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Ouragan Irma : comment les îles de Saint-Martin et Saint-Barthélemy peuvent se remettre

L'ouragan a fait au moins neuf morts, sept disparus et 112 blessés dans ces deux îles françaises des Antilles, selon un bilan publié vendredi par le ministère de l'Intérieur. Les dégâts matériels, eux, sont considérables.

Article rédigé par Anne Brigaudeau - Lison Verriez
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 11min
Les ravages causés par l'ouragan Irma devant l'hôtel Mercure de Marigot, à Saint-Martin, dans les Caraïbes, le 7 septembre. (LIONEL CHAMOISEAU / AFP)

Mer déchaînée, toits arrachés, bateaux projetés sur les routes : l'ouragan Irma a dévasté Saint-Martin et Saint-Barthélemy, deux îles françaises des Caraïbes. Le bilan est meurtrier : ce cyclone de catégorie 5 (le maximum sur l'échelle d'intensité des ouragans) a fait au moins neuf morts, sept disparus et 112 blessés, selon un bilan rendu public, vendredi 8 septembre, par le ministre de l'Intérieur, Gérard Collomb.

>> Irma : suivez en direct l'évolution de la situation à Saint-Martin et Saint-Barthélemy

Et les dégâts s'annoncent considérables sur ces deux territoires qui comptent moins de 50 000 habitants et vivent essentiellement du tourisme : le coût serait bien supérieur à 200 millions d'euros, si l'on en croit les premiers chiffres avancés par les assureurs. Le président Emmanuel Macron a d'ailleurs annoncé le déploiement "le plus rapidement possible" d'un "plan national de reconstruction" financé par "un fonds d'urgence". Comment va s'organiser cette reconstruction ?

Permettre aux secours de travailler

C'est l'Etat qui organise les premiers secours. Ceux-ci sont d'abord concentrés sur l'aide alimentaire avec l'acheminement de "barges d'eaux" et de "100 000 rations de combat", soit "quatre jours de vivres".

Hommes, matériel, aide sous toutes ses formes : le "hub logistique" a été installé en Guadeloupe, où près de 200 personnels de secours, militaires, pompiers, médecins, accompagnés de chiens pour retrouver d'éventuels victimes coincées dans les décombres, sont arrivés jeudi 6 septembre de métropole. Outre les renforts, réserves d'eau et matériels de secours acheminés par voie maritime, un pont aérien a été mis en place entre Saint-Martin, la plus dévastée, et la Guadeloupe.

Les secouristes ont embarqué avec eux tronçonneuses, dessalinisateurs, matériel médical, bâches et matériel de protection. Parmi leurs premières tâches : déblayer les routes encombrées par des troncs d'arbre et autres débris. "Nous avons du matériel de protection, mais aussi du matériel de déblai, de bâchage, pour essayer de reconstituer, dans la mesure du possible, les toitures", détaille pour France 2 le lieutenant-colonel Olivier Grosjean, chef de détachement des sapeurs-pompiers d’Ile-de-France.

Autre urgence, moins visible, mais tout aussi cruciale : restaurer une cellule opérationnelle à la préfecture pour que l'Etat puisse piloter et coordonner efficacement secours et restauration des services indispensables.

L'enjeu à Saint-Martin, l'île la plus touchée, est de restructurer le réseau de commandement après les dégâts constatés sur la préfecture, tant au niveau des communications que des bâtiments, de rétablir les aéroports et de faire un diagnostic sur l'état des hôpitaux".

Le ministère de l'Intérieur

Rétablir l'électricité, l'eau et les communications

Parallèlement, les différents opérateurs chargés des infrastructures vitales sont déjà à pied d'œuvre. Tous appliquent quasiment le même schéma : mettre en place des solutions provisoires et établir un diagnostic, avant une réparation totale du réseau qui s'annonce souvent longue. Comment et en combien de temps sera rétablie l'électricité, totalement coupée ?

Il faudra des semaines, voire des mois pour remettre en service les deux centrales thermiques au fuel – l'une de 56 MW à Saint-Martin, l'autre de 34 MW à Saint-Barthélemy – qui alimentaient en électricité les deux îles.

Un porte-parole d'EDF

à franceinfo

D'où l'envoi, à partir de la métropole, de 140 tonnes de matériel par avion gros porteur. Cette cargaison comprend plus de 40 groupes électrogènes de forte puissance. Une fois étanchéisés, ces générateurs permettront de réalimenter en électricité les points les plus vitaux (centres de secours, postes d'alimentation pour l'eau, etc.). Parallèlement, les salariés sur place et les équipes envoyées en renfort s'attelleront au chantier de fond : la remise en fonctionnement des centrales et des lignes coupées.

Du côté des télécoms, l'opérateur Orange affirme avoir rapidement rétabli la connectivité mobile. "Cela a été fait en quelques heures dans les deux principaux bourgs, Marigot, à Saint-Martin, et Gustavia, à Saint-Barthélemy, grâce à des générateurs de secours qui ont permis de prendre le relais du réseau électrique", fait valoir l'entreprise. En revanche, pour le réseau fixe et internet, il est trop tôt pour estimer les dommages et les réparations s'annoncent techniquement plus compliquées. "Il y a des câbles arrachés, et on ne sait pas encore combien d'armoires réseaux de télécoms [qui alimentent le débit internet des utilisateurs] fonctionnent encore."

