Afghanistan : droits des femmes, extrême pauvreté... Trois ans après le retour des talibans au pouvoir, quelle est la situation dans le pays ?

Article rédigé par franceinfo avec AFP
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Une femme afghane lors d'un entretien avec l'Agence France-Presse, le 3 avril 2024, à Kaboul (Afghanistan). (AFP)
Plus de 90% de la population ne parvient pas à couvrir les besoins alimentaires de base, affirme le Programme des Nations unies pour le développement.

Le Premier ministre afghan, Mohammad Hassan Akhund, l'a réaffirmé, mercredi 14 août, à l'occasion des célébrations fêtant les trois ans du retour au pouvoir des talibans : ces derniers comptent "garder le cap de la loi islamique". En août 2021, alors que les Américains se retiraient d'Afghanistan, après vingt ans de présence militaire, le groupe fondamentaliste islamiste rentrait triomphalement dans Kaboul à la suite d'une offensive éclair. Depuis, la politique appliquée a créé "la pire crise des droits des femmes au monde", dénonce l'ONG Human Rights Watch (HRW).

Entre insécurité alimentaire et explosion de la pauvreté, le pays est au bord du gouffre. Franceinfo fait le point sur cette situation dramatique. 

Les droits des femmes supprimés 

"Les filles afghanes sont comme ces oiseaux qui, avec les ailes brisées, essaient encore de voler." Dans une vidéo projetée en juin devant le Conseil des droits de l'homme de l'ONU, une jeune Afghane a partagé sa détresse. "Nous ne sommes pas libres. Nous sommes comme des esclaves", témoignait-elle. En mars 2023, l'Union européenne recensait "70 décrets comportant de nombreuses restrictions ou interdictions" concernant, entre autres, "les tenues vestimentaires, la ségrégation sur les lieux de travail" et "la liberté de circulation des femmes sans tuteur masculin (mahram)".

Sur cette affiche, photographiée le 9 novembre 2022 à Kaboul (Afghanistan), on peut lire : "Chères sœurs, le hijab et le voile sont votre dignité et vous sont utiles dans le monde et dans l'au-delà." (WAKIL KOHSAR / AFP)

Les écoles secondaires, puis les universités, ont fermé leurs portes aux femmes. Les Afghanes ont désormais moins de chances d'obtenir un travail, et donc une autonomie financière. Elles risquent ainsi davantage le mariage forcé et des violences conjugales, a alerté en mai l'ONU. Elles n'ont par ailleurs plus le droit de travailler pour des ONG et la fermeture des salons de beauté a engendré "la destruction de 60 000 emplois occupés par des femmes", selon HRW, dans son bilan de l'année 2023.

Les femmes sont aussi chassées de l'espace public. Les parcs, salles de sport et hammams leur sont interdits, précise l'ONU. Interrogée en juillet 2023 par franceinfo, la journaliste afghane Hamida Aman a accusé le régime taliban "d'isoler les femmes en les cloîtrant chez elles" et a jugé "effarant" qu'on leur interdise "tout moyen de se réunir, de discuter et d'éventuellement s'organiser".

"On s'attend à ce qu'ils nous disent de ne plus sortir. On étouffe la population féminine."

Hamida Aman, journaliste afghane

à franceinfo

Celles qui refusent de se plier au code vestimentaire – un large vêtement noir qui doit cacher le visage et le reste du corps – prennent le risque d'être arrêtées et violentées. "Des femmes et des filles auraient été détenues dans des espaces surpeuplés dans les commissariats de police, ne recevant qu'un seul repas par jour, ont rapporté en février des experts de l'ONU. Certaines d'entre elles auraient été soumises à des violences physiques, à des menaces et à des intimidations".

Les médias et l'opposition dans le viseur du pouvoir

La répression des médias et des journalistes s'est accentuée dans le pays. Des dizaines d'entre eux ont été "arrêtés arbitrairement et harcelés pour avoir critiqué les talibans" et "au moins 64 journalistes ont été détenus (...) entre août 2021 et août 2023", estime Amnesty International. Parmi eux : le journaliste franco-afghan Mortaza Behboudi, libéré après neuf mois de détention. 

L'opposition est, elle aussi, dans le viseur des forces talibanes. Entre août 2021 et juin 2023, "au moins 800 exécutions extrajudiciaires, arrestations et détentions arbitraires" d'anciens membres du gouvernement sont attribuables aux autorités, ainsi que "plus de 144 cas de torture", selon l'ONU

En novembre 2022, il a été demandé aux juges d'appliquer tous les aspects de la charia – la loi islamique –, notamment les exécutions publiques pour meurtre et les châtiments corporels, comme la lapidation, la flagellation ou l'amputation de membres. Dernier exemple en date : 63 personnes ont été fouettées en public dans le centre du pays en juin. D'après l'association Afghan Witness, sont surtout punis ce que les talibans considèrent comme des "crimes moraux", soit "les relations illicites, l'adultère ou la sodomie"

Une explosion de l'insécurité alimentaire 

Après trois ans d'administration talibane, l'Afghanistan reste l'un des pays les plus pauvres du monde. "La pauvreté touche la moitié de la population, avec un taux de chômage et de sous-emploi élevé", selon le dernier rapport de la Banque mondiale. L'accès au marché du travail est de plus en plus limité pour les femmes, "ce qui réduit les sources de revenus de nombreuses familles", soulignait en septembre 2023 sur son site Action contre la faim. Par ailleurs, plus de 90% de la population ne parvient pas à couvrir les besoins alimentaires de base, affirme le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD).

"Les taux de malnutrition, en particulier chez les enfants, sont en augmentation, ce qui a des conséquences à long terme sur leur santé."

Action contre la faim

dans un article publié en septembre 2023 sur son site

Selon l'ONU, l'état désastreux de l'économie vient, entre autres, "des restrictions imposées au secteur bancaire", décrit comme "proche de l'effondrement", et "de la quasi-absence d'investissements étrangers". Le PIB s'est contracté de 26% ces deux dernières années, écrivait en avril la Banque mondiale, pour qui "la croissance sera de zéro pendant les trois prochaines années [2023-2025] et le revenu par tête baissera sous la poussée démographique"

Si le PNUD estime que l'aide humanitaire (3,7 milliards de dollars) "a aidé à contenir la catastrophe humanitaire", reste que les dons tardent à affluer. Début 2024, selon le Programme alimentaire mondial, "l'appel de l'ONU pour 3,2 milliards de dollars [2,9 milliards d'euros] n'était financé qu'à 40% en décembre [2023]". Les Nations unies ont entamé des discussions avec les talibans cette année, pour aborder notamment les questions de l'augmentation et de la coordination de l'engagement international en Afghanistan.

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