Six questions sur le détachement d'un iceberg géant de l'Antarctique
Ce vêlage, dans une région vulnérable aux dérèglements climatiques et où la calotte glaciaire subit de profonds changements, interroge les scientifiques.
Il sera probablement baptisé "A68". Un iceberg de mille milliards de tonnes, l'un des plus gros jamais vus, vient de se former après s'être détaché de l'Antarctique. "Le vêlage [la séparation] s'est produit entre lundi [11 juillet] et mercredi [12 juillet]", ont annoncé les scientifiques de l'Université de Swansea (Royaume-Uni), se basant sur des données satellitaires de la Nasa.
Ce vêlage dans une région vulnérable aux dérèglements climatiques, où la calotte glaciaire subit de profonds changements, interroge les scientifiques. Franceinfo se penche sur le phénomène en six questions.
1Quelle taille fait-il ?
Ce bloc de glace mesure 5 800 km2, soit 55 fois la surface de Paris, la taille de Bali (Indonésie), ou les deux tiers de la Crète (Grèce). D'une épaisseur de 350 mètres, l'iceberg faisait partie d'une gigantesque plateforme de glace, nommée Larsen C.
Breaking news! The iceberg has fully detached from Larsen C - more details to follow soon pic.twitter.com/pdSxDuAGjR
— Project MIDAS (@MIDASOnIce) 12 juillet 2017
2Pourquoi ce n'est pas une surprise ?
Depuis une décennie, les scientifiques surveillent de près le bloc de glace. Larsen C était fissuré depuis des années par une gigantesque crevasse, qui s'est allongée de manière frappante ces derniers mois, gagnant jusqu'à 18 km en décembre. Début juillet, le futur iceberg n'était plus relié au continent que sur cinq kilomètres.
3Cet événement est-il lié au réchauffement climatique ?
La formation des icebergs est un processus naturel. Mais le réchauffement de l'air, comme des océans, contribue à accélérer les détachements, selon les scientifiques. Or, l'ouest de l'Antarctique est une des régions du globe se réchauffant le plus rapidement, sous l'effet du dérèglement climatique mondial généré par les activités humaines.
"C'est le signe que les ice shelves (plateformes glaciaires) sont de plus en plus fragilisées", estime Catherine Ritz, chercheuse au CNRS, qui y voit le signal d'un réchauffement accéléré.
4Faut-il craindre une hausse du niveau des océans ?
L'iceberg n'aura pas d'impact sur le niveau des océans, car il flottait déjà sur l'eau. Mais Larsen C retient des glaciers capables, eux, de faire gagner 10 cm aux mers du monde s'ils finissent dans l'océan, selon les chercheurs. Privée de 12% de sa superficie, la plateforme épaisse de 200 à 600 m, collée à la péninsule antarctique, est désormais "potentiellement moins stable", soulignent-ils.
Au final, la zone pourrait suivre l'exemple de Larsen B, une autre plateforme glaciaire qui s'était désintégrée de façon spectaculaire en 2002, sept ans après la formation d'un iceberg. Une troisième plateforme, Larsen A, avait disparu en 1995.
"Nous allons suivre les signes d'instabilité du reste de la plateforme", explique le glaciologue Martin O'Leary, du projet Midas. "Dans les mois et années à venir, la plateforme pourrait soit se reconstituer peu à peu, soit souffrir d'autres départs d'icebergs pouvant en toute fin conduire à son effondrement. Là-dessus les scientifiques sont divisés", ajoute Adrian Luckman, professeur à l'université de Swansea (Royaume-Uni) et responsable du projet Midas, qui suit la situation : "Nos modèles disent qu'elle sera moins stable. Mais tout effondrement ne se produirait pas avant des années, voire des décennies."
"Les signes que nous avons observés pour Larsen A et B, nous ne les voyons pas encore", abonde la professeure Helen Fricker, de l'institut d'océanographie Scripps, interrogée par la BBC News. "Les glaciers (derrière Larsen C) n'ont pas un gros potentiel et sont contraints par des montagnes. Ils ne vont pas s'emballer jusqu'à entraîner une grosse partie de l'Antarctique", estime de son côté Catherine Ritz.
5Où va aller l'iceberg ?
"La progression future de cet iceberg est difficile à prédire, souligne Adrian Luckman. Il pourrait rester entier, mais devrait plus probablement se rompre en plusieurs fragments. Une partie de la glace pourrait rester dans la région des décennies durant, tandis que des portions pourraient dériver vers le Nord et des eaux plus chaudes."
D'après l'Agence spatiale européenne (ESA), qui a observé le vêlage depuis son satellite Sentinel-1, les courants pourraient entraîner des morceaux jusqu'aux Malouines, générant même un risque pour les navires croisant dans le détroit de Drake (le large bras de mer séparant l'extrémité sud de l'Amérique latine et l'Antarctique).
6Ce genre de phénomène va-t-il se multiplier ?
Sans doute. Catherine Ritz évoque des secteurs "beaucoup plus problématiques" à l'ouest du continent blanc (dont le socle est nettement en dessous du niveau de la mer, contrairement à l'est) : dans la mer d'Amundsen, le glacier de l'île du Pin ("PIG") et surtout celui de Thwaites qui, à lui seul, peut faire grimper de quelque deux mètres le niveau des mers. "Eux ont un potentiel de recul, sans pouvoir s'arrêter, si leur plateforme glaciaire fond. Et PIG a déjà bien commencé", prévient la scientifique.
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