Reportage "On prie pour avoir de l'eau" : dans les Pyrénées-Orientales, la sécheresse historique étouffe des agriculteurs "maudits des dieux"

Article rédigé par Paolo Philippe
France Télévisions
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Temps de lecture : 8min
Le viticulteur René Calmon constate les dégâts du manque d'eau et de la sécheresse sur ses vignes, le 8 février 2024 à Baixas (Pyrénées-Orientales). (PAOLO PHILIPPE / FRANCEINFO)
L'absence de pluie dans le département depuis près de deux ans plonge les viticulteurs, les éleveurs et les arboriculteurs dans la crise. Ils guettent désespérément le ciel et redoutent la "désertification" de leur territoire.

Le soleil tape sur Baixas dans les Pyrénées-Orientales, où le mercure frôle déjà les 17°C en cette fin de matinée de février. René Calmon roule en direction de ses vignes et scrute le ciel bleu à la recherche d'un nuage. "On dirait qu'on est maudits des dieux, souffle le viticulteur. C'est un désastre, il n'a pas plu depuis deux ans." Ou alors trois fois rien, pas de quoi alimenter ses 25 hectares de vignes qui produisent principalement des côtes du roussillon et du muscat de rivesaltes.

Le département des Pyrénées-Orientales, situé à la frontière avec l'Espagne, traverse une sécheresse historique depuis près de deux ans. En 2023, seulement 245 mm de précipitations ont été recensés, contre 560 mm habituellement. Et le déficit pluviométrique atteint déjà 80% pour le mois de janvier, où il n'a presque pas plu une goutte.

Des sols secs comme la pierre

Conséquence : les sols sont aussi secs que fin août, selon Météo-France, et les nappes phréatiques sont à un niveau "très bas", estime le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). "La situation est très inquiétante, explique Jean Bertrand, responsable eau à la chambre d'agriculture des Pyrénées-Orientales. Dans le degré de souffrance, les vignerons sont les plus touchés car ils n'ont pas d'outils pour lutter contre la sécheresse. Les arboriculteurs et les maraîchers disposent de réseaux d'irrigation, mais pour tous, on attend la pluie." S'il reconnaît que "la bataille est rude et que certains chancellent", Jean Bertrand assure que les agriculteurs sont mieux préparés qu'en 2023, où la sécheresse avait pris tout le monde de court.

A l'instar des autres cours d'eau des Pyrénées-Orientales, l'Agly, qui se jette dans la Méditerranée, est en souffrance, comme ici à Estagel, le 8 février. (PAOLO PHILIPPE / FRANCEINFO)

"L'an dernier, la vigne s'est fatiguée pour puiser de l'eau, donc là c'est encore pire", explique René Calmon au milieu de ses vignes chauffées par le soleil, à une dizaine de kilomètres au nord-ouest de Perpignan. "Regardez, c'est tout sec, il n'y a pas une herbe qui a poussé", montre-t-il en arrachant un plant vidé de sa sève. Lors de la taille de la vigne, il y a quelques semaines, ses branches ne dépassaient pas 30 cm, contre 1m20 en temps normal. Le viticulteur sort d'une mauvaise récolte "Le climat a changé, les vendanges arrivent début août maintenant" – mais redoute surtout que la prochaine soit bien pire.

"Si ça continue, on va faire moins de la moitié de la récolte de 2023, donc on va prier pour qu'il y ait de l'eau. Il y a des exploitations au bord de l'explosion, des mecs surendettés."

René Calmon, viticulteur à Baixas

à franceinfo

Le viticulteur affirme que ses revenus sont passés de 3 000 à 1 000 euros par mois en 15 ans. Il s'inquiète pour l'avenir, même s'il approche de la retraite : "Une vigne, c'est une vie, alors si ce que nos anciens nous ont transmis meurt..."

Si le gouvernement a débloqué une aide d'urgence pour les viticulteurs (un peu moins de deux millions d'euros pour le département) et si la préfecture promet une enveloppe d'un million d'euros pour les éleveurs "en grande fragilité économique en raison de l'impact de la sécheresse", les agriculteurs se sentent quand même abandonnés. Certains arrachent leurs vignes ou leurs arbres, quand d'autres organisent des barrages filtrants sur les routes.

