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Boualem Sansal: «Je suis islamistophobe, pas islamophobe»
L'écrivain francophone algérien Boualem Sansal, nommé pour plusieurs prix (Goncourt, Renaudot, Medicis et Femina), crée l’évènement de cette rentrée littéraire. Son dernier livre «2084» (Gallimard), largement inspiré de «1984» de George Orwell, imagine une dictature islamiste mondiale, l’Abistan, un pays où la vie est rythmée par des pèlerinages sans fin et le spectacle de châtiments publics.
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Comment imaginez-vous Alger en 2084 ?
Pas loin de l’Abistan, sans Etat ou avec un Etat faible et des coups d’Etat permanents. La religiosité a atteint toutes les couches de la société, y compris les intellectuels. L’Algérie est un pays jeune, elle a découvert la République en 1962 et ne savait pas quoi mettre dedans. L’Etat nationaliste a raté le train de la démocratie. Rien de bien ne peut sortir de cette confusion. Seul un homme providentiel peut la sauver mais j’y crois moyennement. Le système politique est gangrené par l’islamisme. La dimension religieuse s’est installée pour très longtemps. Il faut inventer une nouvelle langue pour nommer les choses, trouver d’autres mots pour dire la réalité. La Tunisie d’après-Ben Ali a aussi cédé aux sirènes des islamistes. Voilà un pays laïque avec une belle révolution qui s’empresse d’écrire dans la Constitution que l’islam est religion d’Etat. Tout ça pour en arriver là, la Tunisie a offert aux islamistes une belle victoire idéologique.
Et Paris en 2084 ?
La dimension de l’islam est planétaire. En France, l’islam n’est plus la religion des banlieues mais celle des nouveaux convertis. L’islam a quitté la banlieue pour les grandes villes. Il ne se passe pas un jour sans qu’on entende parler d’un général américain, d’un intellectuel français ou de footballeurs (un raz-de-marée pour ces derniers) qui se convertissent. Il y a un islamisme nouveau qui est en train de naître. Ce sont ces convertis qui changeront l’islam, ou dans ses excès ou – au contraire – pour l’apaiser. Ils joueront le jeu démocratique sauf s’ils sont rejetés et dans ce cas ils se réfugieront dans la violence sociale (je ne crois pas à une violence «physique») comme le fait le Front national. L’Occident (et pas seulement) n’oppose aucune idéologie aux islamistes sinon celle du fric qui n’est pas assez tentante.
On dirait du Houellebecq…
(Rires... les deux écrivains s’apprécient, NDLR).
Je ne suis pas islamophobe. Que répondre à ceux qui disent que je ne mérite pas de vivre ? Je refuse tout autoritarisme, religieux ou autre. Personne n’a le droit de dire qui mérite ou pas de vivre. Oui, je suis contre les islamistes. Je ne connais aucune expression qui puisse définir ça, peut-être islamistophobe. Je suis islamistophobe, contre les islamistes. On peut ne pas aimer l’islam wahhabite de l’Arabie Saoudite, on peut même ne pas aimer l’islam. C’est aussi cela la liberté. Les gens ont le droit de critiquer toutes les religions. J’ai commencé à écrire dans un pays en guerre à cause des islamistes, de l’islamisme. Houellebecq a écrit un livre sur ce sujet, je ne doute pas qu’il va passer à autre chose, en regard de son talent. Moi, c’est ma matrice. Je suis un enfant de cette violence. Les communicants de l’islamisme ont réussi à culpabiliser l’Occident, comme s’il fallait prendre les bourreaux pour des victimes. Des amis écrivains occidentaux, notamment français, me disent qu’ils n’osent pas écrire un dixième de ce que j’écris par culpabilité, par peur d’être stigmatisés.
Revenons à votre roman qui s’est largement inspiré de «1984» de George Orwell. Dans «1984», il y a une histoire d’amour haletante. Dans votre livre, rien, comme si les personnages n’avaient pas de désirs physiques et/ou n'étaient pas romantiques…
Oui, vous avez remarqué ça !? J’ai essayé de faire rencontrer Ati (personnage principal) avec la veuve ou la sœur de Nas, j’ai vu tout de suite que ce n’était pas crédible ! L’amour ne peut pas exister sous un régime islamiste. J’ai essayé… je n’ai pas pu. L’amour passe par une attraction physique (regard, etc.) ou même verbale. Or, dans l’Abistan, les hommes et les femmes ne se rencontrent jamais pas comme dans «1984» où le Parti pratique la mixité. Dans l’Abistan, personne ne peut fréquenter une autre personne de sexe opposé avant le mariage. La société les marie très tôt pour gérer leurs pulsions sexuelles. Ils se défoulent sexuellement mais sans amour, le but ultime étant la procréation. J’ai essayé...
Question à un dinar: que ferait Boualem Sansal s’il devenait président?
(Rire prolongé)… Non, non, ce n’est pas mon ambition. Je suis écrivain, pas un homme politique. Je ne suis pas la solution. (Après un long silence)... J’instaurerai la laïcité dès le lendemain de mon élection. (Nouvel éclat de rire)... De toute façon, personne ne votera pour moi. Ghozali, Hamrouche ou Benflis (opposants algériens, anciens Premier ministres, NDLR) feraient l’affaire mieux que moi. Le rôle d’un écrivain est d’alimenter la réflexion. Je suis assez vilipendé comme ça par une certaine presse et sur les réseaux sociaux.
A cause de votre voyage en Israël ?
Cela a commencé bien avant, dès la sortie de mon livre Le serment des barbares. Je ne regrette absolument pas mon voyage en Israël et suis prêt à y retourner. A ce que je sache, l’Algérie et Israël ne sont pas en état de guerre. Les réactions sont plus des postures dues à l’inculture et à la propagande. Lors de la mort du roi Hassan II, Bouteflika et Ehud Barak sont tombés dans les bras l’un de l’autre et se sont embrassés. On peut faire tomber la propagande en quinze jours, il suffit que les hommes politiques aient du courage. On peut critiquer la politique d’un gouvernement, défendre la Palestine sans arriver à haïr tout un peuple ! Je ne hais pas les Israéliens !
Question à un euro cette fois-ci, vous arrive-t-il de penser au Goncourt en vous rasant le matin?
(Rire, suivi d’un silence songeur)... J’y pense, c’est flatteur. J’ai suffisamment d’expérience pour ne pas me laisser griser. J’ai été nommé et même donné favori pour mon premier roman Le serment des barbares. Je regarde ça assez froidement mais cela me ferait plaisir pour amplifier ma voix.
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