A Mayotte, le grand défi des opérateurs de télécommunication, après le balayage des antennes-relais par le cyclone Chido

Le Premier ministre François Bayrou a annoncé que 200 kits Starlink seraient déployés pour répondre à l'urgence, alors que les équipes des grandes entreprises sont sur le pont depuis deux semaines pour restaurer le réseau.
Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 10min
Une rue de Mamoudzou, à Mayotte, le 23 décembre 2024. (PATRICK MEINHARDT / AFP)

Alors que des milliers de logements ont été endommagés et que l'accès à l'eau et à la nourriture reste difficile, Mayotte souffre également d'un problème de réseau depuis le passage du cyclone Chido, le 14 décembre. De nombreuses infrastructures ont été balayées lors du phénomène météorologique, ce qui a contribué à isoler le département et ses habitants.

Le Premier ministre, François Bayrou, a d'ailleurs évoqué la question en dévoilant son plan "Mayotte debout", lundi 30 décembre. "Pour pallier les difficultés et répondre à l'urgence, nous allons déployer 200 [antennes] Starlink pour assurer les télécommunications en urgence", a-t-il déclaré.

"Les technologies satellitaires sont utiles dans ce genre de crises"

Ces kits doivent offrir un accès d'urgence à internet grâce à la constellation de 5 000 satellites déployée par la société du milliardaire Elon Musk. Mais le chef de l'exécutif n'a pas livré d'autres détails sur la future commande de l'Etat ou sur son périmètre opérationnel. Lors de sa visite à Mayotte, le 19 décembre, le président Emmanuel Macron avait annoncé le déploiement, "à partir de la semaine [suivante]", de connexions internet satellitaires. Il avait ajouté que la mise en œuvre s'effectuerait dans un premier temps au niveau des mairies, puis dans des zones relais, afin de permettre à la population d'obtenir du réseau.

D'autres acteurs locaux disposaient déjà d'un abonnement avant même la catastrophe. Ils ont été pris d'assaut ces derniers jours, rapporte La 1ère Mayotte. L’association Emanciper Mayotte, précisent nos confrères, tente également d'acheminer du matériel Starlink dans les villages du Sud.

"Les technologies satellitaires sont utiles dans ce genre de crises", confirme Tom Wright, porte-parole d'Orange. Nous avons six SafetyCase en fonctionnement et six ou sept autres en commande." Ces équipements développés en France, qui utilisent la technologie Starlink, peuvent fonctionner avec un groupe électrogène ou en autonomie.

Ils ont été notamment mis en place à l'hôpital de campagne déployé à Cavani, au service d'électricité de Mayotte, à Longoni, et à la société de transport maritime MSC, basée à Koungou. Dans l'Hexagone, ces gros boîtiers utilisent l'offre EutelSat, avec un satellite géostationnaire et un débit puissant. Mais à Mayotte, ils sont reliés à la constellation Starlink. Par ailleurs, le groupe précise à franceinfo avoir commandé une vingtaine de kits Starlink pour "créer des bulles Wi-Fi".

Rétablir le réseau, priorité des opérateurs

Les opérateurs, toutefois, ont un autre défi à relever en urgence. "Les SafetyCase répondent à des utilisations ponctuelles sur des zones critiques, mais la priorité est de rétablir le réseau mobile pour toute la population de Mayotte", reprend Tom Wright. Il évoque ces "antennes-relais pliées en deux", qui nécessiteront "des travaux très lourds". D'autres, en revanche, ont été réparées ou le seront prochainement. La couverture mobile n'est pas encore entièrement rétablie sur l'île et la situation est encore difficile dans le Nord. Mais les progrès sont réels et constants. Chez Orange, le taux de couverture de la population était remonté mardi à 78%, avec 25 antennes en état de fonctionnement sur 67, contre deux après le passage du cyclone.

Les annonces de François Bayrou ont suscité la colère de Laurentino Lavezzi, directeur des affaires publiques du groupe Orange. Dans un message au vitriol posté sur X, celui-ci a regretté le peu de considération affiché par le Premier ministre pour les équipes techniques. Il a également dénoncé des décisions favorables à l'entreprise d'Elon Musk. "Ainsi, les générateurs électriques sont-ils dirigés en priorité vers les hot points Wi-Fi Starlink, tandis qu’on refuse des générateurs aux opérateurs… Et ce, alors qu’avec quatre générateurs électriques seulement, la couverture mobile Orange passerait de 75 à 85% de la population". Un indice des tensions locales, à la mesure des besoins.

"Comme tout le monde à Mayotte, nous cherchons des groupes électrogènes", résume de son côté Tom Wright. "S’agissant d’un achat par l’Etat de terminaux StarLink, il faudrait voir directement avec l’Etat pour identifier ces conditions et l’usage envisagé. Nous ne sommes pas impliqués dans ce projet."

