: Témoignages La galère d'Algériens bloqués en France à cause du Covid-19 : "On veut bien qu'il y ait des mesures strictes, mais là c'est trop"
Air Algérie a annoncé, le 28 mai, les conditions de reprise de ses vols internationaux, progressive depuis mardi. Depuis, les files d'attente s'allongent devant les deux agences de la compagnie en France, qui gardent portes closes.
Devant l'agence parisienne d'Air Algérie, sur la très chic avenue de l'Opéra, trône un petit fauteuil noir. Djelali* l'a installé pour être sûr de ne pas manquer l'ouverture de l'agence, fermée depuis lundi 31 mai, "jusqu'à nouvel ordre". Sur la vitrine, une affiche, estampillée au logo de la compagnie, prétexte qu'il est "impossible d'assurer l'ouverture dans le strict respect des mesures sanitaires et sécuritaires", sans préciser de date de réouverture. L'homme algérien de 77 ans a passé deux nuits d'affilée devant ces locaux, en espérant être le premier à entrer lors de la réouverture. Accroché à sa canne, il raconte à franceinfo qu'il "prie pour pouvoir prendre un billet pour repartir à Alger", où il vit. Depuis près de quinze mois et la fermeture des frontières ordonnée par l'Algérie à cause de la pandémie de Covid-19, Djelali est bloqué en France.
"A l'origine, je venais pour des rendez-vous médicaux, car je suis atteint de deux cancers, et aussi pour rendre visite à mes enfants, mais je ne veux plus déranger, souffle-t-il. Je me sens abandonné." Lors de la reprise ponctuelle des vols de rapatriement en février dernier, Djelali n'a pas pu accéder aux réservations : "Tout était complet tout de suite et j'ai beau avoir déjà un billet retour, je ne suis pas prioritaire." Avec sa petite retraite, il ne comprend pas pourquoi il est obligé de payer des pénalités en plus du prix de son billet de retour initial.
Des conditions strictes pour regagner l'Algérie
Le vieil homme a vu défiler toute la journée des personnes agacées, venues nombreuses depuis la publication par la compagnie, le 28 mai, de la liste des vols prévus vers l'Algérie en juin, et des conditions strictes décidées par le gouvernement algérien. Ainsi, chaque voyageur doit présenter un test PCR de moins de 36 heures avant d'embarquer et accepter, après son arrivée dans un aéroport algérien, d'être escorté vers un hôtel pour y être confiné pendant une durée de cinq jours, à condition qu'un test PCR, à sa charge, atteste qu'il est négatif à la fin de cette période. "On veut bien qu'il y ait des mesures strictes, mais là c'est beaucoup trop. Il s'agit de vols de rapatriement, on veut juste rentrer chez nous !", s'insurge Mustapha, venu chercher des réponses devant l'agence Air Algérie à Paris, dans l'espoir de revoir sa femme et ses enfants, bloqués à Alger depuis le début de la pandémie.
Selon la compagnie, il est possible pour les passagers d'acheter leurs billets d'avion en ligne, sur son site ou par téléphone en contactant le centre d'appels d'Air Algérie en France ou dans une agence. Mais en réalité, la ligne est saturée, a constaté franceinfo. Les deux agences d'Air Algérie en France, situées à Paris et à Marseille, semblent être la dernière solution, mais leurs portes restent closes. Contactés, ni la compagnie ni le consulat n'ont répondu à nos sollicitations.
Toute la journée, les candidats à un titre de transport patientent donc devant, sans certitude. Pour éviter tout débordement, des membres de la diaspora algérienne ont spontanément imprimé et placardé des fiches sur les vitrines pour permettre aux clients d'inscrire leur nom dans leur ordre d'arrivée, afin d'être appelés si l'agence venait à rouvrir. La liste semble interminable : les 473 cases disponibles sont remplies et d'autres noms s'ajoutent tout autour de l'affiche. Djelali veut absolument que l'ordre d'arrivée soit respecté. "Toute la journée, on dit aux personnes de ne pas s'emporter, pour qu'on puisse nous prendre au sérieux et enfin nous ouvrir."
