: Reportage "On est complètement isolés" : après le passage du cyclone Chido à Mayotte, le dispensaire de Kahani soigne les blessés qui parviennent à le rejoindre
Un léger faisceau lumineux sort d'une chambre d'hôpital. Sur le lit, un jeune enfant tente de retenir ses larmes en serrant fort son mouchoir dans la main. Un morceau de tôle lui est entré dans le pied alors qu'il se baladait pieds nus dans les décombres de son bidonville. Assis en face de lui, un médecin tente de recoudre la plaie, une lampe frontale vissée sur la tête. "J'ai de moins en moins de lumière pour soigner le petit", souffle-t-il. "Nous sommes un peu livrés à nous-mêmes."
Cinq jours après le passage du cyclone Chido, jeudi 19 décembre, le dispensaire de Kahani, au centre de Mayotte, est toujours coupé du monde. Afin d'économiser le carburant qui alimente le générateur, l'électricité fonctionne par intermittence. Le réseau téléphonique ne répond pas, à l'exception de quelques clients d'Orange. Dans la citerne plantée au milieu de la cour, les réserves d'eau potable commencent à se tarir. "On est complètement isolés", s'alarme le chef de service, Adrien Cussac.
Une simple "mallette cyclone" pour anticiper la catastrophe
Derrière de hauts murs en béton et une rangée de palmiers décapités, ce centre médical a pris des allures de forteresse isolée depuis le vendredi 13 décembre. Ce soir-là, une équipe d'une vingtaine de soignants se retrouve dans l'établissement, situé à trente minutes de voiture de Mamoudzou, la préfecture, et du Centre hospitalier de Mayotte (CHM) dont il dépend. Un cyclone est annoncé, mais tous espèrent encore qu'il évitera l'île. "Je leur ai dit : prenez de l'eau, de la bouffe et de quoi dormir", explique le médecin.
Le samedi matin, le cyclone frappe de plein fouet l'île. Et le dispensaire tangue sérieusement. Toute l'équipe se réfugie dans une pièce. Jusqu'à ce que la porte s'ouvre d'un coup. "On a essayé de la consolider avec des pieds de perfusions", se souvient Juliette, une autre médecin du centre de soins. Insuffisant pour faire face au rugissement de Chido. L'équipe court alors à travers les couloirs en slalomant entre les plafonds effondrés. Ils trouvent refuge dans une petite pièce à l'intérieur de laquelle ils érigent une barricade pour faire tenir la porte.
A demi-mot, l'équipe dénonce une catastrophe qui semble avoir été mal anticipée. Une "mallette cyclone" est bien installée dans l'établissement, mais elle ne renferme qu'une dizaine de serpillières, quelques lampes frontales et deux bidons pliables. "Tout a servi", sourit un soignant. Les véritables besoins sont immenses. La communication avec le Samu est coupée, la maternité inondée et de nombreux appareils hors service.
Un "pigeon voyageur" pour communiquer
Le dispensaire se retrouve totalement isolé, planté au milieu d'un terrain devenu impraticable. Une île dans l'île. "L'un de nos coursiers est devenu notre 'pigeon voyageur'", glisse Adrien Cussac. Faute de moyens de communication fiables, cet homme fait le lien avec le CHM en avalant les kilomètres de routes défoncées.
Lundi, l'espoir revient grâce à la découverte d'un téléphone satellitaire. Las, il n'avait plus que 30 secondes d'autonomie. Il faudra attendre le lendemain pour que les échanges avec le reste des services de santé de l'île puissent enfin reprendre. Un téléphone satellitaire opérationnel a été livré. Et les soignants ayant du réseau peuvent de nouveau communiquer entre eux.
Après plusieurs jours de black-out complet, des groupes électrogènes ont finalement été acheminés mercredi. Mais face à la pénurie d'essence, ils ne sont activés que quelques heures par jour. D'autant que des pillages de carburant sont à déplorer. Dans les couloirs, les soignants défilent équipés comme des randonneurs. "On voit très mal les patients avec ces lampes frontales, ça détériore notre prise en charge", se désole Juliette, arrivée deux semaines plus tôt en renfort sur l'île.
"Un élan de solidarité héroïque parmi les soignants"
Cet accessoire est loin d'être le seul changement dans les habitudes des soignants. La nouvelle organisation du dispensaire est désormais bien rodée. Tous les patients traversent un bureau d'accueil situé à l'extérieur du bâtiment, puis sont répartis dans différents secteurs. Des affichettes "zone rouge" ont été dessinées au feutre et collées aux portes pour les cas les plus graves.
Mais en réalité, les patients se font rares. Seule une grosse centaine de passages est dénombrée ce jeudi-là, en milieu d'après-midi. Bien moins qu'avant le cyclone. "La plupart des blessés ne sont jamais arrivés jusqu'à nous et ceux qui l'étaient trop gravement sont sûrement morts", se désole Adrien Cussac. Dans les alentours, nombre des 60 000 habitants vivaient dans des bangas, ces maisons de tôle qui recouvrent les collines de l'île. Peu ont à présent les moyens de venir jusqu'au dispensaire.
"On a soigné tous ceux qui sont venus, mais on a vu la partie émergée de l'iceberg. Je pense qu'il y a un nombre phénoménal de blessés."
Adrien Cussac, chef de service du centre médical de Kahanià franceinfo
Malgré toutes ces difficultés et les horaires à rallonge, "il y a eu un élan de solidarité héroïque parmi les soignants", se félicite Adrien Cussac. Le médecin a décidé, il y a un an et demi, de revenir travailler à plein temps à Mayotte. "Le meilleur et le pire choix de ma vie", glisse-t-il.
Dans un couloir sombre au plafond nu, une médecin débarque avec un nouvel enfant dans les bras. Une voisine vient de l'emmener. "Oh purée, ça saigne", s'exclame-t-elle en voyant quelques gouttes rouges sur le sol. Le petit sera rapidement pris en charge par la soignante, lampe frontale toujours sur la tête, en attendant que le dispensaire soit enfin reconnecté au reste de l'île.
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