Enquête France 2 Derrière l'essor du tourisme, comment l'Afghanistan est devenu un nouvel eldorado pour la Chine

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Derrière l'essor du tourisme, comment l'Afghanistan est devenu un nouvel eldorado pour la Chine
ENQUETE FRANCETV. Derrière l'essor du tourisme, comment l'Afghanistan est devenu un nouvel eldorado pour la Chine Derrière l'essor du tourisme, comment l'Afghanistan est devenu un nouvel eldorado pour la Chine (FRANCE 2)
Article rédigé par Les Révélateurs - O. Longueval, M. Delrue, J. Laurent-Kaysen, C. Legros, B. Mingot, A. Palussière
France Télévisions
Malgré le retour des talibans au pouvoir, de plus en plus de touristes chinois partagent sur les réseaux sociaux des images de leur voyage dans cette destination inattendue. Une opportunité pour la Chine de coopérer économiquement avec un pays dont les sols regorgent de richesses.

Sur les réseaux sociaux chinois, des influenceurs chinois multiplient les vidéos dans les pays voisins de la Chine. Parmi les destinations : l'Afghanistan, suscitant l'admiration de leurs abonnés. "Vous êtes courageux, faites attention à votre propre sécurité lorsque vous entrez en Afghanistan. Je vous souhaite un bon voyage !" s'enthousiasme un internaute. "J'admire Daliang pour avoir osé se rendre seul en Afghanistan. Ce courage est digne d'admiration", renchérit un autre, sous les vidéos de Daliang, dont le compte Douyin (l'équivalent de TikTok en Chine) dépasse les 2,88 millions d'abonnés. Trois ans après le retour des talibans au pouvoir, le tourisme en Afghanistan reprend timidement. En 2023, 7 000 touristes auraient visité le pays.

Capture d'écran de commentaires postés sous les vidéos du voyage en Afghanistan du créateur Notes de voyage à Daliang. Les commentaires sont traduits du Chinois au Français. (Douyin/CANVA)

Dans ce pays où tout est contrôlé, les zones touristiques sont limitées. Les influenceurs chinois se filment toujours dans les mêmes lieux : le Musée national de Kaboul, les jardins de Bagh-e Babur, les Bouddhas de Bamiyan ou les lacs de Band-e Amir, un site interdit aux femmes afghanes soumises aux lois de la charia islamique, dans lequel les touristes chinoises déambulent pourtant tout sourire et cheveux au vent.

Une scène qui peut paraître choquante, mais les Chinois n'ont pas la même vision de ce pays, déniant son régime terroriste. Même s'ils le considèrent comme risqué, l'Afghanistan fait office de destination grisante et pittoresque, dans lequel se mettre en scène une arme à la main fait partie des clichés souvenirs. Les talibans qui les accompagnent sont perçus comme des gardes du corps, les voyageurs parcourent ainsi les marchés locaux pour distribuer des confiseries aux enfants.

Des voyages sur-mesure

Si ce voyage fait de plus en plus d'émules, il n'en reste pas moins compliqué de répondre à des formalités exigeantes. Le visa ne suffit pas pour voyager en Afghanistan. L'obtention d'un laissez-passer pour chaque province, qui peut prendre plusieurs jours à un tarif hasardeux, est obligatoire. Pour éviter tous ces désagréments, des agences chinoises proposent leurs services.

Sur le réseau social Douyin, des affiches colorées vantent un séjour exotique et sur-mesure, pour lequel les démarches administratives sont facilitées. Les visites sont organisées, les restaurants choisis pour profiter au mieux de la gastronomie locale. L'offre soignée promet une excursion sécurisée dans l'une des régions les plus dangereuses au monde.

Affiche d'une agence de voyage chinoise qui vante un séjour en Afghanistan, du 27 janvier au 10 février 2025. (Douyin)

Sur les réseaux sociaux, des affiches de vols reliant la Chine à l'Afghanistan promettent un voyage "pratique, rapide, efficace et sécuritaire" à destination de Kaboul et au départ d'Ürümqi, capitale de la région du Xinjiang. Le prix du périple : 750 dollars l'aller-simple, 1 050 l'aller-retour. La compagnie Ariana Afghan Airlines assure la liaison tous les mercredis. Malgré son interdiction en Europe, elle joue un rôle-clé dans ce nouveau flux touristique, puisqu'elle relie de nombreuses capitales à Kaboul. Parmi elles, Moscou, Dubaï ou encore Istanbul, selon le site internet de la compagnie (archivé ici).

Les talibans ont bien compris que le tourisme est crucial pour sortir l'Afghanistan de son isolement. Mais pour attirer les touristes, il faut savoir les recevoir. C'est dans cette perspective que l'Institut du tourisme et de l'hôtellerie a été rouvert en grande pompe le 23 mars 2024 par Khairullah Khairkhwa, le ministre de l'Information et de la Culture afghan. Dans une déclaration publiée par l'Afghanistan Tourism Corporation en 2023, celui-ci avait annoncé vouloir "s'engager en faveur de la croissance culturelle, du développement de l'industrie du tourisme et de la formation de la jeunesse". Mais le tourisme n'est que la première pierre de l'édifice, les ambitions des talibans vont bien au-delà.

