Cet article date de plus de deux ans.

"Archives du soleil", première monographie de l'artiste sénégalais Cheikh Ndiaye, raconte la ville africaine

Article rédigé par Laurent Filippi
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 1min

Le livre publié aux éditions Suture réunit à travers la représentation de ses peintures et installations la majeure partie des œuvres des dix dernières années du peintre, consacrées notamment aux salles de cinéma africains.

Le travail pictural de Cheikh Ndiaye, né en 1970 au Sénégal, porte un regard sur l'architecture et l'urbanisme des métropoles d’Afrique de l’Ouest. Son approche quasi documentaire avec des toiles que l’on pourrait, au premier regard, prendre pour des photographies retravaillées dessine une géographie mémorielle et quotidienne de ces villes.

Une partie de son œuvre est consacrée à la représentation des lieux où vivent et travaillent les habitants des centres urbains : ateliers de mécanique, de menuiserie, de ferronnerie, kiosques de couturier… Mais une forte majorité de ses tableaux est consacrée à la représentation des façades des salles de cinéma des années 1960-1970, principalement au Sénégal et en Côte d’Ivoire, même si d’autres se situent en Guinée, en Afrique du Sud, à Cuba ou encore à Harlem à New York.

Neuf toiles consacrées aux façades cinématographiques, légendées d’extraits d’entretiens, analyses et critiques des nombreux collaborateurs du livre Archives du soleil, aux éditions Suture, accompagnent ce propos.

