Algérie : le Sud s’enflamme contre le gaz de schiste
« Nous assistons au succès de la première opération réelle de l’exploration de gaz de schiste dans le bassin d’Ahnet où nous avons réussi à produire du gaz extrêmement compact situé dans des roches imperméables », déclarait le 27 décembre dernier le ministre de l’Energie Youcef Yousfi lors de sa visite d’inspection au premier forage pilote de schiste en Algérie. Dix jours plus tard, Alger envoie 300 policiers à bord de deux avions militaires pour calmer la population d’In Salah (1 267,7 km au sud de la capitale) qui a pris contrôle de bâtiments publics, rapporte Le Soir d’Algérie.
Jusqu’ici secoué par des mouvements sociaux des chômeurs, le Sud d’Algérie semble se préoccuper désormais de l’environnement et de la santé publique. «Nous n’avons pas profité du gaz conventionnel, ni des retombées de la manne pétrolière. Qu’y a-t-il après la misère, la mort ? Le gaz de schiste nous prendra le peu que nous avons et nous n’en voulons pas» , s'emporte Djouan Mohamed, président de l’association environnementale Shams, dans le quotidien El Watan. La pollution des nappes phréatiques hante les esprits. « Ils ont peur pour la goutte d'eau qui est leur seule richesse et craignent des malformations chez leurs enfants. Les habitants ont été marqués par les essais nucléaires d'In Ecker et Reggane. Ils s’indignent de la condescendance des autorités», explique pour Géopolis Houria Alioua, chef de bureau d’El Watan au Sud.
La France avait mené des essais nucléaires dans la région, alors colonie française, quatre aériens à Reggane entre 1960 et 1961, et 13 essais souterrains à In Eker. Selon des associations et des médecins, le nombre de pathologies, dont des cancers, est anormalement élevé dans la région. Ce qui expliquerait, en partie, la méfiance de la population, selon Houria Alioua.
Le sirocco de la colère
D’autres villes rejoignent la colère : In Ghar, Tit, Tamanrasset et El Ménéa. Les autorités cherchent à la contenir avant qu’elle ne s’étende encore plus. Pour Alger, l’exploitation du gaz de schiste est avant tout une décision économique. Avec la réduction des réserves pétrolières et la chute des cours, près de 50% en un an, l’horizon s’annonce sombre. Pour apaiser les esprits, les autorités locales ont annoncé la suspension de l’exploitation des deux puits de gaz de schiste de Dar Lahmar, premier champ de gaz de schiste d’Algérie.
Le gaz de schiste est-il une véritable solution ? « Le gaz de schiste est à la fois la solution et le problème. Ça peut être une solution s’il permet de passer un cap difficile, une transition pour aller vers autre chose. Mais il est plus probable qu’il constituera un problème car les gouvernants vont miser sur les revenus qu’il va générer pour éviter au pays de faire l’effort nécessaire en vue de diversifier son économie », analyse Abed Charef, consultant à Maghreb émergent.
L’argument économique est balayé d’un revers de main par… l’ancien Pdg de la Sonatrach, groupe pétrolier et gazier public, Nazim Zouiouèche, cité par Maghreb émergent : « La production du gaz de schiste ne sera pas rentable avant quinze ans. Etant donné la particularité de nos roches peu poreuses et non perméables, cela nécessiterait de grands moyens technologiques. L’Algérie devrait mettre le paquet sur l’énergie solaire, une ressource disponible, inépuisable, propre et rentable ».
Selon l’Agence Ecofin, l’Algérie est classée dans le peloton de tête des pays disposant d’importantes ressources de schistes avec 600 trillions de m3, à côté des Etats-Unis et de l’Argentine. Elle a projeté à 2022 l’exploitation commerciale de son gaz de schiste algérien avec une production d’environ 20 milliards de m3 qui atteindra 30 milliards de m3 à l’horizon 2025-2027.
Raison économique contre protection de l’environnement, gaz de schiste versus énergie solaire, l’Algérie ne peut pas faire l’impasse sur ces débats qui secouent aussi d’autres pays.
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