Sécheresse : face au changement climatique, les agriculteurs veulent bien s'adapter mais craignent de finir à sec
Face au réchauffement climatique et à ses conséquences, Emmanuel Macron entend bien "accompagner les transformations de notre modèle agricole" et même le "réinventer". Dans son discours consacré au plan eau du gouvernement, fin mars, le président de la République n'a pas minimisé le défi qui attend l'agriculture. A l'approche de l'été, la perspective d'une nouvelle sécheresse a braqué le projecteur sur les agriculteurs irrigants, accusés d'entretenir un modèle incompatible avec un monde à +2°C. Remplacer les cultures les plus consommatrices en eau, planter des arbres ou des haies, diversifier les exploitations... Les solutions, sur le papier, relèvent du bon sens. Mais sur le terrain, les agriculteurs qui s'adaptent tant bien que mal à ces nouvelles conditions, pointent les limites de leur action face à l'inertie d'un système qui les dépassent.
"Les agriculteurs s'adaptent depuis toujours aux conditions, ça fait partie du métier", assure Rodolphe Couturier, céréalier dans la Beauce. En 2018, il s'est essayé à la vigne, d'abord sur un hectare, en marge de son activité en grande culture. Du jamais-vu dans la région. En juin de cette année, il en a planté sur un total de 2,5 hectares. En se diversifiant et en faisant commerce du produit fini, "le but était d'apporter de la résilience économique à l'exploitation", poursuit-il. Et même si le grenier de la France n'en deviendra pas demain la cave, le céréalier-vigneron observe chez "une majorité" de ses voisins une volonté de s'ouvrir à d'autres cultures. A quelques kilomètres, un exploitant s'est ainsi mis à la lavande. Un autre fait pousser du lin. Moins gourmandes en eau, ces parcelles sont des assurances en cas de mauvaises années.
Changer oui mais à quel prix ?
Depuis que le céréalier est aussi vigneron, il se réjouit d'avoir "l'occasion de faire connaître le métier d'agriculteur et d'expliquer les incohérences entre ce qu'on nous demande et ce que l'on peut faire". Comme beaucoup de ses confrères, Rodolphe Couturier pointe "un décalage entre les mots et les actes. Je veux bien changer, je le fais. Mais je ne vais pas foncer dans le mur, parce qu'on nous demande de faire autrement et que finalement le consommateur ne met pas le prix qui va avec." Se diversifier pour se passer d'irrigation et restaurer la biodiversité a bien des avantages, mais aussi des coûts.
Bien plus au sud, dans le Gers, Philippe Mrozinski n'imagine pas abandonner ses parcelles de maïs. "La diversification, ça devient compliqué quand on vous achète la tonne de maïs deux fois le prix de la tonne de tournesol", constate le céréalier. Aux non-initiés, il explique : "Imaginez qu'un bijoutier décide de remplacer l'or par du fer blanc dans sa boutique. Est-ce qu'il pourra vendre ses bijoux au même prix qu'avant ? Bien sûr que non."
"Charger les exploitants de faire cette transition vers l'agriculture écologique, c'est comme demander à un technicien de chez Renault de résoudre le problème des transports", résume Sylvain Doublet, ingénieur agronome et conseiller pour l'association Solagro. "Il pourra éventuellement vous dire comment faire, mais ce n'est pas à son échelle que se prennent ces décisions." Selon lui, cette demande absurde traduit la méconnaissance d'un système complexe, où les coopératives agricoles, les marchés des matières premières, l'agroalimentaire, la grande distribution et en bout de course, le consommateur, mènent la danse.
"La question c'est : est-ce que les filières d'aujourd'hui sont encore adaptées au climat de demain ? Non !"
Sylvain Doublet, ingénieur agronomeà franceinfo
Dans les champs aussi, le temps c'est de l'argent
Face à la sécheresse, mais aussi face aux pluies violentes, elles aussi de plus en plus fréquentes en raison du changement climatique, le sol s'avère un allié indispensable. Une "éponge", résume Florent Estebenet, un autre céréalier du département. Problème : cette solution est lente. Très lente : "Plusieurs années pour avoir un taux de matière organique dans le sol suffisant pour augmenter sa capacité de rétention d'eau et surtout de restitution à la période estivale", estime l'exploitant.
