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Mali : la force européenne Takuba se déploie lentement

Alors que la France s’interroge sur la pertinence de l'Otan pour protéger l'Europe, l’embryon de force européenne dans le Sahel montre les limites d'une défense européenne.

Article rédigé par Jacques Deveaux
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5min
Le QG de la Task Force Takuba à Ménaka au Mali le 3 novembre 2020. (DAPHNE BENOIT / AFP)

Lancée en janvier 2020 lors du sommet de Pau par le président Macron, le concept de Takuba réside dans l’européanisation des forces intervenant au Sahel dans la lutte contre le terrorisme. "Elle est composée de forces spéciales européennes qui forment, conseillent et accompagnent au combat des unités maliennes dans le Liptako", explique le ministère des Armées français. Mais la montée en puissance de Takuba s’est avérée très lente. Mirage d’une force militaire européenne dans le désert du Sahel ?, s’interrogeait le site internet RT France en janvier 2021, soulignant l’absence de nombreux pays européens.

Huit pays, 600 soldats

Son déploiement n’a commencé que début 2021. Aujourd’hui, elle compte 600 militaires venus de huit pays européens, dont la moitié de soldats français. Grande nouveauté en novembre prochain, Takuba sera commandée par un général suédois. Et non par un Français, pour la première fois. Depuis février dernier, la Suède a engagé 150 soldats des membres des forces spéciales, et également trois hélicoptères Black Hawk et un avion de transport.

Autre nouvelle importante annoncée de longue date, l’Italie déploie enfin ses hommes, entre 150 et 200. Elle apporte également 20 véhicules et huit hélicoptères, devenant ainsi le second contributeur de la Task force.

C’est également le Danemark qui a annoncé sa participation avec une centaine de soldats des forces spéciales, après avoir obtenu le feu vert de son parlement en mai dernier. La mission débutera en janvier prochain et durera douze mois. Le contingent danois devrait s’installer sur la base de Ménaka, au nord du Mali.

Bien sûr, tout cela est encore embryonnaire, et surtout de grands pays sont absents. Le Royaume-Uni, qui désormais ne fait plus partie de l'Union, ne participe pas à Takuba. Mais il intervient en fournissant à Barkhane trois hélicoptères lourds Chinook servis par une centaine de soldats. Un soutien considérable puisque depuis juin 2018 ces hélicoptères ont transporté 18 000 soldats français en 3 000 heures de vol. A la fois beaucoup et peu !

De grands absents

Takuba ne peut également pas compter sur l’Allemagne et l’Espagne. L’Allemagne, si elle est présente militairement au Sahel, l’est dans le cadre de la Minusma et non de Takuba. De plus, précise l'Institut de recherche stratégique de l'Ecole militaire (Irsem), cet engagement exclut un "mandat de combat". Toujours selon l’Irsem, "la réputation de la politique française en Afrique est, d’une façon générale, assez mauvaise" et ne pousse pas les dirigeants à s’engager plus en avant.

Belgique et Pays-Bas n’envoient timidement que des observateurs. Dans ces deux derniers pays, des considérations de politique intérieure bloquent l’envoi de troupes, même si Bruxelles n’exclut pas de participer… un jour. La Norvège, qui vient de franchir le pas, incorporera quelques soldats au sein du contingent suédois. "Nous manquons de soutien au Storting (Parlement), nous sommes arrivés à la conclusion que la Norvège ne rejoindra pas cette force maintenant", a admis le ministre de la Défense norvégien, Frank Bakke-Jensen.

Une construction difficile

Alors que dans le contexte de la crise des sous-marins avec l’Australie, le débat se développe sur la confiance à accorder à l’Otan et sur la nécessité pour l’Europe d’assurer soi-même sa sécurité, la Task force Takuba fait figure de première réponse. Pour la première fois, une force militaire composée de troupes issues de pays de l’Union opère de concert, sous un commandement européen. Elle arrive également à assumer quasiment toute sa logistique.

Reste le problème des réticences des uns et des autres, qui montre encore une fois que l’Europe est loin de constituer un bloc uni. La crainte de l’hégémonie française qui dicterait son agenda est très marquée. "Au-delà du silence naturel – et consciencieux – des institutions politiques et militaires sur la préparation du contingent italien à destination du Sahel, dans la presse spécialisée plus d'un a fait le nez sur la réelle utilité d'envoyer des troupes en Afrique de l'Ouest, craignant le risque d'une 'soumission' des intérêts italiens aux intérêts français", écrit ainsi le site spécialisé Difesa Online.

Dans l'évolution prévue de la force Barkhane, Takuba prend toute sa signification. Désormais, la France entend passer "d'une opération militaire à un dispositif de coopération". Un dispositif qui laisse plus d'autonomie aux forces des pays du Sahel, ce qui pourrait satisfaire certains pays européens.

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