Reste le problème de l'eau, et la remise en fonctionnement des trois unités de dessalement construites par Veolia : la première fournissait 5 millions de litres d'eau potable à Saint-Martin (qui compte quelque 35 000 habitants) ; les deux autres unités, à Saint-Barthélemy, produisaient en tout 2 millions de litres d'eau. "Elles étaient évidemment construites en bord de mer puisqu'elles transforment de l'eau de mer en eau potable, explique-t-on chez Veolia. Les automates et les installations électriques ont subi de gros dégâts, et on attend les groupes électrogènes pour un diagnostic." Mais il faudra plusieurs mois pour redémarrer. Pour l'instant, le groupe met en place des solutions d'urgence. "Provisoirement, on va acheminer les deux ou trois petites unités mobiles de dessalement dont dispose le groupe. Elles peuvent produire chacune 4 000 litres d'eau par jour."

Réparer et reconstruire les logements dans les prochains mois

"A partir du moment où il y a des gens sur place, ça devient une urgence de les loger." La reconstruction des logements est essentielle, comme en témoigne Patrick Coulombel. Interrogé par franceinfo, le fondateur de l’ONG Architectes de l’urgence considère que les estimations de 200 millions d’euros pour les dégâts seront, à termes, certainement dépassées.

Si une maison peut-être construite "en trois mois, à partir de rien et avec une bonne organisation", Patrick Coulombel constate que les conditions géographiques sont en défaveurs des deux îles, et notamment Saint-Martin. "Ils vont souffrir de la complexité de l’insularité et des difficultés d’accès aux îles. L’un des problèmes majeurs sera celui de l’acheminement des matériaux", pointe-t-il. Un avis partagé par Olivier Sudri, économiste spécialiste de l’outre-mer : "Le prix du matériel de construction risque de flamber, surtout si les routes ne sont pas accessibles pour transporter le matériel." De quoi ralentir les chantiers de reconstruction et gonfler les premières estimations.

Autre problème : les assurances. Selon Olivier Sudri, la situation de Saint-Martin est plus inquiétante que celle de Saint-Barthélemy : "La majorité des habitations précaires ne sont pas assurées."

Attendre que les gens puissent trouver les financements pour reconstruire ou réparer les maisons va prendre du temps

Olivier Sudri

à franceinfo

De quoi justifier le soutien associatif sur l’île. "A Saint-Barthélemy, ce sera surtout de l’accompagnement psychologique. Par contre, à Saint-Martin, le secteur associatif pourra davantage pallier là où s’arrête l’Etat", estime Patrick Coulombel.

Relancer le secteur du tourisme

Si les préoccupations économiques ne sont pas, à l’heure actuelle, une priorité, elles vont rapidement revenir sur le devant de la scène. "Demain, les gens n’iront pas travailler. On sera face à deux villes mortes économiquement", constate Olivier Sudrie, économiste spécialiste de l'outre-mer. Les îles de Saint-Barthélemy et Saint-Martin ont toutes deux fondées leur économie sur le tourisme. Selon un rapport du Cerom, en 2006, 37% des emplois salariés à Saint-Barthélemy étaient liés au tourisme contre 6% dans les départements d’outre-mer.

René Bléger, vice-président de l’Union des métiers des industries de l’hôtellerie, a pu dresser un premier bilan des dégâts sur l’activité professionnelle des deux îles : "A Saint-Martin, en partie française, on a plus ou moins 2 500 salariés du tourisme qui sont concernés. Et encore, j’ai pris le minimum avec ma base de données. En partie Hollandaise, on parle de 6 000 emplois entre l’hôtellerie, la restauration et les casinos. A Saint-Martin, chaque famille a au minimum un membre qui vit grâce au tourisme." Du côté de Saint-Barthélemy, se sont environ "4 500 emplois qui sont touchés de la même manière."

La destruction massive de Saint-Martin est "une situation unique", estime Didier Arino, directeur du cabinet Protourisme. L’ampleur de la reconstruction est donc "difficile à estimer". Toits et volets arrachés, hall détruits, installations électriques endommagées... "Il y a trois ans, j’étais à Saint-Martin pendant l'ouragan Gonzalo. C’est une plaisanterie par rapport à Irma. Deux jours après, l’activité reprenait", témoigne René Bléger.

A court terme, le passage d’Irma marque un tournant dans la saison touristique : "Au début, personne ne voudra plus venir", constate Didier Arino. Sur place, le discours se veut plus optimiste. "Nous avons dix semaines pour être prêts pour le lancement traditionnel de la saison touristique qui commence à Thanksgiving", insiste René Bléger. "A Saint-Martin, sur les deux parties de l’île, les énergies vont se mobiliser pour qu’on soit prêt. Il faut que ça se fasse pour la survie économique de l’île. Il le faut pour aider les gens à dépasser le traumatisme”.

Tout ne sera pas parfait, mais il n’y a pas d’autres industries. Le tourisme est le moteur de ces deux îles. C’est vital.

René Bléger

à Franceinfo

Si les îliens vont s’atteler aux reconstructions, pour Didier Arino, directeur du cabinet Protourisme, "sur le long terme, dans la reconstruction, il faudra prendre le temps de la réflexion". "Ce drame doit nous obliger à aller vers un modèle de développement plus vertueux du tourisme sur ces îles", évoque Didier Arino. Notamment, un tourisme plus rémunérateur pour les populations locales et davantage tourné vers le développement durable : "Je pense que c’est une opportunité unique, nécessaire et réalisable." Dernier défi, et peut-être le plus difficile : affronter le traumatisme. "Le tourisme c’est d’abord des hommes et des femmes : est-ce qu’ils voudront rester après ça ? Après avoir vu ce qu’ils ont vu ? Ce n’est pas sûr."

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