"On ouvre, mais que pour ceux qui ont les moyens"
Samedi, des centaines de membres de la diaspora ont manifesté devant des consulats de l'Algérie dans l'Hexagone, pour dénoncer les conditions imposées par le gouvernement algérien, rendues officielles le 29 mai, pour cette réouverture partielle des frontières, le 1er juin. "Ça fait un an que je manifeste à Paris pour qu'on ouvre les frontières et là, j'ai l'impression que c'est pire : on ouvre, mais que pour ceux qui ont les moyens de se payer un billet avec un tarif imposé qui est trop cher pour les plus démunis", déplore Fatima auprès de franceinfo.
Le prix du billet aller-retour s'élève à 518 euros par personne, auxquels s'ajoutent les frais liés au confinement obligatoire de cinq jours dans un hôtel, à la charge des voyageurs, qui coûte 41 000 dinars algériens (près de 250 euros). Face aux protestations, les autorités algériennes ont baissé les frais de confinement à 33 000 dinars (202 euros) et les étudiants et personnes âgées à faibles revenus peuvent demander à se faire exonérer de ces frais en présentant des justificatifs de leur situation, précise un communiqué d'Air Algérie.
Communiqué #AirAlgérie pour la reprise partielle pic.twitter.com/pqNVhPef19
— Air Algérie Médias Officiel (@medias_air) May 29, 2021
"Le prix reste trop élevé, condamne toutefois Fatima, 25 ans. Ma mère est décédée du Covid, son cercueil a été rapatrié seul et nous, on n'arrive même pas à faire notre deuil. On veut pouvoir y aller pour voir notre famille et sa tombe, et parce que mon père veut retourner dans son pays..." La jeune Franco-Algérienne s'occupe de ce dernier, qui souffre de démence : "Il ne veut pas y aller pour les vacances, mais pour revoir sa famille, pour qu'il se sente un peu mieux. Mais même si, avec mes frères et sœurs, on arrivait à lui payer un billet, il ne supporterait pas d'être confiné seul et on travaille, on ne peut pas l'accompagner." Aucune information n'a été communiquée par Air Algérie sur l'accompagnement des personnes malades et handicapées, qui voyagent seules.
Un mur "infranchissable"
Fatima a l'impression que la frontière algérienne s'est transformée en un mur "gigantesque" et "infranchissable". Un sentiment que partage Abderrahim, venu à Bordeaux en 2016, d'abord pour étudier puis pour travailler. "Aucun avion ne dessert Bordeaux, je dois d'abord payer des transports pour aller à Marseille ou Paris, c'est trop cher, souffle-t-il. En plus, je ne peux pas me permettre de perdre cinq jours confinés dans un hôtel alors que je n'ai pas beaucoup de congés." Alors Abderrahim appelle tous les soirs sa famille, restée du côté de Béjaïa, en Kabylie, pour avoir des nouvelles. L'émotion l'envahit quand il raconte à quel point il a l'impression de rater des moments de vie à leur côté.
Pour Faiza Menaï Berber, présidente du collectif Debout l'Algérie, la seule solution pour contester les conditions de voyage imposées par Air Algérie et faire avancer les choses est "le boycott de la compagnie, qui abuse". "J'attendrai un an de plus s'il le faut", martèle l'activiste, en précisant comprendre la volonté de nombreux Algériens de regagner leur pays.
Il est 18 heures devant l'agence d'Air Algérie à Opéra, la foule s'étiole. A l'heure du couvre-feu, Djelali reste seul et renseigne les quelques personnes qui viennent après une journée de travail pour voir si la compagnie a affiché de nouvelles informations. Il insiste : "Je ne bougerai pas jusqu'à ce qu'elle ouvre, comment je vais faire pour rentrer chez moi sinon ?"
*Le prénom a été changé
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