Les autres opérateurs sont également en première ligne depuis le passage de Chido. Yves Gauvin, directeur de SFR Réunion/Mayotte, précise à franceinfo que l'opérateur parvenait désormais à couvrir 85% de la population mardi, avec 33 sites d'antennes sur 67 désormais opérationnels. "La situation reste compliquée sur place", nuance toutefois le responsable, car "nous avons toujours des difficultés d'énergie pour remettre les antennes dans certains coins, et des difficultés pour remonter la fibre dans des sites éloignés".

"Les salariés travaillent sans relâche"

Il attend avec impatience la réception d'une vingtaine de kits Starlink la semaine prochaine, qui subiront quelques opérations techniques préalables à La Réunion. Cette opération, bien distincte des annonces gouvernementales, est originale. Ces kits seront en effet transformés pour prendre eux-mêmes le relais des antennes-relais, car la connexion satellite sera exploitée pour remonter jusqu'au cœur du réseau. Cette expérimentation, déjà testée dans l'Hexagone, mais inédite à Mayotte, reste une solution provisoire, précise Yves Gauvin, car le temps de latence de ce mode de transmission (80 millisecondes) est plus important que pour la fibre (de l'ordre de la milliseconde).

Le rétablissement des communications, rappelle également le responsable, dépend également en grande partie du réseau électrique, car il est parfois délicat "de laisser des groupes électrogènes dans la nature". A ce stade, le courant a été rétabli chez la moitié des clients, selon Electricité de Mayotte, mais de nombreux secteurs géographiques sont encore lourdement sinistrés comme M'Tsangamouji (3% des clients raccordés), Acoua (8%), Mtsamboro (15%) et Tsingoni (17%). Yves Gauvin, par ailleurs, attend avec impatience la remise en état d'un pylône TDF multi-opérateurs (Orange, SFR et Free) sur le mont Combani, haut d'une quarantaine de mètres et qui assure une large couverture, dans le centre de l'île. Celle-ci, dit-il, devrait intervenir "la troisième semaine de janvier".

Des rotations sont organisées avec des équipes réunionnaises, poursuit Yves Gauvin, afin de prendre le relais des équipes engagées en première ligne. Si le responsable évoque une certaine "fatigue morale" parmi les employés, les collaborateurs éprouvent toujours une "vraie fierté" quand ils remontent une antenne. "Les salariés travaillent sans relâche depuis les premières heures, abonde Tom Wright. Certains ont perdu leur maison ou n'ont toujours pas d'électricité. Ils font un travail remarquable."

Des bénévoles proposent une connexion itinérante

En attendant, deux équipes de l'ONG Télécoms sans frontières continuent de sillonner les zones les plus isolées à bord d'un véhicule. "Nous mettons à disposition un réseau Wi-Fi ouvert, en libre-service, pendant deux à trois heures", explique à franceinfo Florent Bervas, responsable de la mission qui s'appuie lui aussi sur les kits de Starlink. "Tout ceci est alimenté par la batterie des véhicules." Une douzaine de communes ont été visitées, permettant à plus d'un millier d'habitants et leurs familles de se reconnecter avec des proches. "En termes de bande passante, il y a parfois 200 à 300 personnes et nous configurons au mieux le réseau pour éviter la congestion sur la liaison satellite."

"Quand on voit des gens passer des appels WhatsApp sans coupure, et prévenir des proches pour la première fois, on voit beaucoup d'émotion."

Florent Bervas, responsable de la mission de Télécoms sans frontières à Mayotte

à franceinfo

"Notre priorité, c'est l'itinérance, c'est d'essayer de passer au moins une fois tous les trois jours." Florent Bervas pourra compter sur un second véhicule, attendu la semaine prochaine. La reprise progressive du réseau, selon lui, devrait permettre à l'ensemble des habitants de pouvoir communiquer de nouveau d'ici une semaine ou deux, au moins pour les SMS et la voix. "Mais il faut davantage de générateurs et c'est un vrai défi logistique, car après l'arrivée du fret aérien à Petite-Terre, il faut encore rejoindre Grande-Terre à l'aide de barges."

L'ONG Télécoms sans frontières mène des opérations itinérantes à Mayotte afin de permettre aux habitants de disposer d'un créneau pour contacter leurs proches. (TELECOMS SANS FRONTIERES)

Alors même qu'il reste tant à reconstruire, François Bayrou a promis le déploiement de la 5G et de la fibre optique "d'ici deux ans", avec une délégation qui aura pour rôle de "contrôler le déploiement" de ces deux technologies. Pour ce faire, a précisé le Premier ministre, une libération des fréquences sera réalisée, et un changement de politique lié à la loi littoral sera étudié, "notamment pour l'implantation des pylônes". Les Mahorais, eux, attendent déjà que toutes les antennes soient relevées pour appeler tous leurs proches et se souhaiter une année un peu plus douce et clémente.

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