"Rencontrer mon père", "une thérapie" familiale autour de l'émigration, filmée par Alassane Diago
Le troisième documentaire du cinéaste sénégalais Alassane Diago, sorti le 20 février 2019, traite de retrouvailles père-fils par caméra interposée. En s'appuyant sur sa propre expérience, le réalisateur livre un témoignage pudique sur ces émigrations qui détruisent les liens familiaux.
Le long métrage d'Alassane Diago démarre sur des mains de femme, sa mère, qui triturent les bouts de son châle. Derrière la caméra, son fils, la prie de répondre à une terrible interrogation : pourquoi son père, qui a quitté son Sénégal natal pour émigrer vers le Gabon, n’est-il jamais revenu en plus de vingt ans d'absence?
Ces mains, qui traduisent un certain désarroi, sont en regard de celles du père du cinéaste sénégalais, puis de celles du réalisateur. Le plan d’ouverture du documentaire Rencontrer mon père suffirait presque à lui seul à exprimer le drame familial conté au spectateur. On le perçoit à mesure que les principaux protagonistes du film arrivent dans le champ de la caméra. Car c’est caméra au poing qu’Alassane Diago va à la rencontre de son père pour lui poser la question qui le taraude depuis plus de deux décennies.
"Volonté divine" ou "affaire de choix" ?
Pour arriver à ses fins, un dispositif simple : le cinéaste a posé sa caméra, qui ne lâche rien à l’instar d’Alassane Diago lui-même. Il interpelle les membres de sa famille filmés en plan serré. Rien n’échappe à son objectif braqué sur eux. Et quand il sort du face-à-face, c’est pour capter leur quotidien : repas, discussion entre voisins, tâches ménagères, gestion du bétail… Une nécessaire respiration pour un film qui gagne en intensité au fil des plans, dont certains se distinguent par une sublime photographie.
La dramaturgie de Rencontrer mon père tient aussi à l'absence de réponses aux questions existentielles qu’Alassane Diago pose à ses parents. Pour ces derniers, tout se résume à la volonté divine. Pour lui, le fils abandonné, c’est plutôt une affaire de choix. Le spectateur décidera lui-même à la lumière des réponses d’un père, pas toujours très à l’aise devant la caméra, et qui avait trouvé "humiliant" le premier documentaire de son fils, La vie n'est pas immobile (2012). Un film découvert par hasard en regardant la télévision et qui évoquait déjà la question de l'émigration et surtout l’absence de cette nécessaire figure paternelle.
Cette désapprobation, Alassane Diago sait s’en accommoder. "Mon père, explique le cinéaste, est un Peul qui a ses valeurs et je me devais de les respecter. Pour lui, j'ai franchi des limites en le questionnant et (en évoquant sa situation) dans mon œuvre, en remettant en question ses choix. Cela a été douloureux pour lui. La caméra a été aussi un handicap parce qu'il n'était pas libre de s'exprimer comme il le souhaitait. Cependant, elle a été également un atout à des moments décisifs. Je perds aussi mes moyens quand je filme. On voit bien que c'est dur (...). Mon père est dans sa bulle et c'est très difficile de l'en sortir. C'est un religieux et tout tourne autour de Dieu. S'il n'a pas pu rentrer, c'est Dieu. S'il est dans cette situation, c'est encore Dieu. Son espace de réflexion est très réduit"
"Notre cas n'est pas isolé"
En filmant ses parents, notamment ce père retrouvé, et sa famille recomposée, Alassane Diago se livre à une mise à nu, à une exploration de sa douleur d’enfant délaissé avec le spectateur pour témoin. Pour le réalisateur, livrer cette part d’intime n'est pas une démarche vaine. Bien au contraire.
"Notre cas n'est pas isolé", souligne Alassane Diago. Dans les années 70-80, une sècheresse va pousser les hommes de son village peul d'Agnam Lidoubé, situé dans le nord-est du Sénégal, à émigrer vers des pays d'Afrique centrale, notamment le Gabon. Ceux qui ne sont pas rentrés sont souvent ceux qui ont estimé qu'ils ne pouvaient pas se targuer d'avoir réussi. "C'est une histoire certes personnelle, mais qui est universelle. Quand je filme ma mère, mes parents et ma famille, je pense à toutes ces familles et ces femmes qui vivent dans l'attente. Je pense à tous ces enfants qui, comme moi, ne se souviennent pas d'avoir prononcé le mot papa, qui ne le reverront jamais parce qu'il a émigré."
C’est certainement cette dimension holistique qui fait paradoxalement de Rencontrer mon père un film pudique, à l’image de tous les protagonistes d’un film qu'Alassane Diago considère comme une "belle thérapie". "Aller à la rencontre de mon père m'a permis de me soigner en partie. Cela a aussi fait beaucoup de bien à toute la famille. Mon père a dit à tous ses amis et à son voisinage que ma venue lui avait fait beaucoup de bien."
Le troisième film d'Alassane Diago apparaît comme un épilogue à une démarche artistique motivée par un drame intime. "Après ma formation audiovisuelle, le seul sujet qui me venait à l'esprit, c'était l'émigration qui cachait ma propre histoire. J'avais envie de me connaître et de me confronter à la réalité de mon histoire, celle d'un enfant qui a vécu avec une mère seule, attendant son mari pendant plus de vingt ans. Tout cela a été une source d'inspiration". Au demeurant salvatrice.
Rencontrer mon père est l'un des documentaires présenté dans la section Panorama de la sélection officielle du prochain Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (Fespaco) qui démarre le 23 février 2019 dans la capitale burkinabè.
"Rencontrer mon père" d'Alassane Diago, sortie en France : 20 février 2019.
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