Or, dans les champs aussi, le temps, c'est de l'argent. "Les premières années, le sol n'est pas prêt, l'agriculteur tâtonne", décrit l'agroclimatologue Serge Zaka. "Il y a une perte de rendement. Même si elle dure 3 à 5 ans, et qu'elle porte ses fruits plus tard, imaginez qu'on vous prélève 40% de votre salaire en vous disant : 'C'est bon, on vous le versera dans 5 ans !'" Face à ces contraintes, beaucoup espèrent que les bonnes années permettront d'amortir le choc des mauvaises, plutôt que de se risquer à réduire les volumes.
Quid de l'agroforesterie, vantée du ministère aux chambres d'agriculture pour sa capacité à restaurer les sols, les protéger face aux aléas climatiques et restaurer la biodiversité ? En 2021, le plan France 2030 a consacré 50 millions d’euros pour encourager la plantation de haies bocagères et d’alignements d’arbres entre les parcelles. L'initiative a connu un franc succès partout en France, ici en Normandie, là dans les Vosges. En stockant du carbone, les haies, arbres et couverts végétaux initient un cercle vertueux. L'agriculteur peut même en tirer profit, via la revente de crédits carbones, par exemple.
Sauf que... "Planter des arbres et des haies, ça prend de la place, ça fait de l'ombre, ça met de la végétation en concurrence pour l'eau et demande une nouvelle technicité", explique Serge Zaka.
"Sur le papier, le grand public se dit : 'C'est super, on a la solution'. Mais sur le terrain, c'est plus compliqué que ça."
Serge Zaka, agroclimatologueà franceinfo
La seule logique de rendement n'est plus adaptée, complète Sylvain Doublet. Libéré de l'objectif de produire à outrance, "un nouveau modèle agricole doit aussi rémunérer l'exploitant en fonction des services écosystémiques rendus par son exploitation". C'est-à-dire récompenser financièrement les actions bénéfiques pour l'environnement.
Une politique pour panser les paies climatiques
"Parce qu'il a trop plu, 2016 a été une année terrible pour le blé français. En 2021, il a été victime des gelées tardives. En 2022, ça allait, mais pour le maïs, c'était la catastrophe", liste Sylvain Doublet. Ces conditions imprévisibles appellent "le système agricole à retrouver un peu de souplesse et de résilience, avec des filières qui déploient des stratégies qui prennent en compte le réchauffement climatique dans les décisions. Des stratégies qui partent du principe qu'il n'y a pas d'eau", martèle l'agronome. "La massification de l'irrigation, ça n'arrivera pas."
Longtemps, la France a cru sa ressource en eau quasi-inépuisable. A compter du 1er janvier, l'Etat s'est engagé à sortir 600 millions d’euros par an, pour aider les agriculteurs à faire face aux effets du réchauffement climatique. Après la sécheresse de 2022, le ministère de l'Agriculture a même déployé 30 millions d'euros pour aider les agriculteurs à s'équiper de systèmes moins dispendieux. Hélas, dans le Gers, Philippe Mrozinski note surtout que les prix explosent au rythme de ces subventions.
"On parle d'indemnités et de millions d'euros, mais le secteur a besoin de plusieurs milliards s'il veut réussir ces transitions vers d'autres cultures, espèces, variétés, pratiques..."
Serge Zaka, agroclimatologueà franceinfo
Et de regretter la "politique du pansement" mise en place. "Au moment de la révolution verte, dans les années 1960, les agriculteurs ont répondu à l'appel des politiques", poursuit-il. Porcs et poulets par-ci, céréales et bovins par là... Le visage de la "ferme France" est le résultat de cette planification. Soixante ans plus tard, le changement climatique transforme déjà ces paysages. Pour accompagner cette injonction à "faire autrement", un Pacte et loi orientation et avenir agricoles (PLOAA) doit, d'ici l'été, "donner un cap pour l’agriculture française à horizon 2040". Une transition ou une révolution ?
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