la question. "Beaucoup d'élus se sont réveillés et se sont rendu compte qu'ils n'avaient rien sur ce sujet-là", convient Julien Aubert, qui suit les questions énergétiques chez Les Républicains.
Les autres partis ont compris que c'était un enjeu important pour les citoyens, que ça devenait un paramètre de leur vote, alors ils repeignent les programmes en vert, mais c'est souvent de l'opportunisme.
Eva Sas, porte-parole d'EELVà franceinfo
Les initiatives se multiplient donc à travers l'échiquier politique. Au projet de loi Climat et résilience du gouvernement, largement critiqué, s'oppose le contre-projet de référendum sur l'écologie du Rassemblement national, qui veut poser aux Français 15 questions portant sur le nucléaire, les éoliennes ou encore l'installation des grandes surfaces commerciales. Chez Les Républicains, des "task force environnement", "tour de France de l'environnement" et "matinées de l'écologie" ont été organisés en 2020 et ont abouti à la rédaction de propositions en faveur du fret ferroviaire, d'un grand plan hydrogène, de la rénovation des bâtiments ou encore d'une taxe carbone aux frontières de l'UE. Chez les socialistes, on travaille également sur une publication prévue le 8 avril prochain consacrée à la "justice climatique". La France insoumise, elle, a déjà sorti le 11 mars un livret nommé Face à la crise climatique, la planification écologique.
Différentes nuances d'écologie
Personne n'est donc indifférent à la crise climatique. Mais les réponses proposées divergent. Outre des clivages ciblés comme le nucléaire, soutenu à droite et débattu à gauche, "on voit différentes philosophies" émerger, remarque Eva Sas. "La gradation va du minimum vital, le développement durable qui veut mettre en cohérence le développement économique avec l'environnement, à l'autre extrémité, la décroissance, car toute croissance produit du CO2", dépeint Daniel Boy. Entre les deux, chacun y va de sa définition de l'écologie.
Au Rassemblement national, on prône le "localisme" et les "circuits courts" par opposition au "globalisme". Le projet écologique du RN met l'accent sur les dimensions économique et migratoire. Les "effondrements sanitaires qui nous menacent proviennent aussi bien de la pression sur les écosystèmes que de la concentration forcée de la population dans les métropoles et d'une mobilité hors de contrôle", défend la cheffe du parti d'extrême droite.
Du côté des Républicains, on explique que "la transition énergétique ne peut pas se faire au détriment de la croissance économique". On veut avant tout "privilégier l'indépendance énergétique de la France, protéger le pouvoir d'achat des Français et investir dans la technique et le progrès", déroule Julien Aubert.
Des réponses à la crise qui divergent
"J'aurais pu entendre ces atermoiements il y a 10 ans, aujourd'hui c'est irresponsable, fustige Eva Sas. Quand on prend conscience que nous vivons dans un monde fini aux ressources limitées, on ne fait pas une politique économique de la même façon !" Une idée qui fait écho à la "règle verte" mise en avant par La France insoumise (LFI) : "Ne pas prélever plus que ce que notre planète ne peut régénérer ou absorber", expose Mathilde Panot, vice-présidente du groupe LFI à l'Assemblée nationale. Et de mettre en avant l'"écologie populaire" proposée par le parti de Jean-Luc Mélenchon : "Nous ne voulons pas laisser le marché décider à notre place. Il faut repartir de nos besoins fondamentaux."
Non loin de là, le Parti socialiste abonde. L'écologie "n'est ni une forme de nationalisme qui penserait que la frontière protège en toute chose, pas plus qu'un libéralisme qui fait confiance au marché. Pour nous, c'est une question sociale", décrit Boris Vallaud, porte-parole du PS. "Les principales causes des désordres écologiques sont le productivisme et les inégalités. La solution passe par plus de régulation des marchés, un partage des ressources, de nouvelles règles internationales. Tout ça, c'est un discours avant tout social", complète Dominique Potier.
Et les moyens accordés par chacun pour lutter contre le changement climatique ne sont, là aussi, pas les mêmes. "Un programme écologiste doit être technique. Concrètement, comment fait-on pour aboutir aux objectifs fixés par les traités internationaux ou à ce que préconise le Giec ? La neutralité en 2050, comment on y arrive ? Il ne suffit pas de faire de la poésie sur le local", note Daniel Boy.
Promesses tenues ?
Au-delà de la communication sur leur lancement, les initiatives des Républicains ont d'ailleurs vite tourné court : le "tour de France de l'environnement" n'a fait qu'une étape et il n'y a eu que deux sessions des "matinées de l'écologie". Ils se refusent, de plus, à brûler les étapes. "Plutôt que de sauter d'un état A à B, on va tenter de passer par C, D, E, F et G pour le faire le moins violemment possible. Ça va prendre plus de temps. On vous dit qu'il y a urgence, que l'homme est le problème, mais ces mesures fortes, personne n'explique que ça revient à démolir le modèle dans lequel on vit", défend Julien Aubert. Quant au projet de Marine Le Pen, "il n'est guère question de sujets qui fâchent, de taxe carbone, de limitation de vitesse ou d'enfouissement près de chez soi de déchets nucléaires" ou de l'isolation thermique des bâtiments, responsables de près d'un quart des émissions de gaz à effet de serre, souligne Le Monde.
"Le dernier rapport du Haut Conseil pour le climat demande des modifications assez profondes du niveau de vie, des priorités économiques, et du modèle d'organisation et de consommation. Si vous dites : 'Nous n'allons pas toucher à la consommation et au modèle de production', je ne vois pas de quoi vous parlez en matière d'environnement."
Simon Persico, politologueau site spécialisé Reporterre
Les différents partis de gauche rétorquent donc "planification écologique", "rupture de nos modèles" et "transversalité". Encore faut-il maintenir ces promesses une fois élu. "Faire de l'écologie quand on est au pouvoir, c'est compliqué. Un gouvernement n'est pas indifférent aux groupes d'intérêts – industriels, agriculteurs, etc." remarque Daniel Boy. Ainsi La République en marche, qui "parlait aussi d'écologie" en 2017, a fini par faire "des mesures moyennes, de l'écologie des petits pas". "Après tout, l'écologie reste souvent dans les programmes", regrette Eva Sas.
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