Icône pharaonique, Néfertiti soulève passions et polémiques
Un buste au charme pharaonique
Si Néfertiti est aujourd’hui universellement connue, c’est à cause de son buste, chef-d’œuvre de l’art égyptien. La sculpture a été découverte sur le site d’Amarna, en Moyenne Égypte, où se dressait, il y un peu plus de 3 300 ans, l’ancienne capitale de la célèbre reine et de son époux, le non moins célèbre pharaon Akhenaton.
La mission était dirigée par l’archéologue allemand Ludwig Borchardt (1863-1938). Il explora Amarna de 1911 à 1914, découvrant l’atelier du sculpteur en chef nommé Thoutmosis, chargé par les souverains de la réalisation de leurs images officielles. En décembre 1912, les fouilles révèlent une vingtaine d’œuvres en calcaire utilisées comme des modèles par l’artiste et son équipe qui s’y référaient pour réaliser des statues en pierre.
Parmi ces modèles se trouvait le buste aujourd’hui exposé à Berlin. L’œuvre est taillée dans du calcaire couvert d’une fine couche de stuc polychrome. Un seul œil a été incrusté de cristal de roche, tandis que l’autre est resté vide ; ce qui n’est pas très étonnant dans la mesure où les modèles d’artistes se présentent souvent comme des œuvres inachevées.
Borchardt envoya le buste en Allemagne dans des conditions qui restent discutées. L’usage, à l’époque, voulait que les découvertes soient partagées entre l’Égypte et les missions étrangères. Mais Borchardt n’aurait-il pas caché ou maquillé l’œuvre pour l’expédier en Europe ? Le gouvernement égyptien réclame depuis le retour du buste qui serait sorti irrégulièrement du pays.
Vives polémiques
Arrivée en Europe, l’œuvre revient au riche industriel qui a financé la mission archéologique d’Amarna : Henri James Simon (1851-1932). Il en fait don au Musée de Berlin où elle n’est exposée qu’à partir de 1924. Elle fascine alors immédiatement le grand public. Les canons de la beauté égyptienne correspondent étonnamment à ceux de l’époque : un long cou, des lèvres finement dessinées, des yeux cerclés de khôl… Dans l’imaginaire collectif, Néfertiti devient l’incarnation même de la beauté antique.
Au milieu des années 1930, alors que son retour en Égypte paraît acquis, Hitler finit par s’y opposer : il semble s’être pris de passion pour Néfertiti qu’il voit comme un modèle de la beauté aryenne.
La polémique est relancée en 2003 quand des artistes sculptent un corps de femme nue (dit The Body of Nefertiti) sur lequel ils placent une copie du fameux buste. L’œuvre est installée dans le musée berlinois, juste à côté de l’antique image de Néfertiti.
Un scandale pour les autorités égyptiennes qui dénoncent le manque de respect des Allemands pour la souveraine ainsi maltraitée !
Une beauté pulpeuse
Mais le fameux buste est loin d’être la seule image de Néfertiti qui nous soit parvenue. Des statuettes et de nombreux bas-reliefs nous révèlent aussi son physique pulpeux. Néfertiti est dotée d’une taille très svelte qui contraste fortement avec ses hanches imposantes. Elle porte une robe plissée qui révèle ses formes plus qu’elle ne les couvre. Du lin transparent qui laisse deviner ses seins, son nombril et ses cuisses.
Ces représentations de Néfertiti ne correspondent cependant pas forcément au physique réel de la reine, comme le remarque l’égyptologue Dimitri Laboury.
Elles sont idéalisées dans le but de mettre en valeur sa féminité, suivant les canons de la beauté du XIVe siècle av. J.-C. Néfertiti se doit d’être l’incarnation même de la femme idéale pour ses sujets.
Une théologie de l’érotisme
Cette iconographie est en lien étroit avec la fonction officielle de l’épouse du roi. Une mission érotico-religieuse qui étonne et fascine, car la sexualité et le culte paraissent aujourd’hui radicalement dissociés dans les principales religions contemporaines. Néfertiti a pour rôle d’exciter à la fois son époux et le dieu solaire Aton, créateur de l’univers, afin de maintenir l’équilibre cosmique. Sans son charme, le monde s’effondrerait et tout deviendrait chaos. Les images de Néfertiti exaltent une féminité divine vue comme essentielle. On peut y voir une sorte de théologie de l’érotisme.
En conséquence, l’art officiel affiche l’intimité du couple pharaonique qu’il magnifie et sacralise. Sur certains bas-reliefs, on assiste aux repas du couple ; ailleurs, on voit Néfertiti assise sur les genoux de son mari, en prélude à l’acte sexuel, ou encore Akhenaton entraînant la reine par la main vers la couche nuptiale. Jamais la sexualité du pharaon et de son épouse n’avait été aussi explicitement suggérée. Un hymne au charme et à la fertilité de la reine, qui fut la mère de six filles et, probablement aussi, d’un fils, le futur pharaon Toutankhamon, comme l’a montré l’égyptologue Marc Gabolde.
En février 2018, son visage a fait l’objet d’une tentative de reconstitution à partir de la tête de la momie.
Mais le teint très pâle de sa peau suscite une vive polémique : pourquoi avoir ainsi blanchi la reine égyptienne dont le buste berlinois nous montre le teint mat ?
Néfertiti, star d’aujourd’hui
Les premières apparitions de la reine au cinéma, sous les traits de l’Américaine Jeanne Crain (Néfertiti, 1961), puis de l’Italienne Michela Rocco di Torrepadula (Néfertiti fille du Soleil en 1994) ont assez vite été oubliées.
Néfertiti est d’abord et avant tout une icône : son histoire, méconnue, n’a pas à ce jour offert de trame pour un bon scénario.
C’est la top model Iman, dans le clip de Michael Jackson (« Remember the Time »), en 1991, qui l’a véritablement consacrée comme une image incontournable de la culture populaire d’aujourd’hui.
En 2012, Néfertiti fait encore, avec Riann Steel, une entrée remarquée dans la série Doctor Who.
Au même moment, la chanteuse Rihanna exhibe son tatouage « Néfertiti », avant de se faire photographier, en octobre 2017, coiffée de la couronne bleue de l’ancienne reine pour la couverture de Vogue.
Néfertiti, ancêtre des stars afro-américaines ?
Rihanna, accusée d’« appropriation culturelle », déclenche une nouvelle polémique.
Fin mars 2018, Beyoncé lance une série de T-shirts à son effigie… en Néfertiti. Certains y voient une réponse à la polémique sur la reconstitution trop « blanche » du visage de l’ancienne reine.
Mais n’est-il pas vain de se demander à qui appartient celle qui a régné il y a 3 300 ans sur l’Égypte ? Les icônes (pensons à la Joconde) n’ont-elles pas précisément pour fonction d’être « exploitées » de toutes les manières possibles et imaginables, que ce soit dans un but artistique ou même commercial ? En tout cas, l’antique pharaonne n’en a pas fini de nourrir d’intenses passions.
Christian-Georges Schwentzel, Professeur d'histoire ancienne, Université de Lorraine
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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