"Oh Gaby" pour interpeller Attal

Dans le Conflent, un petit territoire montagnard niché entre la plaine du Roussillon et les montagnes de la Cerdagne, les agriculteurs ont occupé pendant deux week-ends la route qui mène vers les stations de ski des Pyrénées-Orientales. "Il y en a qui vont crever", s'inquiète Olivier Gravas, maire du village de Sahorre et éleveur de brebis, fier d'avoir donné de la voix sur le barrage sur les airs de Gaby oh Gaby d'Alain Bashung pour alerter le Premier ministre. Il appelle à un grand "plan eau" pour son territoire afin de repenser les usages et développer des stratégies, pour le jour où l'eau tombera enfin. "L'eau, c'est la vie. Mais pas d'eau, c'est la mort", philosophe-t-il. Le maire surveille chaque jour la ressource en eau de son hameau, qui est "ric-rac", et rappelle que le manque d'eau est déjà une réalité. Ses voisins d'Escaro sont déjà ravitaillés en eau potable par des camions-citernes.

Olivier Gravas, maire du village de Sahorre et éleveur de brebis, appelle à un grand "plan eau" pour son territoire du Conflent, le 8 février 2024 à Sahorre (Pyrénées-Orientales). (PAOLO PHILIPPE / FRANCEINFO)

Dans sa bergerie avec vue sur le pic du Canigou (2 784m), impérial sommet presque dégarni de neige, Olivier Gravas constate également les effets de la sécheresse sur le pâturage de ses 170 bêtes. L'herbe manque, ce qui contraint les agriculteurs à acheter du fourrage ailleurs. Le manque d'eau se ressent aussi sur la fécondité de ses brebis. "Pour faire un bel agneau, il faut une mère en bonne santé. L'an dernier, on a eu moins de naissances, et à la fin, c'est moins de ventes", calcule l'édile, un brin résigné en checkant son téléphone.

"Je suis devenu un pro des applis météo. On nous annonce un peu de pluie ces prochains jours, mais bon, ça fait deux ans qu'ils disent qu'il va pleuvoir la semaine prochaine."

Olivier Gravas, maire de Sahorre et éleveur de brebis

à franceinfo

A Alénya, au sud de Perpignan, Mélissa Prevot s'apprête à succéder à son père à la tête d'une exploitation familiale. Elle y cultivera des abricots, du melon, de la salade, de l'artichaut ou encore des tomates. L'arboriculture et surtout le maraîchage sont des pratiques très gourmandes en eau. Alors, comme tout le monde, elle attend la pluie, sous peine de vivre un été compliqué. "En hiver et au printemps, les sols sont censés être humides et avoir des réserves en eau. Mais comme il ne pleut pas, on essaie d'optimiser l'irrigation, d'améliorer la structure des sols et d'investir dans des abris pour limiter l'évaporation", développe-t-elle.

Mélissa Prevot a également investi dans un système d'irrigation goutte à goutte, où les tuyaux disposés par ligne délivrent véritablement de l'eau à la goutte près dans les champs. Un moyen d'économiser l'eau, mais pas une solution miracle, alors que les cours d'eau du département souffrent. "On a appris à consommer moins, mais cette sécheresse impacte le paysage, la biodiversité et le climat social", reconnaît Nicolas Garcia, vice-président des Pyrénées-Orientales en charge de l'eau. Tandis que des restrictions sont en vigueur, le département réfléchit à des solutions à moyen terme, comme des retenues pour stocker l'eau ou la réutilisation des eaux usées. "On veut que l'Etat fasse des Pyrénées-Orientales un département pilote de la transition écologique et agricole", avoue Nicolas Garcia.

La pistache plutôt que la friche

A Claira, comme dans plusieurs villes du département, l'association Avenir productions agricoles résilientes méditerranéennes (Aparm), qui réunit élus et agriculteurs, mise sur le pistachier pour lutter contre la sécheresse. Ce jour-là, 81 plants de pistachiers sont plantés sur une parcelle communale dans le cadre d'une phase test. L'arbre, peu, voire pas gourmand en eau, pourrait-il être une solution à la "désertification" du département, comme certains l'appellent ? "Au début, on était pris pour des extraterrestres, s'amuse Marc Petit, maire de Claira. Mais la question de l'eau est centrale et il faut qu'on se lance dans de nouvelles cultures."

Des pistachiers, peu gourmands en eau, sont plantés sur un terrain en friche à Claira (Pyrénées-Orientales), le 8 février 2024. (PAOLO PHILIPPE / FRANCEINFO)

Face aux parcelles en friche qui se multiplient dans le département, l'association "veut permettre aux agriculteurs de se diversifier", appuie Myriam Levalois-Bazer, coordinatrice de l'Aparm. "L'agriculture est dans une situation dramatique et il faut faire vite pour trouver des solutions", alerte-t-elle, alors que les premières pistaches ne seront là que dans sept ans, le temps de développer une filière économique. L'association pense à d'autres plantes plus adaptées au changement climatique, comme le vétiver ou le guayule. Une plante qui pousse dans le désert mexicain.

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