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Côte d'Ivoire: les problèmes qui minent le président Ouattara

Mutineries, prix du cacao et croissance en berne, grogne sociale et politique, restrictions budgétaires… Les difficultés s’accumulent pour le président Ouattara, deux ans après sa réélection.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 3 min
Le président ivoirien Alassane Ouattara à l'ONU à New York, le 22 septembre 2016. (REUTERS - Carlo Allegri)

«L'euphorie est terminée», estime un observateur. Réélu triomphalement en 2015 pour un deuxième quinquennat, le président Alassane Dramane Ouattara fait face à de nombreux problèmes qui minent son projet d'émergence économique du pays, son autorité et sa crédibilité.

Le chef de l'Etat s'est dit à plusieurs reprises «meurtri» par les mutineries qui ont ébranlé le pays en janvier. Et après cinq jours d'un nouveau soulèvement de ces mêmes militaires, ex-membres de la rébellion qui l'avait porté au pouvoir en 2011, sa situation est de nouveau fragilisée.

La plupart des Ivoiriens n'approuvent pas le soulèvement, mais ils ne comprennent pas le revirement du président. Lequel avait promis les primes aux mutins en janvier, avant de participer cinq mois plus tard à une cérémonie télévisée pendant laquelle certains de leurs «représentants» renonçaient aux primes. Une opération de communication qui s'est révélée désastreuse, remettant le feu aux poudres et sapant sa crédibilité. D'autant que le gouvernement a d'abord affiché sa fermeté, avant de céder.

«En Afrique, la parole est sacrée, si tu es un homme, tu ne reprends pas ta parole», souligne Ibrahim Yameogo, commerçant à Bouaké, ville traditionnellement acquise au président.

«Le gouvernement n'est pas sorti affaibli de cette situation mais au contraire renforcé. Il a pu traverser une situation difficile», assure néanmoins le ministre de la Défense, Alain-Richard Donwahi.

Les sommes promises aux 8.400 mutins dans le cadre de l’accord conclu avec le pouvoir sont colossales pour la Côte d'Ivoire, où les revenus mensuels des familles dépassent rarement 200.000 francs CFA (300 euros). Si l’on y ajoute les 5 millions (7.500 euros) déjà payés en janvier, l'addition est salée pour un Etat déjà en difficulté: 101 milliards CFA, soit 153 millions d'euros.

Militaires mutins à Bouaké, seconde ville de Côte-d'Ivoire, le 15 mai 2017 (AFP - Issouf Sanogo)

Les jugements des citoyens sont parfois sévères. «Sept millions (10.500 euros), devant le peuple qui est en train de souffrir...», proteste Billy Kouassi Kouassi, un fermier. D’autres se montrent critiques vis-à-vis des mutins. «Ce sont des enfants gâtés, ils se croient seuls au monde, mais nous avons tous des problèmes en Côte d’Ivoire!», rapporte un commerçant cité par Le Monde. 

Chute des prix du cacao et reculades
«Normalement, on pourrait ventiler ces 150 millions d'euros sur différents postes, mais nous sommes dans un contexte de chute des prix du cacao», qui ont plongé de 35%, explique le politologue ivoirien Jean Alabro. Un secteur vital pour l'économie du pays, premier producteur mondial de fèves du cacaoyer. A tel point que le gouvernement avait dû annoncer, le 10 mai 2017, qu’il allait revoir son budget à la baisse avec une réduction des investissements de 9,3%.

Or «la croissance du pays est tirée par les investissements, et notamment les investissements étrangers», souligne Jean Alabro. Des investisseurs internationaux que les mutineries risquent d'effrayer. Et ce, alors que le gouvernement travaille depuis des mois au lancement d'un grand emprunt Eurobond de 760 millions à 1,1 milliard d'euros. «Dans la situation, c'est problématique. C'est comme si un particulier dont la maison brûle tous les mois allait voir son banquier pour lui emprunter de l'argent pour acheter des meubles», résume le politologue.

La reculade face aux mutins risque aussi de raviver un effet domino, déjà observé en janvier dans le reste des forces de sécurité qui ont demandé à leur tour des primes. Déjà, les «démobilisés», quelque 6.000 anciens rebelles non intégrés dans l'armée, réclament les mêmes sommes.

Dans le même temps, la grogne sociale persiste. Les fonctionnaires font ainsi régulièrement grève depuis des mois, réclamant augmentations de salaires et paiement d'arriérés de primes estimés à plus de 200 milliards CFA (300 millions d'euros).

Economie à la traîne et «réconciliation nationale»
«2017 devait être l'année de la consolidation économique et politique avant qu'on ouvre les hostilités en préparation de la succession de Ouattara en 2020. C'est rapé! On ne consolide rien, au contraire», analyse un observateur de la politique ivoirienne sous couvert d'anonymat.

La réconciliation nationale après une décennie de crise politico-militaire reste aussi à faire. Et la succession à la présidence attise les convoitises. Ce qui provoque des rivalités entre les deux grands partis de la majorité, comme entre les partisans mêmes d'Alassane Dramane Ouattara.

Autre élément, et non des moindres, l'objectif de mise sur pied d'une armée véritablement républicaine semble encore loin. En clair, si les mutins ont repris le chemin des casernes, ils pourraient à nouveau en sortir pour faire un coup d’Etat.

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