Algérie : "Ulac L'vot, Ulac", la Kabylie frondeuse veut "zéro vote" à la présidentielle contestée
La mobilisation contre la présidentielle dans cette région berbérophone, historiquement opposée au pouvoir, ne faiblit pas.
A Tizi Ouzou, en Kabylie, région frondeuse à l'est d'Alger, la campagne contre la présidentielle du 12 décembre 2019, massivement rejetée dans toute l'Algérie, bat son plein. En ville, les affiches électorales ont laissé place à... des briques, devenues le symbole de l'opposition au scrutin. Des appels à une grève générale, largement suivie, ornent les murs de la ville, signe de la mobilisation contre la présidentielle dans cette région berbérophone, historiquement opposée au pouvoir, et où la participation aux élections est traditionnellement faible.
La grève est un coup de force contre l'élection. Nous voulons zéro vote ici
Amar Benchikoune, 38 ans, commerçantà l'AFP
Au premier jour de cette grève, le 8 décembre, toutes les activités étaient bloquées à Tizi Ouzou, à l'exception des pharmacies.
"Ici, il n'y a aucune chance qu'un seul électeur glisse un bulletin dans l'urne. D'ailleurs, il n'y a pas d'urnes ni de bureaux de vote", raconte à l'AFP Boudjemaâ Lakhdari, un commerçant de 36 ans, au milieu de centaines de manifestants rassemblés devant le siège de la daïra (sous-préfecture).
Tizi-Ouzou une ville morte pour le 2ème jour de la grève pic.twitter.com/mQ5OX5lh44
— seddik (@seddik51033299) December 9, 2019
Candidats aux abonnés absents
Depuis le début de la campagne électorale le 17 novembre, des manifestants ont muré la quasi-totalité des 21 sous-préfectures du département de Tizi Ouzou, qu'ils soupçonnent d'abriter le matériel électoral (urnes, bulletins). Durant les trois semaines de campagne, qui s'est terminée le 8 décembre, aucun des cinq candidats en lice ne s'est hasardé à Tizi Ouzou ou Béjaia, l'autre grande ville de Kabylie.
Le 8 décembre, à quelques centaines de mètres de la sous-préfecture, où d'importants renforts de police équipés de casques et de boucliers étaient déployés, des dizaines de jeunes munis de briques et de sacs de ciment se sont avancés, en file indienne, vers l'entrée du bâtiment.
Rejet de l'élection présidentielle : Impressionnante marche à Béjaïa#Algerie pic.twitter.com/G1IZbihAt4
— Berbère Télévision (@BerbereTV) December 10, 2019
Sous l'effet d'une foule de plus en plus compacte, les policiers, qui avaient réussi à la contenir pendant trois heures, se sont finalement retirés sous des clameurs de joie. "Algérie libre et démocratique", ont scandé les manifestants après avoir élevé un mur de briques entre les montants de la porte d'entrée. Au-dessus, un groupe avait peint l'inscription "Ulac L'vot, Ulac" (Pas de vote).
Ils arboraient des drapeaux algériens mais aussi amazighs (berbères). Cet emblème a été interdit par l'armée dans les manifestations du Hirak, le mouvement massif de contestation du régime qui agite toute l'Algérie depuis le 22 février et s'oppose à la tenue de la présidentielle.
La brique comme bulletin de vote
Avec la campagne anti-vote, la brique est devenue l'objet fétiche des habitants de la région. Sur Facebook, nombreux sont ceux qui mettent, en guise de photo de profil, une brique avec l'inscription "bulletin de vote".
"C'est notre façon d'exprimer notre rejet total du scrutin", explique Ouerdia, 55 ans, retraitée de l'Education. "Nous sommes ici pour réaffirmer (ce) rejet (...), mais d'une manière pacifique", lance Massinissa Houfel devant une foule en délire.
Nous ne voulons plus revivre les tragédies du passé.
Massinissa Houfel, manifestantà l'AFP
Une allusion aux émeutes sanglantes du "Printemps noir" de 2001, quand la Kabylie, qui s'apprêtait à célébrer le 21e anniversaire du soulèvement pour la reconnaissance de l'identité berbère, se révoltait une nouvelle fois après la mort d'un lycéen dans une gendarmerie. Ces émeutes avait fait 126 morts et des milliers de blessés.
Kabylie frondeuse
Un quart de la population algérienne, soit quelque 10 millions de personnes, est berbérophone, concentrée majoritairement en Kabylie (Nord). Les revendications liées à l'identité amazighe ont été longtemps niées, voire réprimées par l'Etat, construit autour de l'arabité.
Massinissa Houfel se dit "choqué" de la présence dans la course à la présidence de candidats comme Ali Benflis, Premier ministre lors de la répression en 2001, et de l'autre ancien chef du gouvernement Abdelmadjid Tebboune, qui ont travaille sous l'autorité directe du président déchu Abdelaziz Bouteflika, contraint à la démission en avril. "Il n'y aura pas de vote. Le pouvoir doit d'abord libérer les prisonniers d'opinion", jure le jeune juriste de 29 ans, en référence à la centaine de manifestants, militants et journalistes arrêtés, placés en détention provisoire ou condamnés, selon les organisations de défense des droits de l'Homme.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.