Inondations : les villes sinistrées étaient-elles bien préparées ?
Pour faire face à la montée des eaux, les municipalités touchées par les crues ont activé leurs cellules de crise et leurs plans communaux de sauvegarde. Mais tout ne s'est pas toujours passé comme prévu.
Jean-Marie Vilain a la voix éraillée. "Je n'ai pas beaucoup dormi ces derniers jours, confie le maire de Viry-Châtillon (Essonne). C'est le cas de tout le monde ici, en fait." La semaine passée, sa commune de 30 000 habitants a connu une triple crue : la Morte-Rivière et l'Orge, qui traversent la ville, sont sorties de leurs lits, suivies par la Seine, qui borde la localité. Face à ces inondations, l'édile a suivi à la lettre son plan communal de sauvegarde (PCS), un manuel pratique qui dicte la conduite à suivre pour faire face à une catastrophe.
"Tout était calé"
"La cellule de veille a été mise en place, mercredi à 14 heures, dans la salle du conseil municipal, juste après avoir reçu les informations de la préfecture avertissant d'un risque d'inondation, relate Jean-Marie Vilain. Nous avons fait des points heure par heure pour suivre l'évolution de la situation avec les membres de l'équipe municipale, les services techniques, la police et les pompiers, en lien avec les services du préfet."
"Nous avons informé les habitants via le site internet de la ville et les comptes Facebook et Twitter, mais aussi via les panneaux d'affichage municipaux électroniques. Des agents communaux et des élus municipaux ont fait du porte-à-porte en binôme pour prévenir des évacuations." Les inondations ont obligé la municipalité à évacuer plus de 2 000 foyers. Les habitants ont été hébergés dans des gymnases, à la MJC et dans une résidence pour personnes âgées.
Une répétition générale quelques mois plus tôt
"Nous avons pu nous organiser, anticiper les actions à mener, prévenir les habitants, lancer des évacuations. Tout était calé", se félicite l'élu. Car Viry-Châtillon, comme 66 autres communes de région parisienne, a participé, en mars, à un exercice grandeur nature, Sequana, qui simule une crue majeure de la Seine en Ile-de-France.
"On a pu en tirer des enseignements. Certains petits détails cruciaux de l'organisation n'étaient pas au point : il fallait parler plus bas au téléphone, car tout le monde parlait en même temps dans la salle, et aménager les passages de câbles réseau, mais aussi améliorer le contact avec la préfecture. Lors du test Sequana, je n'ai reçu le texto annonçant le lancement de l'opération que douze heures après, alors que j'aurais dû en être le premier informé dans ma ville", détaille le maire.
La répétition générale semble avoir porté ses fruits. "Il y a toujours quelques mauvaises surprises, mais globalement, l'organisation a été bonne. On corrigera les petits dysfonctionnements plus tard. Le principal, pour le moment, c'est de régler les problèmes humains : que les gens puissent rentrer chez eux, que les déclarations de sinistres auprès des assurances puissent être faites", analyse le maire qui conclut : "Ce n'est pas encore le jour d'après, mais on n'en est pas loin."
Un seul mégaphone et pas de barque
Le PCS est obligatoire dans les villes exposées à un risque naturel, sanitaire ou technologique et pour lesquelles un plan de prévention des risques a été approuvé en préfecture. Les municipalités doivent le rédiger elles-mêmes et peuvent, pour cela, s'appuyer sur un modèle succinct mis à leur disposition. Le document est ensuite validé par la préfecture. Mais toutes n'en disposent pas. "On devait voter notre PCS en juillet, on travaillait dessus depuis des mois, on s'en est donc servi. Mais si certaines mesures ont bien fonctionné, d'autres non. Au vu de ce qu'on a connu, j'ai donc demandé à ce qu'on le remette à plat", reconnaît Sandrine Gelot-Rateau, la maire de Longjumeau (Essonne), située à une dizaine de kilomètres de Viry-Châtillon.
Mercredi, l'Yvette, qui traverse la cité de 20 000 habitants d'un bout à l'autre, est soudainement sortie de son lit, inondant le centre-ville. "C'est allé tellement vite qu'on s'est retrouvé désarmé très rapidement. Il fallait être dedans, avoir les pieds dans l'eau, pour mesurer l'ampleur de la catastrophe, assure l'élue. Il faut que tous les systèmes d'information et d'action soient très performants pour pouvoir faire face à ce genre de situation."
"La mairie n'a pas été submergée, mais elle a été privée d'électricité et elle est devenue inaccessible, assure l'édile. Il a fallu tout de suite déménager les services sur un point isolé en hauteur. C'était une action programmée dans le PCS et elle a été appliquée immédiatement." En revanche, "le gymnase, qui était prévu comme lieu d'accueil d'urgence, bien qu'il n'ait pas été inondé, a vu ses routes d'accès coupées par les eaux." A l'avenir, conclut Sandrine Gelot-Rateau, "il faut donc qu'on ait un autre lieu d'accueil d'urgence".
Autre point "perfectible" : l'information donnée aux habitants. "Nous ne disposions que d'un seul mégaphone et il nous aurait fallu une barque tout de suite. C'est tout bête, mais cela nous a pénalisé, glisse la maire. On a aussi mis en place un système d'alerte par SMS, mais on ne dispose pas des numéros de téléphone de tous les habitants. Ce n'est pas facile de les collecter, les gens sont parfois réticents à donner leurs coordonnées. Nous fournissions aussi des informations heure par heure sur le site internet de la mairie et sur les comptes Twitter et Facebook. Mais pour pouvoir les lire, il fallait encore que les habitants aient une connexion internet, un téléphone mobile et de l'électricité pour le recharger."
