Afrique du Sud : les explications emberlificotées du dernier président blanc Frédéric de Klerk sur l'apartheid
Ses propos ont provoqué une vive polémique dans le pays à propos du système raciste de l'apartheid, officiellement supprimé en 2014.
Le dernier président sud-africain de l'apartheid (1989-1994), Frederik Willem de Klerk, a fait son mea culpa le 18 février 2019 après avoir provoqué une vive polémique dans le pays. Début février, il avait "nié que l'apartheid était un crime contre l'humanité", selon un communiqué de sa fondation, document inaccessible sur internet. Le système raciste et ségrégationniste de l'apartheid est officiellement tombé en 1994.
Ces propos ont provoqué la colère des parlementaires du parti de gauche radicale des Combattants pour la liberté économique (EFF). Ceux-ci ont dénoncé la présence, le 13 février dans l'hémicycle, de Frederik de Klerk lors du discours annuel de la nation prononcé par le chef de l'Etat Cyril Ramaphosa. Le parti avait alors exigé que l'ex-dirigeant quitte l'hémicycle. "Nous avons un meurtrier dans cette chambre", avait déclaré le leader de l'EFF, Julius Malema, avant de s'en aller en signe de protestation.
"Un projet de propagande initié par les Soviétiques et leurs alliés de l'ANC"
Le 14 février, Frederik de Klerk, 83 ans, a publié un communiqué pour dénoncer les "attaques au vitriol" de l'EFF et pour défendre sa position sur l'apartheid. "L'idée que l'apartheid ait été un 'crime contre l'humanité' était et reste un projet de propagande initié par l'Union soviétique et leurs alliés de l'ANC (Congrès national africain, au pouvoir depuis 1994) et du parti communiste pour stigmatiser les Sud-Africains blancs en les associant à de réels crimes contre l'humanité. Lesquels incluent généralement (...) le massacre de millions de personnes", avait-il affirmé. "Quelque 23 000 personnes sont mortes dans des violences politiques en Afrique du Sud entre 1960 et 1994", avait-il ajouté.
Lors d'une interview il y a deux semaines avec la télévision nationale sud-africaine citée par la BBC, Frédéric de Klerk reconnaissait que l'apartheid était un crime. "Mais il insistait sur le fait que (ce système) était responsable de relativement peu de décès et ne pouvait pas être mis dans la même catégorie que le 'génocide' ou les "crimes contre l'humanité'". Le chiffre de 23 000 qu'il cite semble venir des conclusions de la Commission Vérité et Réconciliation, mise en place après la chute du système ségrégationniste et présidée par le très respecté évêque et prix Nobel de la paix Desmond Tutu. Dans son rapport final, la commission évoquait le chiffre de plus de 22 000 victimes identifiées.
Très vive polémique
Les propos de Frederick de Klerk ont déclenché une très vive polémique en Afrique du Sud. Le pays a été très profondément meurtri par des décennies d'apartheid au cours desquelles la majorité noire n'avait pas les mêmes droits que la minorité blanche. Plus d'un quart de siècle après, les Noirs continuent très souvent à en subir les conséquences.
"Il est irresponsable (...) de débattre du degré d'horreur de l'apartheid", a souligné le 17 février Desmond Tutu. "En se demandant si (ce système) était un crime contre l'humanité", l'ex-président "a rouvert de vieilles plaies", a dénoncé l'ancien archevêque.
Le lendemain, pressé de toute part, Frédérik de Klerk a été contraint "de retirer" ses propos et de "présenter ses excuses pour la confusion, la colère et les blessures" qu'il a causées. "Je suis d'accord" avec Desmond Tutu que "ce n'est pas le moment de pinailler pour savoir à quel point l'apartheid était inacceptable", a-t-il souligné. "C'était totalement inacceptable", a-t-il ajouté. Il a finalement déclaré qu'il soutenait la définition légale du crime d'apartheid, telle que définie par le statut de Rome.
Le "mythe de Klerk"
Frederik de Klerk est souvent présenté comme celui qui a précipité la chute du système de l'apartheid, associé à Nelson Mandela, héros de la lutte contre le régime raciste. Outre la levée de l'interdiction de l'ANC, hors la loi depuis 1960, et d'autres organisations, il a libéré ce dernier en 1990. Trois ans plus tard, les deux hommes ont partagé le prix Nobel de la paix.
Dans un article mis en ligne sur le site Daily Maverick, la journaliste sud-africaine Ferial Haffajee évoque "le mythe F.W. de Klerk". Il "n'avait pas l'étoffe" qu'on lui prêtait depuis sa conférence de presse du 2 février 1990 dans laquelle il annonçait la levée de l'interdiction de l'ANC et la libération "sans condition" de son leader Nelson Mandela. L'ancien président "n'était pas l'homme d'Etat qu'on présente. Au contraire, il a eu une attitude conservatrice et tapageuse" alors que Nelson Mandela a dû faire "de multiples acrobaties politiques pour s'entendre avec lui", écrit la journaliste.
Pendant la campagne de élections de 1994, celle-ci a pu observer "comment son équipe manipulait un électorat de couleur pour renforcer son image". Elle évoque "une politique cynique de la pire espèce". Le leader politique parlait alors "comme les patriarches populistes que l'on trouve partout dans le monde aujourd'hui". Et d'ajouter : "Dans mon souvenir, de Klerk (est) l'homme qui a fait adopter les lois rendant plus difficiles l'accès des Noirs aux universités blanches." En clair, pour reprendre une expression de l'AFP, l'ex-chef de l'Etat est "un pur produit de l'apartheid".
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