Allégeance à l'EI, lycéennes enlevées et guerre des chefs : trois moments qui montrent qu'on comprend mal Boko Haram
Certaines actions de la secte islamiste sont présentées simplement alors qu'elles relèvent d'enjeux parfois très locaux et internes au mouvement terroriste.
Mais qui dirige Boko Haram ? Depuis le début du mois d'août, cette question agite journalistes et spécialistes des groupes jihadistes. Alors que la secte nigériane a diffusé, dimanche 14 août, une nouvelle vidéo de jeunes filles présentées comme des lycéennes enlevées à Chibok, l'identité même du chef de Boko Haram demeure un mystère. Rien n'est jamais simple avec Boko Haram : ce n'est pas un groupe terroriste comme les autres et la secte islamiste reste entourée de mystères. Voici trois événements où les choses ne sont pas forcément ce qu'elles semblent.
Quand l'organigramme de Boko Haram semble dicté par l'Etat islamique
Difficile de se défaire de ses tropismes. Multipliant les attentats en Europe, l'Etat islamique focalise l'attention des Occidentaux. Boko Haram est responsable d'une crise humanitaire majeure qui a fait plus de 20 000 morts et obligé 2,6 millions de personnes à fuir leurs foyers. Mais la secte fait surtout parler d'elle quand il est question de ses rapports avec l'Etat islamique.
Ainsi, le 2 août, Al Nabaa, hebdomadaire officiel du groupe Etat islamique, publie un entretien avec Abou Mosab Al Barnaoui. L'homme est présenté comme le nouveau chef du califat de l'Afrique de l'Ouest, le nom donné à Boko Haram, depuis qu'il a fait allégeance à l'organisation jihadiste. Al Barnaoui pourrait être l'un des fils du fondateur de Boko Haram, Mohamed Yusuf. Mais en 2009, quand Mohamed Yusuf a été assassiné, c'est Abubakar Shekau qui a pris la relève de la secte pour la transformer en groupe armé. Shekau aurait été désavoué, car trop radical. Mais ce dernier, donné pour la énième fois blessé et peut-être même mort, ne tarde pas à répliquer à la nomination d'Al Barnaoui. Il le désavoue, affirme qu'il est "toujours présent", toujours chef, et qu'il n'acceptera "plus aucun émissaire" de l'EI.
Mais alors, qui croire ? L'organisation de Boko Haram est assez rudimentaire. Le groupe est dirigé par un imam, qui s'appuie sur des cheiks (contrôlant différentes zones) déléguant eux-mêmes à des chefs ("musr") et sous-chefs, explique Corentin Cohen, chercheur à Sciences Po, rattaché au CERI, dans un article publié dans la revue Afrique Contemporaine. Il précise qu'ensuite, "les groupes d'une trentaine de combattants peuvent mener des attaques de manières autonomes".
Mais, dans le fond, la secte n'est pas très hiérarchisée, relève le géographe Christian Seignobos dans Le Monde. C'est surtout un réseau de "cellules", autant de "bases", "de tailles variables", ce qui rend la secte d'autant plus difficile à éradiquer. De plus, Boko Haram fonctionne comme une franchise, agrégeant des groupes disparates. Dans une région marquée par la violence comme moyen de pression politique, mais aussi de subsistance, coupeurs de route et bandits de grand chemin se labélisent Boko Haram, profitant de la faiblesse des forces de sécurité pour se livrer à la rapine et aux trafics en tous genres.
Finalement, la récente bataille de communication entre d'un côté l'Etat islamique et Al-Barnaoui et, de l'autre, Abubakar Shekau, confirme qu'"il n'y a pas de commandement homogène, mais plusieurs factions avec des façons de se comporter qui correspondent à différentes stratégies, que l'on soit par exemple sur les îles et les rives du lac Tchad ou à la frontière camerounaise et dans la forêt de Sambisa", deux bastions de Boko Haram, explique à francetv info Corentin Cohen. Bref, Boko Haram est plus un ensemble de groupes armés, une mouvance, qu'une organisation structurée.
Quand Boko Haram semble réduire les femmes en esclavage par simple cruauté
Si l'on peine à comprendre Boko Haram, c'est aussi que "du côté des observateurs occidentaux, on ne se défait toujours pas d'une analyse moraliste et émotionnelle des événements liés à Boko Haram", plaide Christian Seignobos. "Il ne s'agirait que de cruauté gratuite, au simple motif qu'ils sont monstrueux. L'indignation ferait office de réflexion. On se trouve à la limite de notre propre grille d'analyse, condamnés à n'y rien comprendre."
Boko Haram était déjà en pleine expansion quand il s'est fait connaître du grand public en 2014, lors de l'enlèvement des "filles de Chibok". Shekau a menacé de les vendre au marché ou de les marier de force et suscité l'indignation internationale, jusqu'au pape ou à la Première dame des Etats-Unis, Michelle Obama. Au-delà de la violence infligée à ces jeunes filles, elles devaient d'abord servir de monnaie d'échange. Pour leur libération, Boko Haram a réclamé la libération de combattants.
En fait, cette stratégie de la secte semble être apparue en mimétisme à celle des autorités nigérianes, montraient un analyste et une journaliste dans le Guardian. A partir de décembre 2011, une centaine de femmes et d'enfants des dirigeants de la secte ont été arrêtés, probablement dans l'idée de faire pression sur les combattants pour les amener à négocier. La propre femme de Shekau aurait été faite prisonnière. Dans l'une de ses vidéos, il menaçait d'ailleurs : "Maintenant que vous tenez nos femmes, attendez de voir ce que nous allons faire à vos propres femmes... A vos propres femmes conformément à la charia." Boko Haram se venge et s'inspire de l'attitude des forces de sécurité nigérianes.
De même, Abubakar Shekau est régulièrement présenté comme fou ou irrationnel. Il a certes recours à l'outrance dans ses prêches et ses messages vidéos, mais le discours de Boko Haram se teinte aussi d'une dimension sociale et religieuse qui exalte et mobilise ses partisans.
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