Des milliards de dollars à la clé

Bien que Pékin n'entretienne pas de relations diplomatiques formelles avec le gouvernement taliban, la Chine fait partie des rares pays à avoir maintenu une présence diplomatique à Kaboul depuis que les talibans ont repris le pays, après le retrait des Etats-Unis en 2021. Et pour renflouer leur économie sous le coup de sanctions internationales, les intégristes islamistes cherchent à exploiter les richesses du sol afghan. Ils proposent régulièrement sur le site du ministère des Mines des appels d'offres pour différents projets. La Chine y voit l'occasion de mettre la main sur ces ressources, dont la valeur totale pourrait dépasser les 1 000 milliards de dollars.

Pour les ressortissants chinois souhaitant investir en Afghanistan, il existe d'ailleurs une chambre de commerce officieuse située dans le Chinatown Kaboul, un bâtiment d'une dizaine d'étages fondé en 2017 par l'entrepreneur Yu Minghui. Son dernier projet ? Le nouveau Parc industriel de Chinatown, situé en banlieue de Kaboul, dont la publicité s'affiche dès la sortie de l'aéroport. Un nouveau produit d'appel pour la Chine, qui veut utiliser ce parc pour attirer des usines chinoises en Afghanistan.

Capture Google maps de l'immeuble Chinatown à Kaboul, avril 2021 (Google maps)

Le 24 juillet 2024, les deux pays ont officiellement relancé en grande pompe un immense projet d'extraction de cuivre, qui était enlisé depuis 2008 en raison de la guerre, mais aussi par la découverte sur place d'un inestimable site archéologique bouddhique vieux de 2 000 ans. Le gisement de Mes Aynak serait le deuxième plus grand gisement connu au monde. Les images satellite analysées entre 2022 et 2023 montrent une reprise des activités et de nouvelles infrastructures ajoutées sur le campus principal, ainsi que des fouilles préliminaires sur une colline voisine, mais pas encore d'extraction du cuivre.

Le pays regorge aussi d'or, de pierres précieuses et de gisements pétroliers, ce qui n'a pas échappé à la Chine. En janvier 2023, le gouvernement taliban a signé un contrat d'exploitation de trois zones dans le bassin de l'Amou-Daria. Il s'agit du premier accord pétrolier majeur que les talibans signent avec une entreprise étrangère depuis leur arrivée au pouvoir en 2021. Sur des images satellite, on observe de nouveaux ajouts d'infrastructures entre 2022 et 2024, notamment sur le champ pétrolier d'Angot. Et le pétrole provenant de gisements exploités par la Chine aurait déjà commencé à être vendu dès l'été 2024, selon le ministère des Mines et du Pétrole afghan.

Des obstacles à la coopération

Dernier symbole de cette relation étroite entre la Chine et l'Afghanistan : la relance en octobre 2024 d'une ligne de chemin de fer dédiée au commerce reliant directement les deux pays. Le 31 octobre, un premier train de marchandises destiné à l'Afghanistan est parti de la ville de Nantong, dans la province de Jiangsu, sur la côte est de la Chine. Il est arrivé le 23 novembre à Mazar-i-Sharif, dans le nord de l'Afghanistan, chargé de 55 conteneurs.

Si dans les médias officiels, une large place d'ailleurs est laissée aux supposés énormes contrats miniers, dans les faits, l'Afghanistan est encore loin d'en tirer profit. Dans un rapport récent, le groupe de recherche Afghanistan Analyst Network a conclu que les grands projets chinois prendront des années à se concrétiser. En effet, les mauvaises infrastructures routières du pays, le manque de main-d'œuvre qualifiée et le coût élevé de l'importation d'équipement demeurent des obstacles importants.

En réalité, l'engagement chinois en Afghanistan est encore timide. En effet, alors que l'Occident se concentre sur l'Ukraine et refuse de traiter avec un Etat dirigé par les talibans, la Chine y voit surtout une occasion d'étendre son influence en utilisant ses liens commerciaux, et ceci afin de réduire les menaces potentielles à la sécurité émanant de son voisin instable.

Parmis nos sources : 

Les images de réseaux sociaux proviennent principalement de Douyin. Nous avons particulièrement suivi le voyage de Hui Zimo

Concernant l’accès au Lac de Band-e Amir, celui-ci est interdit de l’été 2023.

Nous avons consulté plusieurs sujets de confrères sur comment les talibans attiraient les touristes, dont : Comment les talibans attirent les touristes chinois du South China Morning Post, L’Afghanistan, le nouveau terrain de jeu des Chinois du Nouvel Obs, Destination Afghanistan : un tourisme acceptable ? paru dans La Croix.  

A propos des voyages aériens opérés en Afghanistan, nous nous sommes référés à l’outil Flightradar24, au site internet d’Ariana Afghan Airlines et également à la liste des compagnies interdites d'opérer dans l’Union européenne. 

Concernant les prix des visas, nous avons visionner et écouter plusieurs vidéos, consulter les sites officiels chinois et demandé directement à un guide chinois présent en Afghanistan le coût des modalités de voyage. 

Sur la Coopération économique de la Chine avec les talibans, nous avons utilisé le rapport du  Global Disinformation Lab (GDIL) de l'Université du Texas à Austin, écrit sur ce sujet. 

Nous avons mené des interviews avec des experts du sujet. Parmi eux Didier Chaudet, spécialiste de la géopolitique des mondes turco-persan et himalayen, chercheur associé à l’IFEAC (Institut français d’études sur l’Asie centrale).

Les images satellites sont celles de Maxar Technologies et Google Earth Pro.

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