Ce que l'on sait de l'arrestation en Algérie de l'écrivain franco-algérien Boualem Sansal
Ses proches sont sans nouvelles de lui depuis une semaine. L'écrivain franco-algérien Boualem Sansal a été arrêté à l'aéroport d'Alger, en provenance de France, le samedi 16 novembre, selon plusieurs médias français. Emmanuel Macron a fait part de son inquiétude, jeudi. Gallimard, son éditeur, a exprimé vendredi sa "vive inquiétude" et appelé sur X à sa "libération immédiate". Franceinfo vous résume ce que l'on sait sur cette affaire.
Il a été arrêté samedi à l'aéroport d'Alger
Arnaud Benedetti, rédacteur en chef de La Revue politique et parlementaire, à laquelle collabore Boualem Sansal a donné l'alerte sur X jeudi matin : "Nous sommes sans nouvelles de l'écrivain (...) depuis son arrivée à Alger le 16/11. Selon plusieurs sources, il aurait été arrêté." Quelques minutes plus tard, le magazine Marianne a confirmé l'interpellation à l'aéroport de la capitale algérienne, précisant que l'auteur de 2084 : la fin du monde n'avait "plus donné de nouvelles à ses proches depuis son arrivée à Alger samedi 16 novembre dernier".
D'après Le Monde, l'écrivain de 75 ans "aurait été interpellé par des membres de la direction générale de la sécurité intérieure algérienne et devrait être présenté incessamment devant le procureur de la République". Les autorités algériennes n'ont pour l'heure pas confirmé l'information.
"On pensait que son téléphone portable avait été confisqué par les autorités à son arrivée à l'aéroport d'Alger. Mais il ne répondait pas à ses e-mails, à son WhatsApp, ni à son fixe chez lui", a déclaré au quotidien Xavier Driencourt, ancien ambassadeur de France à Alger. Il raconte avoir dîné avec son ami la veille de son départ pour son pays natal. "Il est rentré chez lui par un vol Air France le lendemain. Il n'était pas inquiet."
Emmanuel Macron se dit "très préoccupé"
Le président français s'est dit jeudi soir "très préoccupé par la disparition" de l'écrivain franco-algérien qui, rappelle l'AFP, a obtenu cette année la nationalité française. "Les services de l'Etat sont mobilisés pour clarifier sa situation", précise l'entourage du chef de l'Etat, selon qui "le président de la République exprime son attachement indéfectible à la liberté d'un grand écrivain et intellectuel".
D'autres responsables politiques français ont réagi dans le même sens. "Tous les moyens de pression sur l'Algérie doivent être activés pour obtenir la libération de notre compatriote, le grand écrivain Boualem Sansal", a plaidé Laurent Wauquiez, le chef de file des députés LR. "Il incarne tout ce que nous chérissons : l'appel à la raison, à la liberté et à l'humanisme contre la censure, la corruption et l'islamisme", a réagi l'ancien Premier ministre Edouard Philippe (Horizons), en appelant aux "autorités françaises et européennes pour obtenir des informations précises et faire en sorte qu'il puisse circuler librement et revenir quand il le souhaitera en France".
La Ligue des droits de l'homme et l'éditeur français de l'écrivain, Gallimard, ont aussi fait part de leur inquiétude. Pour la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (Licra), c'est "une des consciences morales de notre temps qui est menacée", tout en précisant qu'"on sait par ailleurs que son épouse, gravement malade, est actuellement hospitalisée en France".
Les raisons de l'arrestation sont pour l'heure inconnues
Le flou demeure sur les raisons de cette arrestation. Selon Le Monde et Radio France internationale, elle pourrait être liée à des propos qu'il a tenus début octobre dans une interview au média français d'extrême droite Frontières, dont il est membre du comité éditorial. "Quand la France a colonisé l'Algérie, toute la partie ouest de l'Algérie faisait partie du Maroc", a-t-il affirmé, au sujet des frontières entre les deux pays. Une question hautement sensible pour Alger.
Toujours selon RFI, le vainqueur du Grand Prix du roman de l'Académie française en 2015 pourrait être poursuivi pour "atteinte à l'unité nationale et à l'intégrité territoriale du pays" et "incitation à la division du pays". Il encourrait alors une peine de prison.
Il était dans le collimateur des autorités algériennes
"On sait quelles sont les positions de Boualem Sansal à l'encontre du régime algérien. Il a un regard très critique vis-à-vis de ce régime", rappelle Arnaud Benedetti à RFI. Boualem Sansal était de fait surveillé par les autorités algériennes. Il comptait d'ailleurs "s'installer en France", explique dans Le Monde Xavier Driencourt. "Il trouvait que l'Algérie devenait irrespirable. J'ai même commencé à lui chercher une maison."
Pourfendeur de l'islamisme, il a rencontré dès ses débuts le succès avec Le serment des barbares, un roman racontant la montée en puissance des intégristes qui a contribué à faire plonger son pays dans une guerre civile ayant fait au moins 200 000 morts entre 1992 et 2002, rappelle l'AFP.
Ses livres, édités en France, sont vendus librement en Algérie. Mais l'auteur y est controversé, notamment depuis une visite en 2011 au Salon du livre de Jérusalem. En 2003, après la parution de son livre Dis-moi le paradis, il avait été limogé de ses fonctions de directeur général au ministère de l'Industrie. Dans ce roman, il dressait un portrait critique de l'Algérie postcoloniale. "Etre écrivain en Algérie aujourd'hui est très onéreux. En effet, le régime actuel n'apprécie pas cette profession et les islamistes sont en pleine expansion", explique Kamel Daoud, prix Goncourt 2024 et proche de Boualem Sansal, dans une tribune publiée dans Le Figaro jeudi.
Un contexte tendu entre la France et l'Algérie
Ces événements interviennent dans un contexte diplomatique très difficile entre France et l'Algérie. Le pays dirigé par Abdelmadjid Tebboune est furieux, alors qu'Emmanuel Macron a décidé d'appuyer le plan d'autonomie marocain pour le territoire disputé du Sahara occidental, fin juillet. Cette ancienne colonie espagnole est contrôlé de facto en majeure partie par le Maroc, mais il est revendiqué par les indépendantistes sahraouis du Front Polisario, soutenus par Alger.
Sur RFI, Arnaud Benedetti a dit craindre que "le régime algérien fasse de cette arrestation un symbole politique et un symbole du durcissement de ses relations avec la France". Xavier Driencourt partage ce sentiment : Alger veut "tester la France", affirme-t-il dans Le Monde.
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