"Tigritudes", une programmation itinérante du cinéma panafricain sur plus de 60 ans
Films de patrimoine et œuvres contemporaines composent cette programmation panafricaine dont le public français a la primauté.
Le cycle cinématographique panafricain Tigritudes est à voir jusqu'au 27 février au Forum des images, en France. Le programme voyagera ensuite. Son itinéraire comprendra des étapes en Afrique qui permettront au public africain de découvrir des productions qui lui sont souvent inaccessibles. Entretien avec la cinéaste franco-sénégalaise Dyana Gaye qui porte ce projet avec la documentariste Valérie Osouf.
Comment est née l'idée de "Tigritudes" ?
Nous nourrissons avec mon amie et réalisatrice Valérie Osouf, avec qui je coprogramme ce cycle, cette idée depuis environ 25 ans, à l'époque où nous nous sommes rencontrées je crois. A savoir réfléchir à un festival, à une manifestation autour des cinémas d'Afrique. Notre amitié est très nourrie de notre cinéphilie et de notre amour des cinémas d’Afrique. Nous voulions mettre ces films en partage et nous évoquions ce projet régulièrement. Nous avons la joie aujourd’hui de voir enfin ce cycle qui a été initié dans le cadre de la Saison Africa 2020. Il aurait dû, dans un premier temps, être présenté en octobre 2020, puis en mars-avril 2021. Notre rêve s’est enfin concrétisé après deux reports pour toutes les raisons que l'on connaît, grâce à notre partenaire et coproducteur, le Forum des images.
Votre cinéphilie a nourri cette programmation. Par conséquent, elle a dû être aisée à faire puisque que vous connaissiez les œuvres que vous vouliez montrer…
Pas nécessairement. Nous avions un socle commun de films de patrimoine ou d'œuvres plus contemporaines parce que nous sommes toutes les deux réalisatrices et que nous avons ainsi l’opportunité de voir beaucoup de films à travers les festivals et de rencontrer des cinéastes. Nous avons fait énormément de recherches parce qu’il nous importait de donner une vision la plus large possible des cinémas d’Afrique, de présenter le plus grand nombre d’œuvres de pays différents. La singularité de Tigritudes tient au fait que c’est un cycle chronologique. Nous nous sommes adossées au grand mouvement des indépendances. On commence par celle du Soudan en 1956 et on remonte jusqu’en 2021, à raison d’une séance par an. Elle peut être l’occasion de découvrir un film ou un programme de courts métrages.
C’est intéressant de pouvoir montrer des œuvres dans une espèce de continuité, à la fois sur le continent et dans sa diaspora afro-descendante puisqu’on présente aussi des films d’Haïti, de Cuba, des Etats-Unis, de la Caraïbe et de Grande-Bretagne. Il est aussi intéressant d’observer les résonances entres les films, les formes, la circulation des enjeux et des luttes, la façon dont tout cela dialogue de manière chronologique. Je pense que c’est ce qui fait la singularité de cette anthologie, qui n’est pas une rétrospective, car nous sommes simplement deux cinéastes qui mettons en commun notre désir de transmission de cinéma. C'est notre regard à toutes les deux, nous ne sommes pas programmatrices mais cinéastes, ce serait prétentieux de parler de rétrospective. Encore une fois, c'est une mise en partage de notre cinéphilie.
Combien de films avez-vous regardé pour établir cette sélection de plus d'une centaine de productions ?
Tous formats confondus – courts et long métrages, documentaires, films d’art, films d’animation –, près d’un millier en trois ans.
Quel public attendez-vous ? Quelle est la pédagogie, s’il y en a une, derrière ce cycle ?
C’est ce que je disais en préambule. Nous attendons tous les publics, y compris les plus jeunes. Moi, j’ai grandi en France dans les années 80, je n’avais pas accès aux cinématographies africaines. Enfant, j’allais voir des Disney et autres. Aujourd’hui, ces jeunes ont la possibilité de voir des films des quatre coins du monde. Effectivement, il y a cette idée de rendre accessible ces films à un public le plus large possible en proposant aussi un axe de programmation qui donne à voir toute l’Afrique. Très souvent, en France, nous sommes très habitués à voir, par exemple et de manière séparée d’ailleurs, les cinématographies du Maghreb et les films subsahariens. Ce qui est très lié à l’histoire coloniale de la France. Par conséquent, on voit plus facilement en France des films du Mali, du Burkina Faso ou encore du Sénégal. Mais beaucoup plus rarement des productions de l’Afrique lusophone ou anglophone et tout cela réuni dans un même programme encore plus rarement. Alors que ce qui nous intéresse justement, c’est de faire dialoguer des œuvres de tout le continent dans un seul et unique cycle afin de se rendre compte de la richesse inouïe de ses cinématographies.
Vous prévoyez que cette anthologie voyage et que les films soient vus en Afrique. Ce qui est notable compte tenu des problèmes de distribution que connaissent les œuvres africaines sur leur propre continent…
Le programme va partir en itinérance. Nous nous sommes dit que nous n'avions pas fait tout ce travail uniquement pour Paris. Il est important que cette programmation circule en Afrique. Sur le continent, la première aura lieu au printemps, à Bobo Dioulasso, au Burkina Faso, puis Tigritudes prendra la direction du Sénégal. Il est amené à voyager sur le continent, où l'on a beaucoup de relais afin que les gens puissent se réapproprier leur histoire de cinéma. Comme on le sait, la diffusion est compliquée de ce côté-ci du monde, mais elle l’est encore plus sur le continent où les films ont été fabriqués. C’est extrêmement important pour nous que ces œuvres reviennent à leur public premier.
Nous évoquions les problèmes de diffusion. Ce cycle pourrait-il être disponible en coffret par exemple ?
Absolument. Nous allons d’abord faire un livre qui va suivre le cycle. Nous faisons les choses petit à petit parce que nous sommes une petite équipe. Nous allons restituer des rencontres du cycle − deux master class, des cours de cinéma, des rencontres transversales −, toute cette matière sera filmée et restituée dans un ouvrage. Ce dernier sera aussi un lieu pédagogique qui mettra en perspective les œuvres, les luttes, les libérations et les indépendances sur le continent. Nous commanderons des textes à des auteurs et à des cinéastes. Nous voudrions également mettre en ligne un site quadrilingue − arabe, portugais, français et anglais − pour le public qui n’aurait pas accès aux salles, une espèce de base de données, un endroit de ressources pour, par exemple, les jeunes cinéphiles du continent africain et des étudiants afin qu’ils puissent accéder à un endroit où seraient répertoriés les films et le travail que l’on a pu faire autour de Tigritudes.
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