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Otages : "Nous savions que les islamistes de Boko Haram allaient franchir la frontière"

Chercheur associé à l'Institut français des relations internationales, Cyril Musila revient sur la sécurité fragile de la zone où ont été enlevés les otages français.

Article rédigé par Thomas Baïetto - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Coucher de soleil sur le parc naturel de Waza, en octobre 2008 au Cameroun, près de l'endroit où une famille de Français a été enlevée le 19 février 2013. (MARC PREEL / AFP)

Le nord du Cameroun, où ont été enlevés sept otages français mardi 19 février, était-il une région à risque ? Chercheur associé à l'Institut français des relations internationales (Ifri) et auteur en juillet 2012 d'une note sur la région, Cyril Musila revient pour francetv info sur les spécificités de cette langue de terre camerounaise coincée entre le Nigeria, le Tchad et la Centrafrique. 

Francetv info : Quelle était la situation sécuritaire dans le nord du Cameroun avant l'enlèvement ?

Cyril Musila : Il y avait une insécurité pour des raisons économiques, pas idéologiques. A partir des années 1990, des coupeurs de route [le nom donné en Afrique aux bandits de grands chemins] ont commencé à sévir dans la région. Ils ont été rejoints par des anciens rebelles centrafricains, tchadiens. A un moment donné, les bus qui convoyaient les voyageurs étaient escortés à l'avant et à l'arrière par un véhicule de l'armée camerounaise. 

Cette dernière a installé des brigades spéciales pour escorter voyageurs et marchandises, ainsi que des sortes de brigades mobiles pour patrouiller dans la région. Cela a fait baisser l'insécurité, le tourisme commençait à revenir même si ce n'était pas un tourisme de masse. Mais, à ce moment-là, ils ont ignoré que de l'autre côté de la frontière, au Nigeria, il y avait la secte islamiste Boko Haram [l'un des groupes soupçonnés de l'enlèvement].

Est-ce que les enlèvements et prises d'otages sont courant dans cette région ?  

Les prises d’otages ou les enlèvements ont existé dans l’histoire du Nord-Cameroun. Dans les années 2000, il y avait des enlèvements d'enfants entre éleveurs locaux pour régler des comptes ou pour reconstituer leur bétail. Le grand enjeu dans cette zone de transhumance et d'élevage, c'est le bétail. Les touristes étrangers n'ayant pas de bétails, ils n'étaient pas concernés jusque-là par ces enlèvements. A ma connaissance, c'est le premier cas qui concerne des étrangers.

Le risque du terrorisme islamiste était-il décelé avant cet enlèvement ?

Officiellement, Boko Haram n’est pas présent au Cameroun. Il n’y a pas de cellule, il n’y pas eu d’attentats ou d’églises démolies. Mais, étant donné la porosité des frontières dans cette région, nous savions que Boko Haram ne se contenterait pas d'être présent au Nigeria et allait franchir la frontière.

Des deux côtés de la frontière, vous retrouvez les mêmes groupes ethniques (les Arabes Choa, les Kotoko, les Haoussas) et les mêmes noms de famille. Ce sont des peuples de la transhumance, donc vous avez des éleveurs qui n'arrêtent pas de franchir les frontières. Dans cette partie du Cameroun, il est courant que des gens aient la nationalité ou le passeport du Nigeria, du Tchad ou de la Centrafrique pour passer les frontières de manière légale. De toute façon, il y a tellement de chemins de traverse que certains n'ont même pas besoin de papiers.

Les réseaux familiaux et l'économie de la contrebande, de carburant principalement, créent des liens. Boko Haram est donc susceptible d'y rencontrer des populations solidaires et accueillantes. On peut même supposer qu'il y a dans ce mouvement des Camerounais du nord. Désormais, avec cet enlèvement, le Cameroun va devoir s'occuper de cette question.

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