Depuis plus d’une dizaine d’annĂ©es, Cheikh Ndiaye peint les cinĂ©mas les plus connus entre Abidjan et Dakar, aux noms emblĂ©matiques : Mansour, LibertĂ©, VOG, Vox, ABC, Rio, Medina, Le Paris… Aujourd’hui, ces salles ont Ă©tĂ© pour la plupart abandonnĂ©es ou reconverties en ateliers, petits commerces informels, supermarchĂ©s, entrepĂ´ts ou lieux de culte. Quand elles ont Ă©tĂ© totalement dĂ©truites, le peintre a alors eu recours Ă  d’anciennes photos prises sous diffĂ©rents angles pour essayer de se rĂ©approprier la mĂ©moire de ces architectures perdues.    (CHEIKH NDIAYE - COURTESY GALERIE CECILE FAKHOURY (PHOTO GREGORY COPITET))
A chacun de ses retours Ă  Dakar. Cheikh Ndiaye est dĂ©routĂ© par le changement : "C’est vertigineux, toutes les Ă©coles par lesquelles je suis passĂ© ont Ă©tĂ© rasĂ©es. On a l’impression qu’on efface les traces derrière toi. (…) J’ai cherchĂ© les objets tĂ©moins d’une Ă©poque et les cinĂ©mas me sont apparus comme les lieux Ă  rĂ©pertorier, car c’était l’endroit oĂą on allait s’informer sur l’état du monde", dĂ©clare l’artiste dans le journal "Le Monde".      (CHEIKH NDIAYE - COLLECTION CENTRE POMPIDOU (PHOTO L’AGENCE PHOTO DE LA RMN))
"Sa première expĂ©rience de cinĂ©ma remonte Ă  son enfance Ă  Dakar", raconte-t-il Ă  RFI. Il a cinq ou six ans quand sa grand-mère l’emmène voir un film de Bruce Lee au Paris, dont le nom est Ă©crit en lettres roses sur une grande enseigne. Cet amour des films et des salles obscures ne le quittera plus et par la suite tous les cinĂ©mas de la capitale sĂ©nĂ©galaise n’auront plus de secrets pour lui. MalgrĂ© la part de nostalgie pour ces lieux de culture et de rencontres, Cheikh Ndiaye aime y voir aussi comment l’Afrique se rĂ©gĂ©nère Ă  travers ces espaces.      (CHEIKH NDIAYE - COURTESY GALERIE CECILE FAKHOURY (PHOTO GREGORY COPITET))
"A travers une interprĂ©tation visuelle de l'anthropologie et de l'architecture, Cheikh Ndiaye Ă©voque l'histoire socio-politique des urbanismes en Afrique de l'Ouest, dans le contexte d'un dĂ©veloppement Ă©conomique rapide (l'ère post-indĂ©pendance). Son Ĺ“uvre rĂ©habilite non seulement les interstices architecturaux, mais aussi ceux qui se situent entre la matĂ©rialitĂ© de la peinture et du concept, entre l'image et l'installation, entre l'anthropologie et l’art", explique la galerie CĂ©cile Fakhoury qui reprĂ©sente l’artiste.    (CHEIKH NDIAYE (PHOTO AĂŹDA MULUNEH STUDIO))
Au dĂ©but de l’ouvrage "Archives du soleil ", dans sa conversation avec Valentine Umansky, conservatrice de l’International Art Ă  la Tate Modern Ă  Londres, il explique au sujet de sa technique picturale : "La peinture me permet d’être en immersion avec les choses, d’être proche d’elles. Par ailleurs, les motifs que je peins ne sont jamais basĂ©s sur une seule photographie, il y a un travail de composition, de fusion de plusieurs images. (…) La peinture est aussi un outil analytique, un moyen de rĂ©flexion. Parfois, c’est en peignant certaines figures que j’ai prises en photo que je comprends ce qu’elles faisaient dans l’espace rĂ©el – sinon, je ne l’aurais pas compris. La peinture est un outil de rĂ©flexion et de rĂ©solution de problèmes formels qui reflètent nĂ©cessairement des problèmes dans le rĂ©el."    (CHEIKH NDIAYE - COURTESY GALERIE CECILE FAKHOURY (PHOTO GUILLAUME BASSINET))
Manthia Diawara, professeur dans le dĂ©partement d’études cinĂ©matographiques Ă  l’UniversitĂ© de New York dĂ©clare : "Les peintures de Cheikh Ndiaye sont fascinantes pour les informations visuelles qu’elles rĂ©vèlent et pour ce que chaque peinture semble cacher, ou pour l’opacitĂ© que chacune revendique. Elles interpellent le spectateur (qui) se retrouve devant d’anciens cinĂ©mas, au milieu d’actes inachevĂ©s, qu’il peut alors interprĂ©ter de plusieurs façons. En fait, il semble que l’art de Ndiaye se dĂ©roule dans les ruines de monuments abandonnĂ©s ou de projets modernistes. Les anciens cinĂ©mas sont rĂ©utilisĂ©s pour rĂ©vĂ©ler des vies anciennes et nouvelles recombinĂ©es, dans le but d’illustrer la prĂ©sence des sujets pris dans une temporalitĂ© spĂ©cifique."      (CHEIKH NDIAYE - COURTESY GALLERIA CONTINUA, LES MOULINS (PHOTO ARTHUR CHAUVINEAU))
Le philosophe Alain Badiou prĂ©cise : "Selon moi, le travail de Ndiaye peut ĂŞtre reconnu Ă  travers une contradiction voilĂ©e d’abstraction et de figuration. Il force la peinture Ă  reprĂ©senter simultanĂ©ment l’ordre et le dĂ©sordre, la prĂ©sence et l’absence, le prĂ©sent et le passĂ©. Ndiaye dĂ©voile la possible abstraction qui se cache dans l’évidence de la figuration."      (CHEIKH NDIAYE - COURTESY GALERIE CECILE FAKHOURY (PHOTO GREGORY COPITET))
Vincent Jacques, maĂ®tre de confĂ©rence Ă  l’Ensa Versailles, oĂą il enseigne la philosophie de l’architecture et de l’urbain, ajoute : "La position de Cheikh Ndiaye est très claire : ces bâtiments, bien que fruit du colonialisme, font aujourd’hui pleinement partie du patrimoine africain. En ce sens, sa peinture est Ă  la fois subtilement fortement engagĂ©e : si pour le spectateur du Nord, le regard sur ces objets peut se teinter d’une certaine nostalgie, pour celui du Sud, le rejet de ce patrimoine en tant que produit de la colonisation est possible. Pour l’artiste, la ville africaine moderne est un palimpseste des diverses couches historiques qui l’ont fait naĂ®tre, et aimer ces villes, c’est accepter leur patrimoine matĂ©riel, ce qui n’empĂŞche pas de lutter contre le colonialisme aujourd’hui."        (CHEIKH NDIAYE - COURTESY GALERIE CECILE FAKHOURY (PHOTO GREGORY COPITET))
Alicia Knock, conservatrice au MusĂ©e national d’art moderne au Centre Pompidou ajoute : "Les cinĂ©mas abandonnĂ©s de Cheikh Ndiaye, Ă  la croisĂ©e de l’architecture, sont des ruines dynamiques : des dispositifs apparemment neutres, inoffensifs, mais autoritaires quand on sait dĂ©ployer leur potentiel optique comme sĂ©mantique. InsĂ©rĂ©s dans un vĂ©ritable montage plastique et conceptuel, les bâtiments deviennent des projecteurs, le prisme par lequel la vie sociale de la ville en Afrique de l’Ouest se construit : un instrument de vision et de voyage dans le temps, dans les ambiguĂŻtĂ©s du projet colonial moderniste reconfigurĂ© par le prĂ©sent continu des transactions urbaines. Plus fondamentalement, ce que Cheikh Ndiaye conçoit patiemment et tente de renĂ©gocier, au-delĂ  du cinĂ©ma qu’il ne traite pas comme motif mais comme paradigme, c’est le rapport collectif d’une sociĂ©tĂ© Ă  son imaginaire, c’est la reconquĂŞte active de son inconscient."      (CHEIKH NDIAYE - COURTESY GALERIE CECILE FAKHOURY (PHOTO GREGORY COPITET))

Commentaires

Connectez-vous Ă  votre compte franceinfo pour participer Ă  la conversation.