Le PCS, "un document trop général"
A 60 km plus au Sud, les 13 000 habitants de Nemours (Seine-et-Marne) ont vu leur centre-ville et ses commerces noyés par la crue exceptionnelle du Loing, survenue mercredi. "Le PCS a plutôt bien marché, mais cela reste un document trop général, juste un bon outil de base. L'expérience de cette crue majeure va nous permettre de l'améliorer", analyse Valérie Lacroute, la maire de la commune. "La mairie a été inondée, nous avons donc dû déplacer nos services. Dans le PCS, nous n'étions pas entrés autant dans le détail, avoue l'élue.
Nous nous sommes aussi rendus compte que nous manquions de fiches pratiques, notamment sur les contacts utiles, comme les médecins."
"Sur l'information à la population, nous avons été plutôt bons, mais ce n'est pas le PCS qui nous a aidés", juge l'élue. Nemours avait lancé une application d'information municipale quelques mois plus tôt. "L'appli nous a permis d'être très réactifs et d'envoyer des alertes aux habitants sur leurs téléphones en temps réel", expose-t-elle. Des informations précises sur les routes fermées, la réouverture des écoles, les rues où il y avait des opérations de pompage, le planning des pharmacies de garde... Une solution visiblement plébiscitée par les habitants : "Pendant cet épisode, nous sommes d'ailleurs passés de 500 abonnés à environ 4 000."
"C'est un peu comme la ligne Maginot"
En amont du Loing, Montargis (Loiret) a été sévèrement touchée par les inondations. L'affluent de la Seine, qui borde la sous-préfecture, a connu une crue centennale, dépassant celle de 1910. "Mais ce qui n'était pas prévisible, c'est que le canal de Briare, qui longe la commune, s'est rompu en plusieurs points, pointe le maire, Jean-Pierre Door. Cela a entraîné une vague dévastatrice qui a submergé la ville. Le problème qui se pose désormais pour l'avenir, c'est la consolidation des berges du canal." La commune, qui a subi trois inondations en moins de quinze ans, dispose certes d'un plan de prévention des risques et d'un plan communal de sauvegarde, assure l'élu local, mais ce PCS ne prévoyait pas la rupture du canal de Briare.
Pour le reste, "tout a été fait dans les règles", assure l'édile. "La cellule de crise a été mise en place immédiatement après l'alerte de Vigicrues et elle a parfaitement fonctionné, dès le début. Le personnel municipal a travaillé jour et nuit. Les bénévoles et les associations caritatives se sont mobilisés. L'information a été transmise tout de suite aux habitants. Des affiches ont été collées sur les arbres, des documents distribués dans les boîtes aux lettres."
De l'autre côté de la forêt de Fontainebleau, à Melun (Seine-et-Marne), Louis Vogel, le maire, a lui aussi pu constater combien son PCS n'était pas adapté. La ville de 40 000 habitants dispose certes "depuis longtemps" d'un PCS, explique l'élu, mais il a été élaboré pour faire face à une inondation provoquée par une crue de la Seine. Et cette fois, elle a été précédée par le débordement de son affluent, l'Almont, qui coule sur la rive droite de la commune, commente-t-il. "Le PCS, c'est un peu comme la ligne Maginot, ironise Louis Vogel. Ça n'était pas inutile pour la méthode, mais ça n'a pas concerné le bon sujet. On était prêts, mais il a fallu déplacer le sujet de l'action." Le maire s'est donc écarté de sa feuille de route : "Dans un plan, on ne peut pas tout prévoir, alors on a adapté le plan aux réalités du terrain."
Gérer "la phase d'après-crue"
A Melun, le PCS a été déclenché dès mardi. Et comme lors de la simulation Sequana, à laquelle la ville a, elle aussi, pris part, la cellule de crise a piloté les actions des services municipaux. "On a sectorisé la ville, raconte l'élu. Des équipes composées à la fois de techniciens municipaux et de membres du conseil municipal ont sillonné les quartiers où des habitations devaient être évacuées pour convaincre les habitants de quitter leurs foyers, ce qui n'est pas toujours une mince affaire." Une centaine de personnes ont ainsi été évacuées. "Nous avons réquisitionné un gymnase pour en faire un point d'accueil d'urgence central à partir duquel nous avons 'dispatché' les sinistrés, ce que ne prévoyait pas du tout notre PCS. "
"Tous les services municipaux ont été réquisitionnés : le personnel des cantines des écoles a préparé les repas pour les sinistrés, la police municipale a gardé les logements évacués pour qu'ils ne soient pas cambriolés, le service juridique a été mobilisé pour aider ceux qui avaient subi des inondations dans leurs démarches auprès des assurances, nous avons même mis sur pied une équipe de soutien psychologique, liste le maire. Très vite, le mouvement de solidarité spontané de la population a réglé beaucoup de problèmes. Des habitants nous ont apporté du linge, des couvertures ou ont même proposé d'accueillir des sinistrés. L'école des officiers de gendarmerie nous a donné des lits et des couvertures."
Désormais, Melun "est passée dans une phase d'après-crue". Cinq pôles ont été mis en place pour aider les gens une fois la décrue amorcée, expose l'élu. Un pôle sécurité supervise le gardiennage des logements évacués. Un pôle technique coordonne le nettoyage, la répartition des bennes et le pompage. Un pôle de soutien vient en aide aux habitants dans leurs démarches auprès des assurances. Et un pôle relogement réunit les associations caritatives susceptibles d'aider à reloger, au moins provisoirement, ceux dont le logement n'est plus habitable. "Jusqu'à présent, on a dormi deux heures par nuit, souffle Louis Vogel. Mais l'organisation a été très souple et tout a très bien fonctionné. Et surtout, il y a eu une mobilisation incroyable de tous."
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