Oxfam pointe "l'implication" des banques françaises dans l'endettement de plusieurs pays africains
L'ONG invite les institutions financières privées à suspendre le service de la dette des Etats les plus vulnérables, à l'instar des créanciers publics bilatéraux.
Les banques françaises "jouent un rôle central" dans l'endettement de nombreux Etats africains qui recourent aujourd'hui majoritairement à l'emprunt pour financer leur développement faute de ressources propres et de financements publics, selon un rapport de l'ONG Oxfam France et de la Plateforme Dette et Développement publié le 12 octobre 2021. "Les créances bancaires détenues par des établissements financiers français sur les pays éligibles à l’ISSD (Initiative de suspension du service de la dette adoptée en avril 2020 par le G20) ont quadruplé depuis 2010, dans des conditions parfois insoutenables", indique dans un communiqué Louis-Nicolas Jandeaux, spécialiste de la dette chez Oxfam France.
"Par le biais des crédits que le Crédit agricole, la Société Générale ou encore BNP Paribas accordent, des commissions perçues quand elles aident les Etats à émettre sur les marchés financiers des obligations souveraines et par la détention de ce même type d’obligation, mais aussi logiquement par les intérêts qui leur sont versés, elles sont devenues, au même titre que quelques banques anglo-saxonnes, les principaux interlocuteurs de certains pays en voie de développement", explique à franceinfo Afrique Louis-Nicolas Jandeaux.
Face à une situation inédite, à savoir l'augmentation de l'extrême pauvreté "pour la première fois depuis plus de 20 ans en 2020" et des budgets sociaux "sous tension", Oxfam France estime qu' "il est temps de contraindre les créanciers privés à se joindre aux efforts d’allègement de la dette des pays en développement". Ces établissements financiers doivent d'autant être mis à contribution qu'ils ont été sollicités pendant la pandémie par les pays africains à qui ils ont prêté, encore une fois, à des taux exorbitants.
Sans compter, note Louis-Nicolas Jandeaux, que "les pays pauvres ont parfois eu peur d’adhérer aux initiatives internationales d’allègement de la dette de peur que cela soit interprété comme un signe négatif par les marchés et, par conséquent, d’être contraints d’emprunter auprès du privé dans des conditions encore pire, comme ce fut le cas du Ghana ou du Nigeria".
La Côte d'Ivoire et le Sénégal, où "les filiales de banques françaises sont implantées de longue date", ainsi que le Cameroun illustrent le bourbier financier dans lequel sont empêtrés certains Etats.
Acteurs de l'endettement extérieur et intérieur en Côte d'Ivoire
Bénéficiaire de l’ISSD, la Côte d'Ivoire a la possibilité "de reporter 361 millions de dollars d’échéances exigibles entre mai 2020 et décembre 2021". Cependant, ce chiffre équivaut "à moins de 15% du service de la dette publique extérieure de la période". "Dans le même temps, souligne Oxfam, la Côte d’Ivoire devra verser près de 2,2 milliards de dollars à ses créanciers publics multilatéraux et à ses créanciers privés. (...) Les banques hexagonales occupent de très loin la première place puisqu’elles devraient engranger – hors rémunération de leurs éventuelles obligations en portefeuille – près de 133 millions de dollars de remboursements ivoiriens, dont 51 millions au titre des intérêts." Une somme supérieure au budget annuel de l’ensemble des hôpitaux ivoiriens qui s'est élevé à 85 millions de dollars en 2020, selon la branche française de l'ONG.
Par ailleurs, en ayant participé "à la totalité des émissions obligataires internationales du pays depuis 2014, y compris celles qui sont intervenues pendant la crise du Covid-19", les établissements financiers français sont devenus "des intermédiaires incontournables pour les autorités ivoiriennes". La filiale BICICI de la BNP Paribas se trouve être co-chef de file (banque qui prend la tête d'un consortium international dans le cadre d'une grosse opération d'emprunt) et "teneur des registres pour les onze dernières émissions d'eurobonds" réalisées par la Côte d'Ivoire durant la dernière décennie.
Autre partenaire financier de choix : la filiale ivoirienne de la Société Générale (SGCI). "Premier réseau bancaire du pays", elle est "très active" dans le domaine des "bons du Trésor" (libellés en francs CFA) "exclusivement placés sur les marchés financiers de l’Union économique et monétaire d’Afrique de l’Ouest (Uemoa)". Ces "'obligations domestiques' ne sont pas comptabilisées dans la dette extérieure de la Côte d’Ivoire par les institutions financières internationales" mais elles pèsent sur les finances publiques "puisque l’encours de cette dette intérieure atteignait 10,5 milliards de dollars fin 2020, avec une charge d’intérêts annuelle de 555 millions de dollars".
Les alléchants eurobonds "à haut rendement" du Sénégal
"Entre mai 2020 et décembre 2021, les établissements privés de crédit devraient recevoir (du Sénégal) 330 millions de dollars, dont près du tiers au bénéfice de banques françaises (102 millions de dollars)", indique Oxfam. Selon l'ONG, les banques françaises – Société Générale, le groupe Banque populaire/Caisse d'Epargne via sa filiale Natixis et BNP Paribas par le biais de sa filiale BICIS – sont "impliquées dans la presque totalité des émissions obligataires internationales du pays depuis 2009, y compris celle intervenue en juin 2021, pendant la crise du Covid-19".
Le Crédit agricole détient, lui, "142 millions d'euros de titres de dettes sénégalaises", se plaçant ainsi au 4e rang des détenteurs d'obligations sénégalaises et devançant "largement les autres établissements financiers français, comme le groupe BPCE, AXA, BNP Paribas ou le Crédit mutuel", indique-t-on dans le rapport. Cependant au Sénégal, "tous ces investisseurs hexagonaux ont un point commun : celui de privilégier les eurobonds à haut rendements. Ils détiennent au moins 114,5 millions de dollars d’obligations à 6,75% émises en mars 2018 et 40,1 millions de dollars d’obligations à 6,25% émises en mai 2017, ce qui représentent près de 90% de leurs titres sénégalais en portefeuille, et se détournent des émissions à plus faibles taux d’intérêts."
Des taux d'intérêt obligataires multipliés par neuf au Cameroun
Les investisseurs français détiennent des obligations souveraines dont "la moyenne des taux d’intérêt atteint 9,5%". En comparaison, "ceux sur les obligations d’Etat à dix ans de la France, de l’Allemagne ou du Japon sont, depuis 2015, systématiquement inférieurs à 1%", souligne le rapport d'Oxfam. L'ONG rappelle que le Cameroun est considéré par les institutions de Bretton Woods (Banque mondiale et Fonds monétaire international) comme un pays "à risque très élevé de surendettement". Ainsi le Cameroun, en émettant en 2015 "un emprunt obligataire de 750 millions de dollars sur 10 ans à 9,5%, avec l’aide de la Société générale", va rembourser près du double à ses créanciers, soit 1,46 milliards de dollars.
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